Exclusif : Des diplomates nord-coréens sont accusés de contrebande d'ivoire
Un nouveau rapport identifie au moins 18 diplomates nord-coréens qui seraient impliqués dans la contrebande d'ivoire.
En République Démocratique du Congo, Place Braconnier, à Kinshasa, de nombreux échanges se font. Parmi ceux-ci les trocs et contrebandes d'ivoire, de peaux de léopards, de dents de lions, de cornes de koudou et d'autres produits illicites issus du commerce d'espèces sauvages.
C'est le long des étals de la Place Braconnier que Daniel Stiles, un conservationniste indépendant travaillant à la surveillance d'un réseau de trafic d'ivoire, a croisé des acheteurs coréens pour la première fois en 1999. Ils achetaient des défenses et des sculptures d'ivoire qui, selon lui, avaient pour destination la Corée du Sud. Mais lorsqu'il s'est rendu en Corée du Sud, il a constaté que le marché pour les produits dérivés de l'ivoire était quasi inexistant.
C'est seulement plusieurs années plus tard que Stiles a réalisé son erreur : les acheteurs croisés sur la Place Braconnier étaient sans aucun doute Nord-Coréens, et non Sud-Coréens.
D'après plusieurs sources, historiennes, scientifiques, et gouvernementales, l'implication de diplomates nord-coréens dans le commerce illégal d'ivoire serait notoire. Jusqu'à présent leur implication était surtout connue sur les marchés européen et asiatique, mais un nouveau rapport révèle que l'Afrique et sa faune occupent également une part proéminente dans les activités illicites de la Corée du Nord.
Selon ces nouvelles recherches, publiées par le Global Initiative Against Transnational Organized Crime, une organisation basée à Genève dont le but est de renforcer les actions gouvernementales, au moins 18 instances incluant des diplomates nord-coréens ont été appréhendées pour trafic d'ivoire et de cornes de rhinocéros ces 30 dernières années. Le nombre de cas non-détectés est sans doute encore plus important.
UN ÉTERNEL RECOMMENCEMENT
Julian Rademeyer, auteur du rapport, a été le premier à tirer la sonnettes d'alarme, quand il a eu vent d'une étrange affaire. En mai 2015, Pak Chol-Jun, un conseiller politique auprès de l'ambassade nord-coréenne de Pretoria (Afrique du Sud), et Kim Jong-Su, maître de taekwondo lui aussi basé dans la capitale sud-africaine, ont été surpris au Mozambique avec près de 100 000 dollars en liquide et près de 4.5 kilos de cornes de rhinocéros.
L'ambassadeur nord-coréen en Afrique du Sud a négocié la libération des deux hommes, mais le conseiller politique a tout de même été expulsé du pays. Dans le même temps, le maître de taekwondo, qui est aussi suspecté d'être un espion nord-coréen selon les sources confidentielles de Julian Rademeyer, a expliqué à ses élèves qu'il devait rendre « visite à sa famille », et n'est jamais revenu.
« Ne serait-ce qu'essayer d'obtenir une confirmation de l'existence de l'incident a été un cauchemar », raconte Rademeyer. « Mais ça a piqué ma curiosité sur l'implication des diplomates nord-coréens dans le commerce illégal d'ivoire et de cornes de rhinocéros. »
Des incidents similaires sont reportés de temps à autres par les médias au Mozambique mais Rademeyer a découvert un réseau bien rodé d'activités illégales. Selon des sources haut-placées qu'il a pu contacter pour obtenir des entretiens, des officiels des ambassades et des attachés militaires participeraient à la contrebande d'ivoire depuis l'Angola, l'Éthiopie et la République démocratique du Congo, et à la contrebande de cornes de rhinocéros depuis l'Afrique du Sud et le Mozambique.
Il est parfois admis (à tort) que les diplomates bénéficient d'une immunité les protégeant des enquêtes et des arrestations et les Nord-Coréens semblent tirer parti de cette supposition pour transporter des produits issus du commerce illégal d'espèces sauvages vers la Chine.
Un indicateur de Julian Rademeyer, un ancien médiateur en import-export qui possédait un passeport diplomatique et vit à présent à Séoul, a expliqué que son travail permettait de faciliter les transactions entre les diplomates basés en Afrique et les réseaux criminels chinois. Les diplomates nord-coréens « prenaient l'avion pour Pékin et rejoignaient des contrebandiers chinois. J'arrangeais la rencontre et organisais l'échange avec une devise forte, » explique-t-il, faisant référence au trafic de cornes de rhinocéros, d'ivoire et de pépites d'or.
Il ajoute que les diplomates pouvaient faire trois à quatre voyages de ce type par an.
Les plus vieux incidents listés par Rademeyer remontent à 1986. À l'automne 2016, deux cas coup sur coup ont impliqué des Nord-Coréens arrêtés à l'aéroport international de Bole, en Éthiopie. Le premier diplomate transportait 76 pièces d'ivoire sculptées dans son sac, le second 200 bracelets en ivoire. Les deux hommes se rendaient en Chine. mais quand l'un deux a montré son passeport diplomatique, il a été relâché immédiatement sans inculpation.
« Peu d'officiers prennent le risque de retenir un diplomate, de peur de subir les foudres de leur hiérarchie, » continue Rademeyer, « Il y a là un réel problème juridique. »
UN CRIME PUNI À L'INTERNATIONAL
L'Afrique est le seul continent où les diplomates nord-coréens se risquent à prendre part à des activités illicites. Cette contrebande s'est probablement organisée au milieu des années 1970, quand la Corée du Nord a renoncé à s'acquitter de ses dettes et a perdu la possibilité d'emprunter de l'argent. La nation était alors à la recherche de n'importe quel moyen pour gagner de l'argent, et les diplomates appauvris (ils ne gagnent qu'environ 1 000 euros par mois aujourd'hui), ont eu à charge de trouver de nouveaux moyens d'enrichissement personnel.
Les indicateurs qui ont travaillé pour les ambassades nord-coréennes racontent que pendant les négociations ils ne se nourrissaient que de riz blanc. Comme l'un d'eux l'a confié à Rademeyer, « Quand nous avons la possibilité de voyage, on fait tout pour gagner le plus d'argent possible. »
Une portion importante bien qu'indéfinie de leurs revenus doit être envoyée à Pyongyang au titre de "revenu loyal" ou "taxe révolutionnaire".
Selon Stephan Blancke, un chercheur en sciences politiques au King’s College de Londres, le gouvernement est peu regardant sur la légalité des fonds entrants. « Pour le gouvernement nord-coréen, ce n'est pas un problème que leurs diplomates soient impliqués dans des trafics de contrebande, du moment qu'ils paient la taxe révolutionnaire et qu'ils offrent des présents lors d'anniversaires ou d'occasions spéciales, » dit-il, faisant référence aux fêtes nationales comme l'anniversaire de Kim Il-Sung.
En 1976, les pays scandinaves ont expulsé 12 diplomates nord-coréens après avoir découvert qu'ils faisaient partie d'un réseau de contrebande de vodka polonaise, de cigarettes et de haschisch. Malgré la sanction, les pratiques de l'ombre ont continué de plus belle. Près de 150 cas impliquant des Nord-Coréens ont été recensés. La plupart étaient des diplomates, qui étaient récompensés lorsqu'ils rentraient en Corée du Nord.
Avec les usines nord-coréennes produisant des méthamphétamines de bonne qualité à destination du marché chinois notamment, les diplomates du pays sont moins engagés dans le trafic de drogues qu'ils ne l'ont été. Mais d'après ce nouveau rapport, il est évident qu'ils sont toujours impliqués dans les contrefaçons pharmaceutiques, la contrefaçon de dollars et le trafic de cigarettes, et qu'ils ont illégalement obtenu de l'or, des joyaux, des armes et des produits issus du commerce d'espèces sauvages.
« La contrebande est comprise dans les revenus de la Corée du Nord et elle doit perdurer pour permettre au régime de rester en place, » avance le rapport. « Tout le régime repose sur la circulation d'argent liquide. »
Contactée par email, un représentant de l'ambassade de la République Démocratique de Corée à Pretoria a nié tout engagement de ressortissants diplomates dans le trafic illégal de cornes de rhinocéros, d'ivoire et de contrebande. « Nous sommes persuadés que ce rapport a été fabriqué de toutes pièces sans preuves, pour critiquer l'indépendance et la souveraineté de notre État » a écrit cette source anonyme.
POUR LES DIPLOMATES, PEU DE RISQUES ET DE NOMBREUX REVENUS
Les sanctions prises récemment contre la Corée du Nord vont certainement accentuer d'avantage le trafic opéré par les diplomates du pays. Cela induit plus de trafic d'espèces sauvages, qui leur assure des revenus avantageux pour peu de risques. Un indicateur basé à Séoul a expliqué à Rademeyer qu'entre 2011 et 2014, des diplomates ont perçu environ 10 000 euros de profit sur chacune des valises transportant six à dix kilos d'ivoire et environ 35 000 euros pour 1 kilo de corne de rhinocéros blanc. Les cornes de rhinocéros noir sont elles vendues à 70 000 euros le kilo.
Les sacs des diplomates sont rarement fouillés, et même lorsqu'ils le sont, les persécutions pour les citoyens ordinaires sont relativement rares pour les crimes liés au trafic d'espèces sauvages.
Expulser les diplomates nord-coréens peut sembler être la meilleure solution pour contrer ce type d'activités illégales. Mais des pays comme l'Ouganda, l'Angola et la Guinée équatoriale ont reçu l'aide de la Corée du Nord dans leur lutte pour l'indépendance. Ces liens historiques les obligent aujourd'hui encore.
Mais d'autres pays comme le Zimbabwe ou le Botswana ont fermé l'ambassade de la Corée du Nord (bien que cette dernière a aidé le président Robert Mugabe à s'imposer à la tête du Zimbabwe en lui portant assistance d'un point de vue militaire) à cause du trafic d'ivoire et de cornes de rhinocéros.
« Le consensus anti-Corée du Nord qui est en train de se mettre en place repose aussi sur les activités illégales que mènent les diplomates nord-coréens à l'étranger. Dans ces conditions, il est de moins en moins intéressant d'avoir un représentant de la Corée du Nord dans votre pays, » estime Ben Young, un doctorant en histoire coréenne à l'université George Washington à Washington, D.C.
Même si les 10 ambassades nord-coréennes restantes en Afrique sub-sahariennes venaient à fermer, cela ne réglerait pas le problème de trafic d'espèces sauvages. Même si le nombre de Nord-Coréens pris sur le fait ne représente que la partie émergée du problème, le trafic auquel il prenne ne représenterait qu'une partie de la mise à mort des 1000 rhinocéros tués chaque année sur le continent africain.
Par ailleurs, les Nord-Coréens ne sont pas les seuls diplomates impliqués dans le trafic d'espèces sauvages comme le montre la recherche de Rademeyer qui reporte 13 autres cas de diplomates basés en Afrique - pour la plupart Chinois et Vietnamiens - et participant à la contrebande d'ivoire et de cornes de rhinocéros.
« Mais ils contribuent au massacre des 7 100 rhinocéros tués par les braconniers au cours de la dernière décennie. »
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