Ces araignées-crabes offrent les restes de leurs repas à des plantes carnivores

En Asie du Sud-Est, certaines plantes carnivores à urnes entretiennent avec leurs amies à huit pattes une relation d'entraide étonnante grâce à laquelle les deux espèces peuvent accéder à davantage de nourriture et se protéger des menaces extérieures.

De Joshua Rapp Learn
Publication 6 nov. 2023, 18:52 CET
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Les plantes du genre Nepenthes sont carnivores et entretiennent une relation de mutualisme intéressante avec les araignées-crabes.

PHOTOGRAPHIE DE Joe Petersburger, Nat Geo Image Collection

En Asie du Sud-Est, certaines espèces d’araignées élisent domicile à l’intérieur de plantes carnivores afin de voler leurs proies, et selon une étude publiée en 2018, cette relation bien particulière profiterait en réalité aux deux parties.

« Nous avons constaté que [les plantes carnivores à urnes] qui offrent un abri aux araignées-crabes capturent des quantités nettement plus importantes de certains types de proies, notamment de grandes proies volantes », révélait en 2018 Weng Ngai Lam, alors chercheur postdoctoral en écologie à l’Université nationale de Singapour, à la suite de la publication de deux études dont il était le coauteur.

En plus de l’eau et la lumière du soleil, ces plantes carnivores complètent leur régime alimentaire en attirant, grâce à des signaux chimiques et visuels, des insectes vers le nectar situé sur la face extérieure de leur urne. Ces surfaces peuvent devenir glissantes, notamment sous l’effet de la pluie : les malheureux insectes qui viennent s'y poser tombent alors dans l’urne du végétal, où ils seront décomposés par les liquides digestifs.

 

DONNANT-DONNANT

Les araignées-crabes des espèces Thomisus nepenthiphilus et Misumenops nepenthicola ont compris le fonctionnement de ce piège et ont mis au point une stratégie pour s’emparer d’une partie des bénéfices nutritionnels des plantes en se posant sur la face intérieure de leurs urnes, à l’affût de potentielles proies. Lorsque ces dernières arrivent enfin près du piège, les araignées, cachées, leur tendent une embuscade. Les Misumenops nepenthicola, plus petites, peuvent même s’attaquer à des proies plus grosses en les attrapant directement dans le liquide de la plante, les deux espèces d’araignées pouvant en effet s’extraire du liquide grâce à la soie qu’elles produisent.

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Ses membres antérieurs grands ouverts dans une posture typique d'embuscade, une femelle adulte de l'espèce d'araignées-crabes Thomisus nepenthiphilus attend ses proies à l'entrée d'une plante carnivore Nepenthes gracilis.

PHOTOGRAPHIE DE Weng Ngai Lam, National University of Singapore

Lam et ses coauteurs souhaitaient observer quelles étaient les conséquences de ce comportement pour la plante hôte. Pour ce faire, dans la première étude, publiée dans Oecologia, les chercheurs ont mené des expériences en laboratoire en utilisant la plante carnivore Nepenthes gracilis et les deux espèces d’araignées-crabes citées ci-dessus. Ils ont ensuite placé des mouches Sarcophagidae, un insecte redoutable qui dépose ses larves dans de la chair morte ou dans des plaies en décomposition, dans des cages aux côtés des plantes et des petits arachnides.

Bien que les mouches de cette famille soient relativement difficiles à attraper pour les plantes Nepenthes, elles ne le sont pas pour les araignées-crabes, qui chassent à l’affût. Après l’attaque, une fois que les araignées ont pris leur part du festin, elles laissent tomber leurs restes dans le liquide de l’urne, permettant ainsi aux plantes de récupérer la leur. Les chercheurs ont constaté que les plantes qui abritaient des araignées récoltaient davantage de carcasses d’insectes que celles qui ne le font pas.

Dans la deuxième étude, publiée dans le Journal of Animal Ecology, Lam et ses coauteurs ont transposé l’expérience dans la nature : après avoir trouvé des Nepenthes avec araignées et d’autres sans araignées, ils ont observé quels types de proies, et en quelle quantité, les plantes pouvaient attraper. Ils ont ainsi confirmé que, si les araignées peuvent effectivement voler une partie des nutriments capturés par la plante, elles augmentent en réalité la récolte globale de cette dernière en attrapant des insectes qu’elle n’aurait pas pu attirer toute seule.

« Ce type de vol peut en fait profiter aux plantes ; c’est un peu donnant-donnant », selon Lam.

 

UNE COLLABORATION EFFICACE

Selon Ellen Welti, alors chercheuse postdoctorale en biologie à l’Université d’Oklahoma, les travaux menés par Lam, auxquels elle n’a pas participé, sont passionnants.

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    Posée dans l'urne d'une Nepenthes gracilis, une araignée-crabe de l'espèce Misumenops nepenthicola attend d'attraper une proie.

    PHOTOGRAPHIE DE Weng Ngai Lam, National University of Singapore

    « Ils démontrent la complexité des relations entre les espèces, et la manière dont elles peuvent passer de l’adversité au mutualisme », commentait-elle en 2018, en ajoutant que les araignées-crabes « partagent une histoire évolutive très proche avec les fleurs ».

    D’autres recherches montrent que certaines espèces d’araignées-crabes apparentées peuvent même contribuer à attirer les insectes vers les fleurs, en imitant par exemple les couleurs visibles aux yeux des pollinisateurs qu’elles souhaitent chasser. Ces fleurs sont ainsi plus attrayantes pour les proies que celles qui n’abritent pas d’araignées, selon Welti. Par ailleurs, certaines plantes non carnivores pourraient également profiter de la présence de ces insectes à huit pattes.

    En effet, les travaux de la chercheuse indiquent que certaines espèces d’araignées-crabes peuvent améliorer la pollinisation de ces fleurs. « Nous avons obtenu un résultat très intéressant : lorsque les araignées-crabes étaient posées sur les fleurs, les visiteurs de tous types venaient en plus grandes quantités. »

    Selon une autre étude, certaines plantes pourraient même envoyer des appels à l’aide lorsqu’elles sont attaquées par des insectes herbivores, tels que des chenilles ou des coléoptères. Les araignées-crabes, capables de capter ces signaux, se précipiteraient alors pour venir dévorer les attaquants, protégeant ainsi les fleurs.

     

    UNE BONNE CACHETTE

    En plus de leur apport régulier en proies à chasser, les plantes Nepenthes constitueraient également un bon lieu de vie pour leurs petites invitées.

    « Ces plantes sont un environnement très sûr pour l’araignée, car cette dernière y est protégée des prédateurs. Elles peuvent se cacher de nombreuses guêpes parasitoïdes, qui chassent habituellement les araignées », expliquait Lam.

    Cependant, dans la vie, rien n’est jamais garanti : selon le chercheur, plusieurs carcasses d’araignées-crabes ont également été retrouvées dissoutes dans les urnes. Qu’elles aient succombé aux nombreux dangers de leur habitat ou qu’elles soient simplement tombées après une mort naturelle, il semble ainsi que les araignées-crabes s’offrent parfois aux plantes en guise d’ultime cadeau à leur partenaire de chasse.

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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