La grenouille coquí, emblème porto-ricain, est en danger d’extinction

Les grenouilles coquí, une espèce d’amphibiens, sont en danger d’extinction. Pour les spécialistes, il est urgent de protéger les écosystèmes et le patrimoine culturel fragiles de Porto Rico.

De Coral Murphy Marcos
Publication 16 janv. 2025, 18:49 CET
Coqui Frog

Une grenouille coquí (Eleutherodactylus coqui) pousse son cri caractéristique (« Ko-kee ! »). Il s’agit d’un son emblématique des nuits de Porto Rico. Autrefois célébré dans les légendes des Taïnos, ce minuscule amphibien symbolise désormais le combat pour la protection des écosystèmes et de l’identité culturelle fragiles de l’île.

PHOTOGRAPHIE DE MarESA Pryor, DanitaDelimont, Alamy

Dans les montagnes luxuriantes et verdoyantes de Porto Rico, la grenouille coquí (Eleutherodactylus coqui) chante une sérénade nocturne aussi emblématique que les rythmes de salsa et les cocktails au rhum typiques de l’île. Mais aujourd’hui, le cri aigu et rythmé de cet amphibien minuscule, qui fait « ko-kee ! ko-kee ! », évoque un appel plus grave : celui de la protection des écosystèmes et du patrimoine culturel fragiles de Porto Rico, qui sont en proie à des bouleversements.

Dans son dernier album, intitulé DeBÍ TiRAR MáS FOToS, la star du reggaeton Bad Bunny (pseudonyme de Benito Antonio Martínez Ocasio) transforme le chant de la grenouille coquí et le crapaud à crête porto-ricain (Peltophryne lemur), qui sert de mascotte à l’album, en symboles de résilience pour inciter à la protection des trésors naturels et culturels de l’île.

Pour Bad Bunny, dont la musique sert souvent de lettre d’amour à Porto Rico, ces amphibiens représentent l’esprit tenace de sa terre natale. Par ses paroles et ses visuels évocateurs, il attire l’attention sur le rétrécissement de leur habitat tout en célébrant l’identité culturelle qu’ils incarnent.

« Bad Bunny nous a offert une occasion unique et j’espère que notre peuple sait comment en tirer parti », déclare Rafael Joglar, professeur de biologie à l’Université de Puerto Rico sur le campus de Rio Piedras, et fondateur de The Coquí Project, une association œuvrant à la sauvegarde de la grenouille coquí. « C’est la meilleure chose qui nous soit arrivée depuis longtemps en matière de sauvegarde. »

 

UN ALBUM QUI AMPLIFIE LES VOIX DE LA NATURE

Depuis de nombreuses générations, la grenouille coquí est un emblème culturel de Porto Rico. Elle est notamment célébrée dans les céramiques, les peintures et la poésie des Taïnos, un peuple autochtone. Selon la légende taïno, une déesse a créé la grenouille coquí pour qu’elle crie à jamais le nom de son amour perdu. Le statut de cet amphibien est si profondément enraciné qu’il n’est pas rare d’entendre des Porto-Ricains proclamer « Soy de aquí como el coquí » (« Je suis d’ici, comme la coquí »), comme une fière expression de leur appartenance.

Puerto Rican crested toad

Le crapaud à crête porto-ricain est la seule espèce de crapauds indigène de l’île. Cette espèce que l’on a crue disparue à jamais est en danger critique d’extinction et symbolise la lutte qui a lieu en ce moment sur l’île pour protéger ses écosystèmes fragiles.

PHOTOGRAPHIE DE Joël Sartore, National Geographic, Photo Ark

Bien que moins mis à l’honneur, le crapaud à crête porto-ricain (qu’on appelle sapo concho) possède sa propre importance culturelle et écologique. C’est l’une des deux seules espèces d’amphibiens indigènes de Porto Rico à ne pas être une grenouille coquí, qui représente quant à elle quatorze des seize espèces indigènes. Le sapo concho, que l’on a cru éteint pendant quatre décennies, a été redécouvert dans les années 1970 et a retrouvé sa place de seul crapaud indigène de l’île.

L’augmentation des températures et le changement des régimes climatiques ont perturbé les habitats de ces amphibiens et menacent les forêts où résonnent leurs chants. Des ouragans tels que María, qui a ravagé Porto Rico en 2017, ont considérablement endommagé ces écosystèmes et par suite placé davantage de contraintes sur les populations de coquís.

Si certaines espèces, comme la grenouille coquí des montagnes (Eleutherodactylus portoricensis), s’adaptent en allant vivre à des altitudes plus élevées dans des forêts de nuages telles que la Forêt nationale d’El Yunque, leurs options sont restreintes. Ces habitats ne se trouvent que parmi les plus hauts sommets de Porto Rico. Et une fois que les grenouilles atteignent ces hauteurs, il n’y a plus nulle part où aller ; ce qui donne lieu à un phénomène que les scientifiques appellent « extinction des sommets ».

« Les amphibiens sont le groupe le plus menacé d’animaux vertébrés sur Terre. Avant, nous avions dix-sept espèces de coquís et nous en avons déjà perdu trois, déplore Rafael Joglar. Le sapo concho, comme d’autres espèces d’amphibiens de Porto Rico, a été négligé en raison d’un manque de financement, d’engagement sérieux, d’expertise, de tout cela à la fois en fait. »

 

UNE ÎLE QUI CHANGE

Les coquís et les crapauds à crête porto-ricains ne sont pas les seuls à s’effacer à Porto Rico. L’instabilité économique, les catastrophes naturelles et la gentrification ont conduit à des changements importants au sein de la population de l’île. Depuis 2010, la population de l’île a chuté de plus de 11 % ; plus de 130 000 habitants sont partis après le seul ouragan María.

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    Dans son morceau intitulé « LO QUE LE PASÓ A HAWAii » (« Ce qui s’est passé à Hawaï »), Bad Bunny se sert du voyage de la grenouille coquí comme allégorie de la migration de travail porto-ricaine qui a eu lieu au début du 20e siècle, époque où ces grenouilles, probablement arrivées dans les bagages des voyageurs, sont devenues une espèce invasive à Hawaï.

    « Il semble que la coquí ait également fait partie de cette migration, qu’elle ait voyagé dans leurs bagages et valises », peut-on lire sur une diapositive rédigée par l’historien Jorell Meléndez-Badillo insérée dans le clip de la chanson sur YouTube.

    Pendant ce temps, le développement côtier rapide redessine le paysage de l’île et efface des habitats amphibiens cruciaux pour faire de la place à des hébergements et hôtels de luxe. L’urbanisation a déjà eu raison de la population de sapo concho dans le nord de Porto Rico, tandis que plusieurs espèces de coquís font face à des menaces similaires.

    Cette transformation en cours est exacerbée par les ouragans, les sécheresses et l’augmentation des températures, qui mettent à rude épreuve les populations humaines et animales.

    Pourtant, en dépit de ces obstacles, le chant de la grenouille coquí demeure un puissant symbole de l’identité et de la résilience porto-ricaines. Beaucoup espèrent que l’album de Bad Bunny permettra davantage de sensibilisation à ces crises enchevêtrées et que cela inspirera une action locale et fédérale visant à la sauvegarde de l’héritage culturel de l’île, de ses écosystèmes fragiles et des personnes qui y ont leur vie.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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