Des chercheurs sur les traces des baleines franches australes

La chasse à la baleine franche a été interdite dans l’Atlantique Sud dans les années 1970. Qu’est-elle devenue depuis ? Des chercheurs sont partis autour de l’île de Géorgie du Sud pour effectuer la première étude sur le sujet depuis cette interdiction.

De Julie Lacaze, Kenza Sib
Les baleines franches australes se nourrissent autour de l'île sub-antarctique de Géorgie du Sud.
Les baleines franches australes se nourrissent autour de l'île sub-antarctique de Géorgie du Sud.
PHOTOGRAPHIE DE Carlos Olavarria

La vie des baleines franches reste encore relativement méconnue. De la fin du XVIIe siècle à la seconde moitié de XXe, des pêcheurs de toutes nationalités ont chassé ces cétacés pour transformer leur lard en huile servant à l’éclairage, à la lubrification d’outillage, au tannage du cuir, et même à l’alimentation. Cette espèce présentait l’avantage de nager lentement et de flotter une fois abattues, étant peu denses, car riches en graisse.

Aujourd’hui, après presque cinquante années d’interdiction de la chasse, une équipe internationale menée par le Dr Jennifer Jackson, écologue britannique, tente de comprendre comment les populations de baleines franches australes se sont relevées et veut créer une base de données solide sur l’espèce. Les scientifiques ont entamé un vaste projet de recherche, qui s'achèvera en 2020. Il comprend deux missions d'observation à bord du Song of Whale. Le navire scientifique vogue dans une aire maritime protégée, couvrant un site important d’alimentation des baleines, ancien épicentre de la chasse, située autour des îles de Georgie du Sud et Sandwich du Sud. La première expédition s’est tenue à la saison estivale 2017-2018. La seconde se déroulera à l’été 2018-2019. Un compte-rendu de la première est disponible depuis avril 2018 sur le site Research Gate. Les objectifs de l’étude sont multiples : suivre l’état de santé des baleines, leur nombre, leur diversité génétique, reconstituer leurs repas, ou encore déterminer où elles trouvent leur nourriture.

En janvier 2018, les scientifiques ont sillonné les eaux baignant les îles de Géorgie du Sud, durant presque un mois – avec Stanley, dans les îles Malouines, comme point de départ et d’arrivée. Ils ont d’abord localisé des baleines franches grâce à 27 bouées acoustiques disposées dans la réserve marine. Ces appareils peuvent enregistrer à 15 km alentour le chant des baleines – des sons spécifiques à chaque espèce, émis dans les basses fréquences, pour communiquer ou se repérer. L’équipe compte décrire au passage le répertoire sonore de l’espèce.

Une fois les cétacés localisés, les scientifiques ont pris des clichés pour mieux les identifier. Grâce à des fléchettes spécialement conçues, munies d’une pointe modifiée, ils ont prélevé des fragments de peau. Conservés à -80 °C, ces échantillons sont riches en informations. Ils contiennent de l’ADN (pour identifier l’origine génétique des baleines), des traces hormonales (pour déterminer si certaines sont gestantes), ou encore des isotopes chimiques (pour reconstituer leurs repas).

Afin de continuer le suivi une fois à terre, via des satellites, les chercheurs devaient installer des puces RFID sur 12 individus. Deux drones auraient dû également être envoyés au-dessus des baleines pour réaliser des analyses morphologiques de leur tête et prélever des échantillons microbiens. Mais les mauvaises conditions météo, avec un océan agité, des pluies battantes, une mauvaise visibilité et des vents violents, n’ont pas permis de déployer ces technologies.

Certaines données ont malgré tout pu être recueillies. 31 baleines franches ont été identifiées, 7 prélèvements cutanés tentés (4 ont abouti) et 1 617 clichés réalisés. L’équipe a également donné une dimension participative à son travail de terrain. Elle a ouvert un partenariat avec l’Association internationale des voyagistes antarctiques (IAATO) et des organisateurs de croisières naturalistes, proposant aux touristes observateurs de partager leurs photos de baleines via la plateforme collaborative  Happy Whale. Les scientifiques se chargeront ensuite d’identifier et de localiser les cétacés..

Toutes ces informations, en cours d'analyse, aideront également à répondre à une question : pourquoi les progénitures des baleines franches australes meurent-elles précocement ? Les écologues ont observé que l'espèce met bas au niveau de la péninsule Valdès, sur la côte est de l’Argentine. En dix ans (2003-2013), 606 baleineaux sont décédés. Cela représente 91 % des décès de baleines recensés dans la région.  La qualité et la quantité de nourriture disponible en Géorgie du Sud joue probablement un rôle fondamental dans cette hécatombe. C’est ce que les chercheurs tentent de déterminer.

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