Les requins-baleines sont en train de disparaître dans l'indifférence

Une étude regroupant plus de 75 chercheurs a cherché à mieux comprendre les menaces pesant sur les requins-baleines. Selon les scientifiques, « il est de notre devoir de protéger l’une des espèces les plus charismatiques et les plus belles au monde ».

De Melissa Hobson
Publication 29 mai 2024, 11:12 CEST
Des lumières utilisées par les pêcheurs de Djibouti attirent du plancton et un jeune requin-baleine.

Des lumières utilisées par les pêcheurs de Djibouti attirent du plancton et un jeune requin-baleine.

PHOTOGRAPHIE DE Tom Peschak, National Geographic Image Collection

Sans doute avez-vous entendu parler des collisions entre des navires et les baleines les plus rares au monde. Pourtant, il y a peu encore, les scientifiques ignoraient que ces mêmes navires tuaient aussi le plus grand poisson au monde : le requin-baleine, une espèce en danger.

Une nouvelle étude regroupant plus de 75 chercheurs s’est intéressée au trafic maritime et à la menace qu’il représente pour les requins-baleines, qui évoluent dans les eaux chaudes des régions tropicales et subtropicales du globe, et notamment dans les océans Indien, Pacifique et Atlantique.

Dans un premier temps, les scientifiques ont cartographié les zones de rassemblement de ces poissons (aussi appelées « constellations » en raison des motifs en forme d’étoiles que les requins arborent dans le dos) situées dans 26 pays. Ils les ont ensuite recoupées avec des informations sur la position de grands navires, fournies par Global Fishing Watch, une organisation à but non lucratif qui utilise la technologie pour renforcer la transparence sur l’utilisation et la gestion des océans.

C’est ainsi qu’ils ont découvert que ces requins étaient particulièrement en danger au large de l’Équateur, du Mexique, de la Malaisie, des Philippines, d’Oman, des Seychelles et de Taïwan, des régions où le trafic maritime est très important. Freya Womersley, autrice principale de l’étude et chercheuse à la Marine Research and Conservation Foundation et à l’université de Southampton (Royaume-Uni), estime que leur proximité avec un si grand nombre de navires n’est pas sans conséquence, même si elle ignore le nombre de requins-baleines qui périssent des suites d’une collision avec un bateau.

« C’est la première fois que nous sommes capables de cartographier la plupart des constellations de requins-baleines dans le monde, et ce grâce à la contribution de la communauté de chercheurs spécialistes de l’espèce », observe-t-elle.

Les baleines, comme les baleines franches, restent à proximité de la surface pour respirer, ce qui les rend particulièrement vulnérables aux collisions avec des navires. Les requins-baleines, qui mesurent souvent près de dix mètres de long, n’ont, eux, pas besoin de remonter à la surface pour respirer. Mais ils passent environ la moitié de leur temps à nager à la surface pour se nourrir de plancton.

« Les données de l’étude, issues de requins-baleines des quatre coins du monde et équipés de balises GPS, montrent à quel point ils passent du temps dans ces zones où le risque de collision est très élevé », souligne Michael Heithaus, écologue spécialiste des requins à l’université internationale de Floride, qui n’a pas pris part à l’étude parue en mai dans la revue Science of the Total Environment.

Selon les auteurs de l’étude, il est essentiel d’agir maintenant pour protéger les requins, alors que le trafic maritime augmente partout dans le monde. Plus 100 000 navires de marchandises parcourent actuellement les océans et les mers du globe, un chiffre qui pourrait augmenter de plus de 1 200 % d’ici 2050.

 

TUÉS DANS LE SILENCE

Si vous n’avez pas entendu parler des requins-baleines percutés par les navires, c’est tout simplement parce que les preuves manquent.

Lorsqu’ils meurent, les requins ne flottent pas et coulent au fond de la mer, contrairement aux « carcasses de mammifères marins [qui] peuvent flotter ou s’échouer sur la côte. Le phénomène est donc bien plus visible », précise Freya Womersley.

Cela signifie donc que le nombre de requins-baleines tués par de grands navires est probablement sous-estimé. La plupart des individus qui ont été heurtés par de petits bateaux présentent d’importantes cicatrices, par exemple.

« Les requins-baleines sont grands et très résistants ; ils se remettent souvent si leur blessure n’est pas létale », explique Michael Heithaus. « Mais ils ne peuvent pas survivre s’ils sont percutés par un gros navire ».

Les chercheurs ignorent si le nombre de requins-baleines tués est suffisamment important pour avoir une incidence sur la taille des populations. Plus de 400 individus se rassemblent chaque année dans la péninsule du Yucatán, et près de 500 autres au large de Madagascar.

« Nous essayons de réunir les morceaux du puzzle pour aider à protéger l’espèce avant qu’il ne soit trop tard », confie Freya Womersley.

 

DE PETITS CHANGEMENTS AUX GRANDES CONSÉQUENCES

Pour éviter les collisions entre les navires et les mammifères marins, deux stratégies ont déjà fait leurs preuves : réduire la vitesse des navires et modifier leur itinéraire. Selon Freya Womersley, les gouvernements, les industriels, les scientifiques et les ONG peuvent s’appuyer sur ces connaissances pour trouver des solutions visant à protéger les requins-baleines des accidents mortels. 

Dans le cadre de l’étude, les chercheurs ont reproduit les mouvements des navires et constaté qu’une réduction de leur vitesse de 75 % augmentait le temps de transit de seulement 5 % tout en permettant aux capitaines de mieux repérer les requins et de les éviter. Une seconde simulation a démontré que le contournement des habitats essentiels à l’espèce présentait encore moins de désagrément pour le transport de marchandises, le temps de transit augmentant de seulement 0,5 % (soit environ 2,4 heures de transport supplémentaire en moyenne par navire).

Que d’aussi petits changements aient un impact aussi significatif pour les requins, et sans nuire à l’industrie, a étonné Michael Heithaus.

« Tout le monde y trouve son compte en termes de conservation, sans faire de gros compromis », remarque-t-il.

Les personnes concernées sont généralement disposées à opérer de petits changements si ces derniers ont un impact significatif, en particulier pour une espèce aussi charismatique que le requin-baleine, qui rapporte des millions de dollars de revenus aux communautés locales grâce à l’écotourisme.

Délimiter les habitats des requins-baleines où le trafic maritime est interdit (que ce soit temporairement, en fonction de la saison ou lorsqu’un certain nombre de requins sont présents) pourrait aussi rendre les eaux plus sûres pour cette espèce et bien d’autres, renchérit Freya Womersley.

Sur la côte est des États-Unis, par exemple, des limitations de vitesse sont imposées aux navires à certaines périodes de l’année pour protéger les baleines franches de l’Atlantique du Nord, une espèce menacée.

« Il est de notre devoir de protéger l’une des espèces les plus charismatiques et les plus belles au monde, qui était présente sur Terre des millions d’années avant nous ».

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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