Course contre la montre pour sauver ces rares amphibiens de l’extinction

Les chercheurs le savent : le temps file et les menaces qui pèsent sur les grenouilles les plus énigmatiques du Chili ne cessent de s'accumuler.

De Júlia Dias Carneiro
Publication 23 juil. 2024, 17:07 CEST
Une équipe de scientifiques a découvert une espèce rare de Telmatobufo venustus, amphibien endémique des forêts ...

Une équipe de scientifiques a découvert une espèce rare de Telmatobufo venustus, amphibien endémique des forêts chiliennes. Ils ont collecté des échantillons d’ADN pour effectuer une analyse génomique afin de soutenir les efforts de conservation et d’étudier les toxines cutanées potentielles.

PHOTOGRAPHIE DE Giovanni Lo Curto

Lors de la dernière nuit d’une expédition de sept jours, un cri de triomphe a percé dans la nuit : « Telmatobufo ! ». Les scientifiques ont pataugé dans le courant froid, lampes à la main, pour s’émerveiller devant ce trésor si longtemps recherché, niché dans une crevasse : un petit amphibien marron foncé avec deux yeux noirs globuleux, des tâches orange clair et un dos bosselé.

Telmatobufo venustus est un amphibien rare souvent confondu avec un crapaud en raison des bosses glandulaires présentes sur son dos. Cette espèce appartient à un ancien clade d’amphibien du temps où les continents étaient réunis et formaient Gondwana il y a presque 200 millions d’années

Leurs ancêtres coexistaient avec les dinosaures et le genre Telmatobufo se développa au fur et à mesure que les Andes s’élevaient, s’adaptant à une vie montagnarde. Mais ils sont plus proches des grenouilles d’Océanies que de celles d’Amérique du Sud, ce qui fait d’elles les seules survivantes de cette lignée préhistorique sur le continent. Il existe quatre espèces de Telmatobufo, toutes endémiques du Chili, mais elles sont rares et menacées par la perte d’habitat.

« Telmatobufo est une espèce si rare, elle a toujours été considérée comme le saint Graal des herpétologues », déclare José H. Grau, chef de l’expédition et biologiste spécialisé dans la conservation génomique au Smithsonian Conservation Biology Institute.

Cette expédition fait partie d’un projet qui vise à empêcher l’extinction silencieuse de Telmatobufo qui pourrait se produire dans quelques décennies si personne n’agit. L’équipe collecte des échantillons d’ADN pour séquencer le génome de T. venustus, cherchant à développer des stratégies de conservation et potentiellement réintroduire dans la nature les individus élevés en captivité.

 

UNE AIGUILLE DANS UNE BOTTE DE FOIN

La première observation de T. venustus remonte à 1899 et une autre a été enregistrée presque un siècle plus tard, en 1983. Plusieurs autres observations ont été signalées depuis 2008 et de plus en plus à partir de 2020.

Malgré sa rareté, une expédition de cinq personnes, financée par Revive & Restore et le zoo de San Antonio, a été menée pour trouver cette espèce dans son habitat naturel. Ils ont parcouru 2 400 kilomètres à travers les forêts montagneuses du sud du Chili, de jour comme de nuit. Leur dernier arrêt se trouve à proximité de la réserve nationale Altos de Lircay, à 273 kilomètres au Sud de Santiago. Après avoir ratissé une zone au bord d’une rivière pendant la journée, José H. Grau l’a revisitée la nuit et a découvert six Termatobufo cachés entre les rochers humides.

Le biochimiste José J. Nuñez porte Hope, Batrachyla antartandica secouru à qui il manque une patte. L'Amphibian Conservation Laboratory, au Chili, a pour but d’élever des grenouilles comme Insuetophrynus acarpicus et Telmatobufo venustus.

PHOTOGRAPHIE DE Giovanni Lo Curto

« C’était un sentiment incroyable d’émerveillement et de respect », se confie Grau. « Ils n’essaient pas de s’enfuir. Ils ont un métabolisme ancien, lent et froid et bougent à la vitesse d’une tortue ». L’équipe a aussi trouvé deux têtards avec une bouche en forme de ventouse, une adaptation datant d’il y a 50 millions d’années, lorsque les Andes se sont soulevées, et qui leur permettait de s’accrocher aux rochers pour éviter les courants fluviaux.

Les scientifiques ont collecté des échantillons d’ADN provenant de la peau et de la bouche de Telmatobufo et les ont envoyés aux États-Unis pour un séquençage génétique. Ils ont également collecté de l’ADN environnemental (ADNe) provenant d’échantillons d’eau afin de détecter des populations inconnues.

 

DE MULTIPLES MENACES

Séquencer le génome de Telmatobufo va contribuer à déterminer leur diversité génétique et la taille des populations sur des milliers d’années.

De nos jours, c’est une espèce menacée, mais le groupe de chercheurs espère que ce statut sera modifié pour « en danger critique d’extinction ». Les populations restantes font face à des menaces comme le changement climatique, la déforestation, les rivières polluées et les espèces invasives comme les truites et les visons.

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    Au Amphibian Conservation Laboratory, des chercheurs observent un spécimen de Telmatobufo australis, l’une des quatre espèces du genre Telmatobufo. Cette installation fait partie du Chilean Amphibian Conservation Center, supervisé par le zoo San Diego, le zoo Roger William Park, et le Wetlands Center de l’université australe du Chili.

    PHOTOGRAPHIE DE Giovanni Lo Curto

    Les scientifiques ont été confrontés à ces problèmes au cours de l’expédition : ils ont été témoins d’une nouvelle déforestation et ont dû se réinstaller après avoir repéré des truites, prédateurs connus des têtards. Ils ont traversé de vastes plantations de pins, une industrie en plein essor au Chili qui crée des forêts pauvres en biodiversité.

    José J. Nuñez, professeur à l’université australe du Chili et chef de projet, souligne l’urgence de mettre en place des mesures de conservation. Il espère élever T. venustus en laboratoire et réintroduire les spécimens à l'état sauvage.

    Les habitants et les groupes environnementaux avertissent que le projet central électrique abandonné de Ñuble de Pasada, HidroÑuble, constitue une menace pour les forêts indigènes et les habitats d’espèces menacées, notamment les Telmatobufo.

    Nuñez explique que le séquençage génétique fournira des informations sur l’évolution de ce clade ancien et pourrait remettre en question la croyance selon laquelle le Chili ne possède pas d’amphibiens venimeux. Il fait référence à des récits datant du début du 20e siècle, selon lesquels des chamanes femmes mapuches utilisaient une grenouille de rivière pour des rituels de guérison et des liens spirituels, et soupçonne que ces grenouilles étaient des Telmatobufo, produisant peut-être une toxine à partir de leurs glandes.

    « Nous nous efforçons de protéger une espèce qui possède non seulement un héritage historique en raison de son ancienne lignée, mais aussi un héritage naturel et culturel », déclare Nuñez.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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