Si nous sommes ce que nous mangeons, alors les orques sont en danger
Les orques présenteraient un taux inquiétant de produits chimiques dans leur organisme. Et selon une nouvelle étude, cela serait lié à leur alimentation, et non à leur environnement.
Les orques de la population de l'Atlantique Nord-Est, comme celle-ci en Norvège, présentent de moindres taux de pollution que leurs congénères de l'Ouest.
Les chercheurs savent depuis des décennies que les orques évoluant dans le Pacifique Nord ont dans leur organisme des polluants nocifs.
Une nouvelle étude vient de révéler que les orques de l'ouest de l'Atlantique Nord, y compris celles de l'Arctique, sont nettement plus contaminées que les spécimens vivant plus à l'est. Cette découverte a « choqué » Anaïs Remili, directrice de l'étude et chercheuse postdoctorante à l'université McGill de Montréal. L'étude indique clairement que le régime alimentaire des orques - davantage que leur situation géographique - joue un rôle majeur dans le niveau de produits chimiques retrouvé dans leur organisme.
L'étude portait sur la présence de polluants organiques persistants (POP), c'est-à-dire de produits chimiques toxiques qui se dégradent lentement et s'accumulent dans l'organisme, dans la graisse des orques de l'Atlantique Nord. Ces polluants, vestiges de processus industriels et agricoles, « ont une fâcheuse tendance à se lier aux graisses », explique Anaïs Remili, dont l'étude a été publiée en octobre dans la revue Environmental Science & Technology. Ces produits chimiques affaiblissent le système immunitaire des orques, perturbent leur système endocrinien, entravent leur croissance et le développement de leur cerveau, et pourraient même affaiblir leurs chances de reproduction.
Les taux de contamination augmentent au fur et à mesure que l'on remonte la chaîne alimentaire, et les orques, qui sont des super-prédatrices et se nourrissent principalement d'autres mammifères marins plutôt que de poissons, font partie des « animaux les plus contaminés de la planète », explique Anaïs Remili.
Ses recherches antérieures ont montré que les orques de l'Atlantique Nord-Est se nourrissent principalement de harengs, les orques de l'Atlantique Centre-Nord de phoques et de maquereaux, et les orques de l'Atlantique Nord-Ouest de mysticètes, de marsouins, de bélugas, de narvals et de phoques.
Il est logique que les orques de l'ouest de l'Atlantique Nord présentent un taux de contamination plus élevé, en raison de leur régime alimentaire, mais « on s'attendrait à ce qu'il y ait moins de polluants dans l'Arctique que dans les zones industrialisées », comme au large de la côte est de l'Amérique du Nord, explique Remili. Elle a également été surprise de découvrir que certaines orques présentaient une concentration de polluants supérieure à 90 parties par million, soit plus du double du seuil maximal au-delà duquel la reproduction chez les mammifères marins est mise en échec.
« Nous avons vraiment appris que nous sommes ce que nous mangeons », explique Peter Ross, scientifique principal et directeur du programme Eaux saines de la Raincoast Conservation Foundation en Colombie-Britannique, qui n'a pas pris part à l'étude. « Le sommet de la chaîne alimentaire, comme l'illustrent ces orques à la longue durée de vie, est extrêmement vulnérable. »
UNE ÉNIÈME MENACE
Pour cette étude, les chercheurs ont prélevé des échantillons de graisse sur 162 orques d'âges et de sexes différents dans l'Atlantique Nord, notamment dans l'Arctique canadien, au Groenland, en Islande, en Norvège et dans les îles Féroé. Les échantillons ont été obtenus entre 2008 et 2022 via différentes méthodes : certains ont été prélevés depuis des bateaux au moyen de fléchettes inoffensives destinées à réaliser des biopsies, tandis que d'autres ont été prélevés sur des individus capturés ou échoués. L'équipe a ensuite analysé les niveaux de contamination de certains échantillons en laboratoire.
Ross, dont les recherches en 2000 ont établi pour la première fois que les orques présentaient un taux inquiétant de produits polluants dans l'organisme, se demande dans quelle mesure l'âge a pu influencer les niveaux de polluants apparemment plus élevés chez les orques de l'ouest de l'Atlantique Nord. Les orques plus âgées ont plus de polluants dans leur système après avoir « accumulé des contaminants tout au long de leur vie », peut-être jusqu'à 90 ans. Les veaux des orques sont également particulièrement vulnérables puisqu'ils sont allaités par leur mère. Un veau « se situe en fait un cran plus haut dans la chaîne alimentaire que sa mère », explique Peter Ross.
Dans l'ensemble, Peter Ross estime que cette étude est une énième démonstration des effets des produits chimiques persistants dans l'environnement.
Si les scientifiques manquent de preuves pour déterminer si ces polluants affectent les taux de reproduction à l'heure actuelle, il est probable qu'ils les affaibliront dans les années à venir. L'impact des contaminants est aggravé par d'autres pressions, notamment les nuisances sonores et la faible disponibilité de proies de qualité, et certaines populations « ne seront pas en mesure de se rétablir et/ou de croître avec le temps », déclare Tanya Brown, chercheuse au ministère canadien des pêches et des océans, qui étudie les effets des contaminants sur la santé des orques.
Étant donné que l'on ne compte que 73 orques au sud, qui se nourrissent de poissons et vivent au large du nord-ouest du Pacifique, et qui ont été incluses dans l'étude, « ces pressions cumulées mèneront potentiellement à [leur] disparition ».
DES ANIMAUX MAJESTUEUX
Dans les années 1940, un boom industriel fondé sur l'utilisation de pesticides, de liquides de refroidissement et de retardateurs de flamme a répandu un grand nombre de ces polluants dans l'environnement, selon l'Agence américaine pour la protection de l'environnement. En 2001, plus de 90 pays ont signé un traité des Nations unies par lequel ils s'engageaient à ne plus utiliser certains produits chimiques et à en détruire les stocks, mais il en reste encore beaucoup, qui sont susceptibles de laisser échapper des polluants. Bien que nombre de ces produits chimiques aient été interdits il y a plus de cinquante ans, ils continuent de faire des ravages sur la santé des orques, selon Brown.
Le problème des polluants organiques persistants présents chez les orques risque de s'aggraver à mesure que le changement climatique s'accentue. Par exemple, le réchauffement des eaux arctiques pourrait attirer davantage d'orques vers le nord, où elles se nourriront de mammifères marins riches en graisses, suppose Remili.
« Cela nous indique que nous devons commencer à agir maintenant », déclare Anaïs Remili. Elle appelle les pays à détruire les déchets toxiques entreposés dans le monde entier et à empêcher la libération de nouveaux contaminants.
« Les orques sont des animaux majestueux. Si les orques venaient à disparaître, nos écosystèmes seraient complètement déséquilibrés. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.