Finie la castration : cette contraception permet d'éviter les interventions chirurgicales chez les chats
Des scientifiques ont mis au point une thérapie génique pour stériliser les chats. Ce traitement définitif et simple à administrer pourrait réduire la mortalité des oiseaux et des petits mammifères.
Voici quelques-unes des 21 chattes domestiques du Center for Conservation and Research of Endangered Wildlife (CREW) du Cincinnati Zoo and Botanical Garden qui ont participé à l’étude sur la thérapie génique. C’était la première fois qu’une stérilisation était pratiquée à l’aide d’une injection unique plutôt que par une anesthésie générale suivie d’une intervention chirurgicale.
Aux États-Unis, les chats domestiques tuent chaque année jusqu’à 4 milliards d’oiseaux et 22 milliards de petits mammifères. Ces décès d’animaux sauvages dépassent de loin ceux provoqués par l’homme lors par exemple d’empoisonnements accidentels et de la destruction des habitats, et constituent une menace immédiate pour la santé et la diversité de la faune sauvage. Pour pallier ce problème, l’une des solutions est de contrôler la fertilité des chats.
Une équipe dirigée par David Pepin, biologiste de la reproduction à Harvard, et William Swanson, directeur de la recherche animale au zoo de Cincinnati, a mis au point une méthode novatrice et fiable de contraception par thérapie génique pour contrôler les populations de chats, qu’il s’agisse de chats de compagnie, de chats sauvages ou de chats errants.
Oiseaux, rongeurs, reptiles et autres animaux amenés au WildCare Animal Hospital de San Rafael, en Californie, ayant subi des blessures mortelles causées par des chats en 2019.
« Sur certaines îles, les populations de chats sauvages pullulent en raison de l’absence de prédateurs », ce qui entraîne l’extinction des mammifères, des reptiles et des oiseaux locaux, explique Roland Kays, écologiste et spécialiste de la conservation des mammifères à l’Université d’État de Caroline du Nord. Kays, qui a étudié le territoire de chasse des chats de compagnie, souligne que les quartiers qui bordent les réserves naturelles ou les plages peuvent être particulièrement problématiques pour les espèces vulnérables et menacées.
Les programmes de piégeage, de stérilisation et de remise en liberté, dans le cadre desquels des intervenants piègent, stérilisent et relâchent les chats, peuvent servir à contrôler en partie la croissance des populations félines, mais l’indisponibilité des vétérinaires constitue un goulot d’étranglement, explique Swanson. « On voulait pouvoir se passer des chirurgiens hautement qualifiés pour que des amateurs soient à la place autorisés à pratiquer des injections de stérilisation ».
Lindsey Vansandt, directrice du programme « Imperiled Cat Signature », prend le temps de jouer avec les chats qui participent à l’étude de thérapie génique du zoo. Elle et les autres chercheurs s’efforcent d’améliorer la vie des chats sauvages et de réduire le nombre d’animaux euthanasiés dans les refuges chaque année. « Nous savons que ces chats ont des vies plus difficiles et plus courtes que les chats d’intérieur », écrit-elle. « Les experts en bien-être animal considèrent depuis longtemps la stérilisation comme l’une des meilleures solutions pour réduire humainement leur niveau de population. »
DE L’HOMME AU CHAT
Pepin est entré dans le monde de la contraception féline en s’intéressant au développement du cancer de l’ovaire. À la recherche d’un possible traitement du cancer de l’ovaire, son conseiller postdoctoral étudiait l’hormone anti-mullérienne (AMH), qui joue un rôle important dans le développement des organes sexuels masculins chez le fœtus. C’est alors que Pepin a découvert que l’hormone avait un impact important sur l’ovaire et ses follicules, les structures à l’intérieur des ovaires qui abritent les futurs ovules.
L’hormone « était beaucoup plus puissante que nous ne le pensions », explique Pepin. « Grâce à elle, nous pouvions pratiquement prendre le contrôle de l’ovaire et contrôler la vitesse de développement des follicules. » Pepin a immédiatement perçu le potentiel de l’hormone en tant que contraceptif.
Dans les années 1960, la planification familiale a connu un tournant lorsque les chercheurs ont introduit les contraceptifs oraux pour femmes, à base d’œstrogène et de progestérone. La pilule agit sur les derniers stades du développement folliculaire, mais ce médicament présente des inconvénients puisqu’il peut provoquer des effets secondaires, comme de l’hypertension artérielle et la formation de caillots sanguins.
Vansandt, à gauche, et son équipe procèdent à une échographie sur une chatte enceinte, nommée Leia en hommage à la princesse de l’univers de Star Wars. Les chats domestiques partagent avec tous les félins non domestiques une lignée génétique issue d’un ancêtre commun datant d’il y a 11 millions d’années. Ils constituent donc d’excellents sujets pour étudier la physiologie de la reproduction de toutes les espèces de félins, allant des jaguars aux tigres.
L’hormone anti-mullérienne agit tôt sur les follicules primordiaux, ces structures présentes dès la naissance, avant qu’ils ne deviennent sensibles à l’hormone folliculo-stimulante (FSH) libérée par l’hypophyse et qui stimule la croissance des follicules dans les ovaires. Après la puberté, ces follicules commencent à mûrir par lots de 20 environ lors de chaque cycle ovarien, jusqu’à ce que l’un d’entre eux soit sélectionné pour libérer un ovule en vue d’une éventuelle fécondation. Ce processus est hautement coordonné : c’est le fruit d’une série de boucles de rétroaction hormonale positives et négatives reliant l’hypothalamus, l’hypophyse et les ovaires.
Produite par les follicules en développement, l’hormone participe à la rétroaction négative qui empêche les follicules primordiaux de mûrir tout en ralentissant le développement des autres. Contrairement aux œstrogènes et à la progestérone, qui ont des récepteurs dans tout l’organisme, y compris dans les os, le cerveau et le système immunitaire, les récepteurs de cette hormone sont en grande partie confinés aux ovaires, à l’hypophyse et à l’utérus.
« Il y a donc très peu d’effets secondaires », explique Pepin.
Malheureusement, les recherches étaient au point mort. « Les financements destinés à la santé des femmes étaient bas, et ce particulièrement pour la contraception car l’on pensait qu’il n’était pas nécessaire d’innover dans ce domaine », explique Pepin. C’est alors que la Michelson Found Animals Foundation est intervenue. Bien que la contraception chirurgicale ne prenne que quelques minutes pour les chats, et jusqu'à une demi-heure pour les chattes, la procédure, qui nécessite que l’animal soit sous anesthésie générale, comporte toujours des risques (douleurs, saignements postopératoires et infections). Motivée par la surpopulation des refuges et les préoccupations en matière de bien-être animal, l’organisation à but non lucratif a financé des recherches visant à mettre au point des contraceptifs permanents non chirurgicaux pour les animaux de compagnie.
CONTRACEPTION PAR THÉRAPIE GÉNIQUE
Grâce au soutien de la fondation, Pepin a étendu ses travaux aux chats. Pour tester l’impact de l’hormone sur cette nouvelle population, lui et ses collaborateurs ont eu recours à la thérapie génique, dont le principe est d’insérer dans des cellules un gène codant pour l’hormone afin que les niveaux de cette molécule soient plus élevés que la normale chez les chats.
Swanson a adopté les trois chats de l’étude initiale sur les hormones et la thérapie génique. Catalina, à gauche, et Antilles sont toujours avec lui. Ces trente dernières années, il s’est concentré sur l’étude de la biologie de la reproduction des chats domestiques et des espèces de chats sauvages de petite taille menacées d’extinction, afin d’améliorer la gestion de leurs populations et leur conservation, ainsi que pour étudier des approches non chirurgicales de stérilisation des chats sauvages.
Les chercheurs ont injecté un virus portant la version féline du gène de l’hormone dans les muscles de six animaux. Ils ont également inoculé des virus qui ne contenaient pas le gène à trois chats, lesquels ont servi de sujets témoins dans les expériences. Le processus est définitif : le gène pénètre l’ADN des cellules musculaires des chats et continue à produire l’hormone pendant des années, bloquant le développement des follicules au point qu’ils ne libèrent jamais d’ovule pour la fécondation.
Cependant, lorsque les chercheurs ont examiné la quantité des diverses hormones dans le sang et les excréments des animaux après traitement, ils ont été surpris de constater que nombre d’entre elles, dont l’œstrogène, présentaient des taux similaires à ceux retrouvés chez les témoins. Cela signifie que certains follicules sont sortis du stade primordial et ont sécrété l’hormone. Le traitement ne se limite donc pas à simplement empêcher le développement des follicules.
« Quelques follicules se sont tout de même activés, mais ils n’ont pas mûri comme ils l’auraient fait normalement ; ils ont été retardés », explique Pepin. Pourtant, grâce à de solides mécanismes de rétroaction, ce petit groupe de follicules était toujours capable de produire des quantités d’œstrogènes proches de la normale ; un détail non négligeable compte tenu de l’importance de cette hormone pour la santé osseuse et cardiovasculaire.
Au cours du cycle, cependant, les follicules ont faibli, leur développement s’étant interrompu avant l’ovulation.
Des essais d’accouplement, au cours desquels les chattes étaient hébergées avec un chat mâle fertile, ont confirmé que le traitement hormonal bloquait la fertilité. Bien que deux des six chattes traitées se soient accouplées avec le mâle, aucune n’est tombée enceinte. À l’inverse, les trois chattes témoins ont eu de deux à quatre chatons après avoir été en contact avec le mâle. Le fait que les chattes traitées qui se sont accouplées ne soient pas tombées enceintes malgré leurs niveaux d’œstrogène normaux suggère que l’hormone a bel et bien bloqué l’ovulation et provoqué une infertilité.
La stérilisation par injection unique éviterait aux chattes de subir une opération chirurgicale longue et coûteuse pour être stérilisées. Cela aiderait des organisations telles que la Fondation Balam, qui offre des services de stérilisation gratuits aux chats et aux chiens dans les communautés mexicaines défavorisées.
Pepin comprend que ses travaux puissent susciter des inquiétudes. « Nous avons créé un virus qui rend stérile... c’est comme ça que commencent de nombreuses histoires de science-fiction. Vous pouvez cependant mettre de côté vos craintes qu’une vague d’infertilité s’abatte sur le monde. » Les virus adéno-associés ne peuvent pas se répliquer, il n’y a donc aucun risque de propagation de ce moyen de contrôle des naissances, qui ne fonctionne pas non plus d’une espèce à l’autre.
Pour la suite, les chercheurs souhaiteraient réduire le coût de la thérapie génique, trouver des moyens efficaces de l’administrer et mettre au point une version du traitement pour les chiens. Pepin a également cofondé une société chargée d’étudier l’utilisation de l’AMH chez l’homme, notamment par injection directe de l’hormone, ce qui, contrairement à la thérapie génique, serait totalement réversible.
Pour Grant Sizemore, propriétaire de chats et biologiste de la conservation à l’American Bird Conservatory à Washington, D.C., la menace que représentent les chats pour la faune sauvage est indubitable et évidente. « Les chats pourraient provoquer la disparition de nombreuses espèces car ce sont des prédateurs terriblement efficaces et omniprésents dans leur environnement », souligne-t-il. Sans oublier qu’ils véhiculent des maladies, comme la toxoplasmose, causée par des parasites, qui est capable de décimer des espèces menacées comme le phoque moine d’Hawaï et la corneille d’Hawaï.
Pour autant, Sizemore n’est pas un adepte des programmes qui stérilisent les chats pour ensuite les relâcher. « Ces programmes maintiennent délibérément les chats dans le paysage, mais un chat stérilisé continuera à chasser, à tuer des animaux sauvages et à propager des maladies », explique Sizemore. Il met également en doute l’efficacité de ces stratégies, citant une étude ayant démontré qu’elles n’ont pas réussi à freiner la croissance des populations félines dans deux comtés de Floride et de Californie.
Une analyse de 2019 portant sur diverses stratégies, dont la capture de chats, leur stérilisation et l’inaction, indique toutefois que la stérilisation intensive, qui consiste à traiter au moins 75 % de la population, pourrait efficacement réduire le nombre de chats de 50 % en dix ans.
Selon Swanson, qui travaille sur ce projet depuis sept ans, la relative simplicité de la thérapie génique par rapport aux autres solutions renforcera cette efficacité. « Ça pourrait vraiment changer la donne si l’on arrivait à faire fonctionner [cette technique] aussi bien que prévu. »
Quatre vétérinaires ont travaillé 14 heures par jour pour stériliser 237 chats au cours d’un week-end.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.