Inédit : des orques ont été filmées en train d'attaquer des baleines bleues

« Il s’agit de la plus grosse prédation au monde, impliquant le plus grand superprédateur et la plus grande proie. »

De Claudia Geib
Publication 27 janv. 2022, 17:08 CET
killer whale

Les orques (ici photographiées dans les Caraïbes) vivent en groupes familiaux qui chassent ensemble.

PHOTOGRAPHIE DE Brian Skerry, Nat Geo Image Collection

Tout a commencé par une course poursuite. Douze orques pourchassaient leur proie, attendant que celle-ci s’épuise. Lorsque leur victime a enfin ralenti, d’autres orques se sont jointes au groupe, désormais composé de vingt mâchoires se refermant sur la chair de leur victime. Quelques minutes plus tard, les prédateurs ont uni leur force pour immerger leur proie. Elle n’est jamais remontée à la surface.

Cette scène de chasse, observée au large de Bremer Bay, dans le sud-ouest de l’Australie, est loin d’être ordinaire. Il s’agit de la première fois où des humains observent des orques, aussi connues sous le nom de « baleines tueuses » en anglais, qui chassent avec succès une baleine bleue, plus grand animal au monde et espèce menacée, et s’en nourrissent.

Dans une nouvelle étude parue cette semaine dans la revue Marine Mammal Science, les scientifiques ont décrit au total trois chasses fructueuses de baleines bleues, survenues en mars et en avril 2019, ainsi qu’en mars 2021.

« Il s’agit de la plus grosse prédation au monde, impliquant le plus grand superprédateur et la plus grande proie », explique Robert Pitman, coauteur de l’étude et écologiste marin à l’Institut des mammifères marins de l’université d’État de l’Oregon. « Les dinosaures n’existant plus, c’est quelque chose de formidable pour moi en tant que biologiste spécialiste des baleines et zoologue ».

Nous savons que les orques s’attaquent à presque toutes les autres espèces de grands cétacés au monde, mais elles ciblent principalement des jeunes. Et ces actes sont de plus en plus observés, grâce aux vidéos amateurs réalisées à l’aide d’un portable ou d’un drone. Ainsi, en 2017, un drone a filmé des orques s’en prendre à une baleine bleue, sans la tuer, au large de Monterey, en Californie.

Des orques à l'assaut d'une baleine bleue

« Ce n’était qu’une question de temps avant qu’une telle observation soit faite », confie David Donnelly, chercheur à l’Institut de recherche sur les dauphins d’Australie et responsable du projet de science citoyenne Killer Whales Australia.

D’après lui, il y avait de bonnes chances pour que cela se produise à Bremer Bay, puisque les orques y sont généralement présentes d’une année sur l’autre.

Le fond marin de Bremer Bay présente un canyon profond d’où jaillit de l’eau froide riche en nutriments qui remonte à la surface et subvient aux besoins d’une chaîne alimentaire extrêmement diverse, du phytoplancton en passant par les thons rouges du Sud, les saumons, les cachalots, les baleines à bec (une espèce rare) et plusieurs espèces de requins.

« Tout ce qui passe dans cette région risque de finir dans la gueule d’une orque », constate David Donnelly, qui n’a pas pris part à l’étude.

 

L’IMPORTANCE DU TRAVAIL D’ÉQUIPE

Au cours de deux de ces chasses, les orques ont ciblé de jeunes animaux, dont un baleineau et un juvénile âgé d’un an. Lors de la troisième chasse, les prédateurs se sont attaqués à un adulte vraisemblablement en bonne santé, qui mesurait entre 18 et 21 mètres de long. Les plus grandes orques ne mesurent qu’environ 9 mètres.

Les scientifiques n’ont pas eu l’occasion d’effectuer des prélèvements sur les baleines chassées, mais en se basant sur la période de l’année, le lieu et la direction dans laquelle elles nageaient, l’équipe suppose qu’il s’agissait de baleines bleues pygmées en pleine migration. Cette sous-espèce plus petite de la baleine bleue peut tout de même mesurer jusqu’à 24 mètres de long.

Comment une orque parvient-elle à tuer un animal deux fois plus grand qu’elle ? Grâce à sa famille. Les orques vivent dans des groupes soudés menés par leurs grand-mères, leurs mères ou leurs tantes. Ainsi, jusqu’à 50 individus ont pris part aux chasses et plusieurs groupes plus petits ont collaboré, changeant souvent de rôles, pour mordre et finalement noyer leur proie.

« Ces groupes d’orques ont une espérance de vie similaire, voire plus longue que celle des humains ; ils peuvent donc chasser ensemble pendant des décennies », indique Robert Pitman, qui compare la stratégie de chasse des cétacés à celle des loups. « Vous pouvez apprendre beaucoup en matière de collaboration lorsque vous mettez cela en pratique en tant qu’équipe ».

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    Killer Whale 2

    Une orque mord la langue (un de ses morceaux préférés) d’un baleineau bleu. Cet individu, sans doute une femelle adulte, a participé aux trois attaques décrites dans l’étude.

    PHOTOGRAPHIE DE John Daw, Australian Wildlife Journeys

    UNE BONNE NOUVELLE ?

    Robert Pitman perçoit ces chasses comme positives pour les populations des deux espèces. La population mondiale d’orques, présentes dans tous les océans du globe, est inconnue. La baleine bleue est quant à elle considérée comme en danger par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) en raison de la forte pression exercée par la pêche à la baleine tout au long du 20e siècle. Depuis les années 1960 et la mise en place de mesures de protection de l’espèce à l’échelle mondiale, leur nombre augmente régulièrement. Selon l’UICN, entre 5 000 et 15 000 baleines bleues évolueraient aujourd’hui dans les océans.

    Il se peut que les orques aient toujours chassé les baleines bleues, mais qu’avec la chute de leur nombre en raison de la pêche à la baleine, elles se soient mises à cibler d’autres proies, avance Robert Pitman.

    Le scientifique ajoute que ces chasses récemment observées pourraient être la preuve que les orques repassent à leur régime alimentaire habituel avec le retour d’une ancienne source de nourriture.

    Selon lui, il est peu probable que les attaques d’orques nuisent au rétablissement des baleines bleues. Il s’attend toutefois à ce que ces événements se multiplient à mesure que les deux espèces voient leur population respective augmenter.

    Il est également curieux de voir comment les orques pourraient modifier la dynamique de l’écosystème marin de l’Australie-Occidentale. Certaines espèces de baleines, comme les baleines à bosse ou les baleines boréales pourraient ainsi revoir de A à Z leurs routes migratoires pour éviter les orques.

    « Aucune personne vivante aujourd’hui sur Terre ne sait à quoi ressemblait l’océan avant le début de la pêche à la baleine », souligne Robert Pitman. Les orques d’Australie pourraient bien nous en donner un aperçu féroce.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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