Des millions de grillons mormons ont envahi une ville du Nevada
Des groupes de millions de ces insectes cannibales recouvrent les routes, dévorent la végétation et sèment la panique dans la ville d'Elko, dans le Nevada.
Les grillons mormons doivent leur nom aux mormons de l'Utah qui avaient trouvé une ressemble avec les grillons (qui sont de la famille des Gryllidae), mais l'insecte fait en réalité partie de la famille des katydidés (Tettigoniidae).
Ces dernières semaines, des hordes de grillons mormons ont envahi la ville d’Elko, dans le Nevada, et d’autres régions de l’ouest des États-Unis, créant ainsi des scènes dignes d’un film apocalyptique.
Aussi gros qu’un pouce, ces cannibales omnivores recouvrent les trottoirs, dévorent la végétation et s’entre-dévorent. Ils ne mordent pas, mais dégagent une odeur pour le moins nauséabonde.
Len Coop, entomologiste à l’Université d’État de l’Oregon, décrit cette dernière comme une « odeur musquée et écœurante » et précise qu’elle « est probablement encore plus forte lorsque nous les écrasons », ce qui est malheureusement inévitable lorsque ces milliers d’insectes recouvrent littéralement les routes.
Selon Greg Sword, entomologiste à l’Université A&M du Texas, ils sont tellement nombreux que, lorsque l’on conduit sa voiture sur une petite route avec la vitre baissée, « on a l’impression de rouler sur du papier bulle ».
D’OÙ VIENNENT CES GRILLONS ?
Le nom des « grillons mormons » leur a été donné à la suite d’une de leurs migrations au milieu du 19e siècle, qui les a vus envahir et détruire les récoltes de communautés mormones dans la région de Salt Lake, dans l’Utah. Le terme « grillon » est toutefois impropre, car ces insectes font partie de la famille des katydidés (Tettigoniidae), et non de celle des gryllidés (Gryllidae), dont sont issus les grillons.
Ces petits envahisseurs ne sont pas réellement invasifs. « C’est une espèce native, originaire de la chaîne de montagnes du Grand Bassin et des déserts de haute altitude des États de l’ouest », explique Coop. Ils parviennent à survivre à de telles altitudes du fait de leur bonne tolérance pour les températures froides.
Les grillons mormons se reproduisent une fois par an et leurs œufs, souvent pondus dans le sol sablonneux, peuvent tolérer des températures inférieures à 0°C. Ils éclosent généralement l’année suivante mais, dans les altitudes les plus froides, peuvent attendre une année supplémentaire.
Après l’éclosion, les nymphes passent par huit stades de développement. À ce stade, elles peuvent être solitaires, et se nourrissent d’herbes, d’arbustes et de plantes herbacées.
Toutefois, lorsque la population explose et que la nourriture commence à se fait rare, elles migrent ; elles avancent en masse pendant la journée lorsque les températures sont douces, et s’arrêtent lorsque les températures chutent pendant la nuit.
La migration les fait passer du statut de solitaires à celui d’insectes « grégaires », sociaux, révèle Coop. Les jeunes membres du groupe migrateur prennent une couleur verte, orange ou brune, et tous avancent ensemble.
Les rôles sexuels changent également en cours de route : lorsque les grillons sont à l’arrêt et que la nourriture est abondante, les mâles se disputent les femelles pour s’accoupler et leur offrir un spermatophore, une capsule nutritive transmise avec le sperme lors de l’accouplement, décrit Sword.
En revanche, lorsque la nourriture est rare et que les katydidés se déplacent, ce sont les femelles qui se disputent l’accès aux mâles et à cette ressource nutritionnelle désormais précieuse pour leur progéniture.
OÙ VONT-ILS ?
Contrairement à d’autres insectes comme les papillons monarques qui migrent de l’Amérique du Nord au Mexique, les grillons mormons en migration n’ont pas de destination prédéterminée. Ils avancent à la recherche de nourriture, et peut-être également dans le but de ne pas se faire manger par leurs congénères. Dans une étude réalisée en 2005, Sword et ses collègues ont constaté que des facteurs externes, tels que la direction du vent ou le mouvement des individus, exerçaient également une influence sur la direction du groupe.
En chemin, ils mangent beaucoup de végétation, dont les récoltes, les jardins et les pâtures pour le bétail. En 1937, une infestation avait par exemple causé 500 000 dollars de dégâts, soit plus de 9 millions d’euros en monnaie actuelle. De même, en 2001, le Los Angeles Times a rapporté des dégâts d’une valeur de 23 millions d’euros sur des récoltes telles que le blé, l’orge et le carthame.
« Ils ne mangent pas tout ce qu’ils trouvent sur leur passage [dans les pâturages] », explique Sword ; ils trient, ils commencent par les têtes de semences et les fleurs. Cependant, s’ils trouvent une exploitation agricole, comme un champ de luzerne, ils constituent une menace immédiate pour l’activité de son propriétaire.
En plus de fournir de nouvelles sources de nourriture, avancer en groupe offre davantage de sécurité. Les grillons solitaires sont des cibles faciles, mais plus le groupe est important, plus le prédateur a de chances de choisir quelqu’un d’autre à attraper.
DES INSECTES CANNIBALES
Dans une étude parue en 2006 dans la revue PNAS, Sword et son équipe ont tenté de déterminer quel type de nourriture ces insectes cherchaient à consommer.
Les résultats ont révélé un manque de protéines et de sel, deux besoins alimentaires qu’ils peuvent tout à fait satisfaire en mangeant leurs congénères.
« Mettez-en deux dans un seau et vous n’en verrez qu’un seul à la fin », raconte Sword. En moins d’une heure, l’un aura déjà mangé l’autre.
Ce comportement est plus opportuniste que prédateur. Si l’un est blessé, il sera probablement dévoré. Ils récupèrent également les restes de leurs camarades morts (ou écrasés).
UN SPECTACLE REMARQUABLE
Ils n’ont pas toujours été considérés comme un problème à combattre.
Les Amérindiens les consommaient par exemple comme source de nourriture et, aujourd’hui, les insectes comestibles sont de plus en plus considérés comme une nouvelle forme durable de protéines.
En outre, bien qu’ils représentent une nuisance indéniable pour beaucoup, Sword confie admirer leur capacité à survivre.
« Ces groupes de millions et de millions d’insectes traversent le désert dans la même direction, de manière apparemment coordonnée », décrit-il. « D’un point de vue scientifique, c’est remarquable. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.