Inédit : des ours vus en train de s’accoupler dans les arbres

La Crittercam, technologie développée par National Geographic, vient de dévoiler au monde un rituel d’accouplement jamais observé auparavant chez aucune espèce d’ours.

De Jason Bittel
Publication 8 déc. 2024, 14:06 CET
One of the collared bears in the study slowly wakes up after being tranquilized.

Au Pérou, un ours à lunettes (Tremarctos ornatus) nommé Ruru se réveille doucement après avoir été endormi. Les scientifiques l’ont équipé d’un collier GPS qui a permis de suivre ses mouvements, ainsi que d’étudier son comportement, tandis que quatre autres ours portaient des Crittercams.

PHOTOGRAPHIE DE Thomas Peschak

Lorsque Ruthmery Pillco Huarcaya a démarré son ordinateur et y a branché un collier récupéré depuis peu sur un ours à lunettes, elle n’avait aucune idée du type d’images qu’elle pourrait découvrir.

« Nous avions plus d’un millier de vidéos, donc j’ai simplement choisi d’[en] lancer au hasard », raconte l’exploratrice National Geographic et écologiste de la faune sauvage pour Amazon Conservation, association à but non lucratif travaillant à la protection de la forêt amazonienne. « Au début, c’était juste incroyable de savoir que la caméra fonctionnait. »

Dans les vidéos filmées sur une période de quatre mois, un ours mâle surnommé Chris a fait vivre à Ruthmery Pillco Huarcaya et ses collègues de nouvelles aventures, les emmenant à la découverte de comportements fascinants jamais encore enregistrés. 

L’écologiste a hurlé de joie lorsque l’enregistrement a montré l’ours équipé du collier, âgé d’à peu près sept à huit ans à ce moment-là, en train de traverser une rivière à la nage, puis, curieusement, d’engloutir des fruits, des broméliacées, des insectes et même des grandes orties (Urtica dioica). Ce type de festin n’avait jamais documenté auparavant chez cette espèce peu étudiée.

Par ailleurs, le 18 décembre 2023, une ourse à lunettes a fait son apparition dans de courtes séquences de quinze secondes enregistrées toutes les heures par le collier.

Ruthmery Pillco Huarcaya et ses collègues ont observé avec stupéfaction les deux ours rester ensemble pendant toute une semaine sur les versants andins du sud-est du Pérou. Au cours de cette escapade amoureuse, ils ont interagi et dormi l’un à côté de l’autre. À la suite de quoi, huit vidéos distinctes ont révélé qu’ils avaient fini par s’accoupler. Cela constitue la toute première preuve de l’activité d’accouplement d’un ours à lunettes.  

Le plus beau dans tout cela ? Les ours à lunettes s’accoupleraient apparemment en se balançant à la cime des arbres.

Les scientifiques n’ont réalisé qu’il s’agissait d’un comportement nouveau qu’après avoir parcouru la littérature scientifique à la recherche d’autres traces de reproduction ayant eu lieu dans la canopée et d’en ressortir bredouilles. Après tout, les ours noirs (Ursus americanus) sont connus pour grimper et même dormir dans les arbres.

« Nous avons pensé que c’était peut-être un comportement commun à d’autres espèces d’ours », explique Ruthmery Pillco Huarcaya, qui a dirigé une étude dont les conclusions ont été communiquées le 4 décembre dans la revue Ecology and Evolution. Son travail s’inscrit également dans le cadre de l’expédition Perpetual Planet Amazon de la National Geographic Society, avec le soutien de Rolex.

« Mais c’est quelque chose de très nouveau. C’est une chose qui n’a jamais été relatée et sur laquelle rien n’a été publié. » 

 

PLUS ARBORICOLE QUE L’OURS MOYEN

Les ours à lunettes, que l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) considère comme étant une espèce vulnérable, sont indigènes des régions montagneuses d’Amérique du Sud, où il est possible de les trouver dans une grande variété d’habitats, ainsi qu’à diverses altitudes. C’est toutefois dans les arbres qu’ils sont le plus à leur aise. 

« Les muscles des pattes postérieures sont légèrement plus gros que ceux des pattes antérieures ; c’est une adaptation à la vie arboricole », détaille Ximena Velez-Liendo, scientifique spécialiste de la conservation basée en Bolivie et collaborant avec le Chester Zoo, au Royaume-Uni.

Vivre dans les arbres implique d’être doté d’autres caractéristiques comme des griffes acérées et incurvées qui permettent de grimper, ainsi que d’être capable de construire de grandes plateformes dans la canopée pour y dormir et rester en sécurité.

« Ils peuvent même porter des proies jusqu’à ces plateformes », poursuit-elle, ajoutant qu’il n’est pas rare de trouver des os appartenant à divers animaux dans les « nids » en hauteur.

Elle explique que son équipe avait déjà enregistré des bruits relatifs à la parade nuptiale qui provenaient de la canopée mais personne n’avait jamais corroborer d’accouplement arboricole jusqu’à présent.

« C’est la première fois que nous sommes témoins d’une telle chose », déclare Ximena Velez-Liendo, qui n’a pas participé à la nouvelle étude.

Emily Carrollo, autrefois biologiste spécialiste des ours noirs pour la Pennsylvania Game Commission, agence gouvernementale qui promeut la chasse et la capture tout en protégeant la faune sauvage et ses habitats, déclare qu’elle n’avait jamais entendu parler d’accouplements dans les arbres chez les ours noirs. 

 

TOUTE UNE SÉRIE DE GRANDES PREMIÈRES

Ruthmery Pillco Huarcaya a d’abord mené des études pilotes en se servant de Crittercams sur deux ours plus jeunes, Pillco et Sunchu, avant d’en équiper Chris, dont les images constituent la majeure partie des récentes découvertes.

Dans une séquence, il est possible de le voir manger de la terre ou de l’argile. Connu sous le nom de géophagie, ce comportement a déjà été documenté chez les ours bruns (Ursus arctos) et les scientifiques pensent qu’il permet aux animaux d’éviter d’avoir la diarrhée. Celui-ci n’a cependant jamais été observé chez l’ours à lunettes.

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    De même, les images de la caméra montrent Chris en train de dévorer un lagotriche (Lagothrix) qu’il semble avoir trouvé au sol et qu’il a ensuite transporté jusqu’à la cime des arbres. Bien que les scientifiques soient dans l’incapacité de dire si l’ours a tué le singe ou s’il l’a simplement récupéré, cet enregistrement constitue le premier cas de ce type pour les ours à lunettes et seulement le deuxième exemple d’un ours, toutes espèces confondues, dévorant un primate non-humain.

    Enfin, les données réservaient une dernière surprise. 

    « Ce qu’il y avait de plus choquant, c’est quand j’ai lancé la vidéo dans laquelle l’ours mangeait quelque chose », révèle Ruthmery Pillco Huarcaya. Incertains de ce qu’ils étaient en train de regarder, les scientifiques ont repassé celle-ci. « Nous nous sommes ensuite rendu compte que c’était en fait un ourson. »

    À nouveau, bien que l’on ne sache pas exactement si Chris a tué le jeune animal ou bien s’il a trouvé une carcasse par hasard, cet incident serait le premier cas connu d’infanticide chez les ours à lunettes.

    Chez certains animaux, les mâles tuent les petits de leur propre espèce afin de pousser leur mère à entrer en chaleur ; Chris a été observé en train de manger l’ourson juste un mois avant l’accouplement, ce qui pourrait expliquer ce comportement.

     

    PROTÉGER LES FORÊTS, C’EST PROTÉGER LES OURS

    Il y a peu, Ruthmery Pillco Huarcaya a équipé d’un collier un quatrième ours, un mâle nommé Adrian-Mayu. Bien que les données relatives à celui-ci n’aient pas encore été publiées, elle constate d’ores et déjà une grande différence en ce qui concerne les personnalités des différents ours.

    Adrian-Mayu semble par exemple avoir passé presque tout son temps dans les forêts de bambous indigènes du Pérou, alors que Chris avait un faible pour les forêts montagneuses humides. 

    Bien entendu, les colliers munis de caméras ne dévoilent qu’une infirme partie de la vie d’un ours. Néanmoins, le fait que ces fragments comprennent des scènes comme l’accouplement dans la canopée suggère que de tels comportements sont courants.

    « Ça nous rappelle à quel point les arbres sont importants », soutient Ruthmery Pillco Huarcaya, et qu’il est nécessaire de protéger de vastes zones de l’habitat des ours à lunettes afin de préserver l’espèce. La perte d’habitat est l’une des principales menaces pesant sur cette dernière, ainsi que le braconnage et les individus abattus en représailles pour s’être nourris de bétail.

     

    UNE « INCROYABLE ET MAGNIFIQUE ESPÈCE »

    Les recherches de Ruthmery Pillco Huarcaya laissent également entrevoir que le manque de connaissances sur les ours à lunettes commence à se combler.

    « Au cours des dix à quinze dernières années, je dirais, la recherche a énormément progressé », affirme Ximena Velez-Liendo, et ce, essentiellement grâce aux avancées technologiques telles que les caméras installées sur les animaux.

    À ce propos, Ximena Velez-Liendo se souvient que, en 1999, lorsqu’elle a commencé à travailler sur ces espèces, elle rêvait de s’équiper d’un tel matériel. À cette époque-là, ce dernier nécessitait l’utilisation d’une pellicule et avait une durée d’utilisation très courte, fonctionnant avec d’énormes piles. Cette technologie a toutefois beaucoup évolué en très peu de temps, poursuit-elle.

    « Elles nous permettent d’avoir un aperçu de la vie dans la nature de cette incroyable et magnifique espèce. »

    La National Geographic Society, organisation non gouvernementale qui s'engage à mettre en lumière et à protéger les merveilles de notre monde, a financé le travail de l'explorateur Ruthmery Pillco Huarcaya. 

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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