C’était le meilleur endroit au monde pour observer les grands requins blancs... il n'en reste plus aucun

La baie False, en Afrique du Sud, était autrefois un haut lieu d'observation de ces grands prédateurs marins. Aujourd'hui, son écosystème est bouleversé par leur disparition.

De Melissa Hobson
Publication 16 avr. 2025, 10:32 CEST
Les grands requins blancs comme celui-ci, photographié en 2014, étaient autrefois nombreux dans les eaux qui ...

Les grands requins blancs comme celui-ci, photographié en 2014, étaient autrefois nombreux dans les eaux qui entourent Seal Island dans la baie False, en Afrique du Sud.

PHOTOGRAPHIE DE Nature Picture Library, Alamy Stock Photo

Le grand requin blanc (Carcharodon carcharias), avec son allure svelte et ses dents de 6 centimètres de long, spécialement conçues pour déchiqueter, est un prédateur intimidant. Si intimidant que, au premier abord, sa disparition pourrait presque passer pour une bonne nouvelle. Cependant, en réalité, la perte d’un animal aussi important, connu comme le plus grand requin prédateur du monde, aurait des répercussions qui se feraient sentir à travers la totalité de l’écosystème.

Une nouvelle étude, publiée dans Frontiers in Marine Science, s’attèle à démontrer les conséquences de la disparition des requins. Elle analyse pour cela le cas de Seal Island, une petite île au large de la baie False, en Afrique du Sud, qui constituait autrefois l’une des rares destinations sur Terre où l’on pouvait observer de grands requins blancs surgir de l’eau pour capturer leurs proies.

« C’était comme les Dents de la mer, mais dans les airs », commente l’écologue marin Neil Hammerschlag, directeur exécutif de la Shark Research Foundation Inc. et co-auteur de la nouvelle étude. « Pour moi, il n’y a rien de plus remarquable dans la nature que de voir un grand requin blanc de [900 kg] s’envoler avec un phoque dans la bouche. »

Lorsque les prédateurs ont disparu, les chercheurs et les défenseurs de l’environnement ont tenu les orques et les humains pour responsables. Hammerschlag et ses collègues, qui ont commencé à étudier l’écosystème autour de l’île en 2000, soit bien avant ladite disparition, ont quant à eux constaté des changements surprenants.

 

LES REQUINS DE SEAL ISLAND

Il y a vingt ans, Seal Island était « le meilleur endroit au monde pour voir des grands requins blancs », se souvient Hammerschlag, qui est également président d’Atlantic Shark Expeditions. Vers 2010, le nombre de grands requins blancs a toutefois commencé à diminuer dans les eaux de la baie False et, à partir de 2015, ce déclin s’est accentué plus sérieusement. En 2018, les grands requins blancs avaient entièrement disparu de la région.

La cause exacte de la disparition des prédateurs reste un mystère. « Les raisons du départ du grand requin blanc sont vraiment sujettes à discussion », affirme Greg Skomal, biologiste spécialiste des requins à la Division des pêches marines du Massachusetts, qui n’était pas impliqué dans l’étude.

Certains suggèrent que les animaux ont fui à cause de l’arrivée des orques, qui ont la capacité exceptionnelle de tuer les requins en seulement quelques minutes en aspirant leur foie, riche en nutriments, par le biais d’une déchirure pectorale d’une précision chirurgicale.

Selon Hammerschlag, les humains pourraient également être à l’origine de ce déclin, les filets anti-requins installés à proximité provoquant la mort de « vingt-cinq à trente grands requins blancs par an ». En outre, du fait des spécificités des grands requins blancs, une petite perte peut suffire à entraîner le déclin de la totalité d’une population, explique le scientifique. Ces animaux ne deviennent en effet sexuellement matures que tardivement (les mâles dans la vingtaine et les femelles dans la trentaine), et ont des portées de douze petits au maximum.

 

UN EFFET PAPILLON

On estime aujourd’hui que les requins jouent un rôle essentiel dans le maintien de la santé des habitats marins, en retirant les animaux faibles et malades de la chaîne alimentaire et en préservant l’équilibre. Prouver ces effets dans un habitat réel représente toutefois un défi important pour les scientifiques.

« Il nous est très difficile de repérer ce type d’effets sur les écosystèmes, car cela nécessite de récolter des données sur du long terme », explique Skomal.

Dans la baie False, Hammerschlag et ses collègues se sont associés à une société d’écotourisme, une collaboration qui leur a permis de passer « des journées entières sur l’eau, 200 jours par an ». L’équipe a ainsi recueilli plus de vingt années de données datant d’avant, pendant et après la disparition des grands requins blancs de la zone.

« Nous avons observé des phénomènes auxquels nous ne nous serions jamais attendus », admet Hammerschlag.

Des groupes de requins plat-nez (Notorynchus cepedianus), parfois jusqu’à quinze individus en une seule journée, ont soudainement commencé à apparaître dans les eaux de la baie False. Ces animaux restent généralement à plusieurs kilomètres de là, dans les lits de varech, qui offrent une protection contre les attaques des grands requins blancs, dont ils sont les proies. « De zéro à plusieurs dizaines. C’est tout bonnement époustouflant. »

De même, la population d’otaries à fourrure d’Afrique du Sud (Arctocephalus pusillus pusillus) a connu une augmentation notable dans la zone. Désormais à l’abri de la menace de leurs prédateurs, les otaries flottaient en groupe et s’attaquaient aux appâts des plongeurs en cage. « Il y a quelques années, ça aurait été du suicide », indique l’écologue marin.

Les otaries et les requins plat-nez constituant tous deux des cibles des grands requins blancs, il n’était pas surprenant de voir leur nombre augmenter après le départ de ces derniers. Pour aller plus loin, Hammerschlag et ses collègues souhaitaient déterminer si les populations des proies des otaries et des requins plat-nez avaient également connu des variations depuis la disparition des requins.

Par chance, en 2012, dans le cadre d’une autre étude, la scientifique Lauren De Vos avait installé des caméras pour obtenir un aperçu des populations de poissons de l’époque. L’équipe de Hammerschlag a suivi la même méthode et, pour plus de précision, est allée jusqu’à emprunter le même équipement. Verdict : comme prévu, les nouvelles données montraient un déclin des proies des otaries, comme les anchois et les chinchards d’Afrique du Sud (Trachurus capensis), et de celles des requins plat-nez, comme les émissoles et les requins-pyjama.

Autrement dit, alors que les requins blancs disparaissaient, leurs proies devenaient plus nombreuses, et les animaux consommés par ces dernières diminuaient à leur tour : un phénomène qui suggère que cette situation n’est pas due à des problèmes tels que la pollution ou le développement.

« Si cela était lié à une destruction des habitats, en toute logique, nous devrions tout voir diminuer », plutôt que de voir certaines espèces décliner et d’autres augmenter, selon Hammerschlag. Les chiffres de l’étude ne reflètent pas cette réalité.

La petite superficie de la baie False, et le nombre relativement faible d’espèces qu’elle abrite, ont permis de faciliter l’identification de certaines répercussions de ce phénomène sur la chaîne alimentaire. « Hammerschlag a pu cartographier cette connectivité parce qu’il sait qui mange quoi », explique Skomal. Plus il y a d’espèces dans un écosystème, plus il est difficile de cartographier la chaîne alimentaire et de suivre les conséquences de la disparition de l’une d’entre elles. Il serait beaucoup plus difficile d’établir les relations entre les animaux dans une zone plus vaste, comme le golfe du Maine, qui abrite des centaines d’espèces, par exemple.

 

L’IMPORTANCE DE PROTÉGER LES REQUINS

Parmi les conséquences potentielles de toutes ces transformations, les otaries et les requins plat-nez pourraient notamment ne plus avoir suffisamment d’animaux à manger. À l’heure actuelle, il est trop tôt pour savoir si cela pourrait provoquer un effondrement de l’écosystème. « Ce serait la question suivante. Y a-t-il trop d’otaries ? », indique Skomal.

À Seal Island, les « remarquables » démonstrations aériennes des grands requins blancs appartiennent désormais au passé. « On ne se douterait jamais qu’il s’agissait autrefois d’un lieu important pour les grands requins blancs », déplore Hammerschlag.

Pour l’écologue, l’évolution de l’écosystème dans son ensemble montre l’importance des mesures relatives à la protection des requins et de la mise en place de méthodes non létales pour protéger les baigneurs de leurs attaques.

« Nous ne pouvons pas changer le comportement des orques, mais nous pouvons mettre fin à la pratique des filets anti-requins. Elle est un peu archaïque. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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