Les baleines franches de l'Atlantique nord pourraient bientôt disparaître (à cause de nous)
Moby Dick a rendu les baleines franches de l'Atlantique Nord célèbres, tout en leur mettant une cible dans le dos. Aujourd'hui, elles sont de nouveau en voie d'extinction et ne seraient plus que 365 à l'état sauvage.
Une baleine franche de l’Atlantique Nord nage à la surface de la baie du cap Cod pour se nourrir. Autrefois, on observait des milliers de baleines franches le long de la côte est des États-Unis, mais aujourd’hui, il n’en reste qu’environ 350.
Le 6 janvier 2024, un baleineau de l’espèce des baleines franches de l’Atlantique Nord a été aperçu en Caroline du Sud, des blessures dévastatrices sur la tête, la bouche et la lèvre, causées par l’hélice d’un bateau. Des responsables de la National Oceanic and Atmospheric Administration (Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique) ont déclaré qu’il allait avoir du mal à se nourrir et qu’il mourrait probablement de ses blessures.
Lorsqu’il a été aperçu à nouveau, plus d’une semaine plus tard, ses plaies semblaient guérir mais cela n’a pas suffi à rassurer les experts, inquiets non seulement pour cet individu, mais aussi pour le reste de la population.
Cette espèce a été décimée par la chasse à la baleine au 19e siècle et elle ne compte plus que 356 individus. La surpêche et les collisions avec les bateaux pourraient-elles les achever ?
LA SITUATION CATASTROPHIQUE DES BALEINES FRANCHES DE L’ATLANTIQUE NORD
En 1851, dans son roman Moby Dick, Herman Herville décrivait les baleines franches comme « le plus vénérable des léviathans, ayant constitué le premier gibier poursuivi par les baleiniers. »
Elles étaient les parfaites baleines aux yeux des baleiniers, qui les chassaient pour leur huile et leurs fanons. Ces nageuses lentes se promenaient près des côtes et, une fois mortes, elles flottaient, ce qui facilitait la tâche des harponniers de récupérer leur corps.
Dans les années 1930, au moment où des lois visant à les protéger furent établies, la population de baleines franches, qui comptait autrefois 21 000 individus, était déjà quasiment éteinte. « On pensait alors qu’il ne restait plus que quelques dizaines de ces animaux », raconte Amy Knowlton, chercheuse principale de l’aquarium de Nouvelle-Angleterre.
L'espèce s'est rétablie, atteignant près de 500 individus en 2010, avant de chuter à nouveau aux alentours de 2017. Le déclin le plus récent s'est stabilisé, mais l'espèce est toujours en danger critique d'extinction. Sur les treize baleineaux nés cette saison, un est blessé et deux autres sont portés disparus.
Les baleines franches de l'Atlantique Nord, dites « urban whales » (baleines urbaines), se trouvent généralement près des côtes entre la Floride et le Canada atlantique. Les voies maritimes, les zones de pêche et les activités des bateaux de plaisance empiètent sur leur habitat, y compris sur les aires de mise bas.
LA MENACE DES BATEAUX
Les bateaux constituent l’une des principales menaces pour les baleines franches car il arrive qu’elles entrent en collision avec eux. Les mères et leurs petits sont les plus à risque car, bien qu’ils soient très souvent à la surface, on sait qu’ils sont difficiles à percevoir. Même les « observateurs de baleines franches [entrainés] peinent souvent à en voir depuis un bateau », affirme Francine Kershaw, scientifique principale du Conseil de défense des ressources naturelles américain.
Dans le sud-est des États-Unis, les navires de plus de vingt mètres ont interdiction de dépasser une vitesse de dix nœuds (environ 18,5 kilomètres par heure) entre novembre et avril, lorsque les baleines mettent bas et sont les plus vulnérables. Les recherches montrent que le respect de ces limites de vitesse protège les différentes espèces de baleines.
Cela revient à « traverser lentement une zone scolaire pour ne pas blesser d’enfant » explique Regina Asmutis-Silvia, directrice exécutive de l’ONG britannique Whale and Dolphin Conservation.
Cependant, selon le programme Ship Speed Watch d'Oceana, 79 % des navires ont enfreint les limites de vitesse entre le 9 décembre 2023 et le 3 janvier 2024. L'un d'entre eux a plus que triplé la limite de vitesse, voyageant à 35,8 nœuds (66 kilomètres par heure).
Harry Eckman est PDG de la World Cetacean Alliance, une organisation à but non lucratif qui dispense une formation en ligne concernant la prévention des collisions avec les navires, à destination des compagnies maritimes, y compris celles qui participent aux expéditions de National Geographic. Pour lui, la solution est « si simple » : il suffit de savoir où les baleines vont se trouver, avoir un observateur sur le pont et ralentir à l’approche des animaux.
Le fait de voyager plus lentement permet également de réduire les émissions de CO2 et la consommation de carburant, ce qui constitue une économie d'argent, « sans compter les avantages évidents pour l'environnement et pour la réputation de ne pas tuer de baleines » ajoute-t-il.
Si les limitations de vitesse ne s'appliquent qu'aux grands navires, les bateaux plus petits ne sont pas exempts de causer des blessures mortelles. En 2021, un bateau de seize mètres a tué un baleineau. « Malheureusement, cette taille de navire n'est pas concernée par les règlementations de vitesse, car elle s'applique aux navires de plus de vingt mètres », explique Knowlton.
Des propositions ont été faites pour inclure à cette loi les bateaux de plus de dix mètres, soit la taille d'un bus scolaire, mais elles n'ont pas encore été mises en place.
Les défenseurs de l'environnement attendent avec impatience une mise à jour, d'autant plus qu'il n'existe actuellement aucune technologie permettant aux navires de détecter les baleines en temps réel. Ralentir est la seule solution viable à l'heure actuelle pour les protéger des collisions.
PRISES AU PIÈGE LORS DE PÊCHES
En partageant leur espace avec les zones de pêche, les baleines franches de l'Atlantique Nord risquent de se prendre dans les engins de pêche.
« Jusqu'à 86 % de la population s'est empêtrée au moins une fois, jusqu'à neuf fois pour certains », explique Knowlton.
Les pêches à engins fixes, qui ciblent des espèces telles que le crabe et le homard, nécessitent de mettre en place un piège dans les fonds marins, attaché à un câble relié à une bouée en surface pour éviter que l'équipement ne se perde en mer.
Lorsque ce type de cordage se trouve sur leur chemin, les baleines prennent peur. Surprises, au lieu de s'éloigner, « elles paniquent et s’enroulent dedans », explique Asmutis-Silvia.
Ces cordages peuvent entailler les animaux, couper leur circulation sanguine, provoquer des infections et les empêcher de se nourrir en les blessant au niveau de la bouche. L'animal peut mettre six mois à mourir.
Pour éviter ces situations, les engins de pêche modifiés sur demande, ou sans cordage, stockent les filets au fond de la mer. Lorsque les pêcheurs reviennent pour récupérer leurs prises, ils utilisent un signal acoustique pour ramener la ligne de bouée à la surface.
En plus d’empêcher les enchevêtrements, le retrait des cordages de l'eau évite également à l'industrie de perdre des équipements coûteux ou d'attraper des espèces non ciblées qu'elle ne peut pas vendre.
LES JARDINIÈRES DE L’OCÉAN
Outre le transport maritime et la pêche, les effets du changement climatique rendent plus difficile la recherche de nourriture pour les baleines franches. Cela entraîne la malnutrition et les pousse à sortir des zones protégées, qui ont été désignées en fonction de la répartition antérieure de l'espèce.
« La disparition définitive des baleines franches de l'Atlantique Nord est une vraie possibilité », déclare Kershaw, qui prévoit que l'espèce pourrait dépasser le stade de la possibilité de reconstitution dans un peu plus de dix ans.
Les baleines sont essentielles à l'écosystème car elles jouent un rôle important dans la circulation des nutriments dans l'océan : elles se nourrissent dans les eaux profondes et font leurs besoins à la surface. Que deviendrait l'océan si les baleines franches disparaissaient ?
Il existe une analogie en matière de conservation, explique Asmutis-Silvia, qui compare chaque espèce d'un écosystème à un boulon d'un avion. L'avion peut continuer de voler sans quelques boulons, mais combien de boulons peut-il perdre avant de s’écraser ?
En ce qui concerne la perte de biodiversité, « je ne veux pas savoir quel boulon était [celui de trop] », dit-elle.
Les humains sont le problème, nous pouvons donc trouver une solution, affirme Asmutis-Silvia. « La population est viable et peut se rétablir si nous cessons de la tuer. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.