Cette vache est la plus chère au monde
Avec une valeur estimée à quatre millions de dollars, la vache nélore brésilienne domine l’industrie du bœuf.
Cette génisse fait son entrée dans une vente aux enchères lors de la foire aux bestiaux d’ExpoZebu. De la race des nélores, elle a été vendue à presque un million de dollars (900 000 euros), un prix représentatif de son matériel génétique de haute qualité.
Une imposante vache blanche, bosse distinctive sur le dos et fanon qui semble couler du cou comme une écharpe en vogue, a établi un record lors d'une vente aux enchères en juin dernier à Arandú, au Brésil. Cette victoire prestigieuse continue d’entraîner des répercussions sur le marché mondial de la viande bovine, en particulier au Brésil, où la vache a été soigneusement sélectionnée et élevée dans les meilleures conditions.
À la clôture des enchères, les investisseurs avaient déboursé la somme record de 4,3 millions de dollars, soit 3,9 millions d’euros, pour acquérir la magnifique nélore brésilienne, issue d'une ancienne race de bovins domestiques appelée « zébu » (bos taurus indicus).
Cette vache, issue d’un élevage haut-de-gamme, a permis de soudainement mettre en évidence les prouesses du Brésil dans le domaine de l'élevage moderne. Le pays est au sommet de son art en tant que premier exportateur mondial de viande bovine. Il a été propulsé au premier rang il y a trois ans lorsque la Chine a commencé à importer de la viande brésilienne à la suite d'une grave épidémie de peste porcine africaine qui a tué 28 % de sa population de porcs.
Des ovaires arrivent au laboratoire Bioembryo, à Cuiaba, une ville de l'ouest du Brésil. Ils ont été prélevés sur des vaches dans une ferme. Chaque goutte est issue d’une vache différente et les petits points blancs indiquent qu'ils sont prêts pour l'insémination. Ce type d'élevage sélectif permet aux éleveurs de sélectionner des caractéristiques spécifiques.
Deux veaux clonés sont couchés dans le corral de la ferme de Geneal, l'un des plus importants laboratoires de clonage de bovins au Brésil, dans lequel naissent soixante-dix animaux clonés par an. Lorsqu'ils achètent du matériel génétique à un laboratoire, les agriculteurs ne savent pas si l'ADN provient de l'animal original ou de son clone.
Le Brésil a déjà construit quatre nouveaux abattoirs dans l’objectif d’approvisionner le marché chinois, explique Caroline Arantes, photographe et exploratrice National Geographic. « L'industrie est en pleine ascension », dit-elle.
Afin de documenter ce secteur en expansion, elle s'est rendue dans une maison familiale à Uberaba, une ville située dans les hauts plateaux du sud du Brésil où le bétail est roi et où les zébus portent la couronne.
« À Uberaba, tout tourne autour des zébus. Radio zébu, restaurants zébus… », explique Arantes, qui suit le secteur de l'élevage depuis huit ans.
Lors des ventes aux enchères, le petit nélore est le zébu de prédilection et pas seulement pour sa viande. Ces bovins sont considérés comme l'avenir de l'industrie, que ce soit en termes de reproduction ou en raison du potentiel de la race à réduire les conséquences de l'élevage sur l'environnement.
Dans un ranch de Sao Felix do Xingu, le bétail est gardé par des cow-boys. Avec ses 32 000 kilomètres carrés, la ville possède le plus grand troupeau de bovins du pays, soit 2,4 millions d'animaux. La municipalité est également connue pour être la plus violente de la région. Les agriculteurs empiètent sur les terres des indigènes et l'exploitation minière ainsi que la déforestation illégale sont monnaie courante.
Depuis soixante-cinq ans, l'élevage bovin est l'un des principaux facteurs de déforestation de la forêt amazonienne. Le Brésil compte aujourd'hui 225 millions de têtes de bétail et il est prévu qu’il continue à dominer le marché, qui devrait croître de 35 % sur les vingt prochaines années. Les races prisées, qui valent des millions de dollars, comme la nélore, peuvent-elles vraiment faire la différence ?
LES ORIGINES DE CETTE ESPÈCE CONVOITÉE
Le bétail et l'élevage font partie intégrante de la culture et du romantisme des cow-boys du sud du Brésil, appelés « gauchos ». Ces derniers sont aussi légendaires que leurs homologues de l'Ouest américain et connus pour leur steak grillé en brochette, le « churrasco ». Pour relancer l'industrie de l'élevage au milieu du 20e siècle, le gouvernement brésilien a offert des incitations aux familles et aux agriculteurs pour qu'ils s'installent à la campagne et transforment la forêt tropicale en pâturages.
Dans ce contexte d’essor de l’industrie de l'élevage, le Brésil a tenté d'améliorer son bétail par le biais de croisements. Le défi consistait à trouver des animaux capables de supporter le climat tropical et les divers écosystèmes du pays. Les vaches européennes (Bos taurus), telles que les Hereford et les Angus, souffraient du stress thermique et leur production était faible.
Les zébus (Bos indicus), originaires d'Asie du Sud-Est, d'Afrique et de Chine, étaient plus résistants.
Document daté de 1918 indiquant l’achat et l’import d’une vache à des fermiers brésiliens vers Bombay, aujourd’hui Mumbai, en Inde. La race des zébus est originaire d’Inde mais domine aujourd’hui le marché de la viande brésilien.
Ana Claudia Mendes Souza, soixante-cinq ans, est la petite-fille de l’un des premiers ranchers à avoir importé du bétail d’Inde au 19e siècle. À côté d’elle se trouve sa vache, Aquiles de Amar, cinq ans, une guzera du groupe des zébus.
Généralement, le zébu s’adapte naturellement à la chaleur grâce à de nombreuses et volumineuses glandes sudoripares, qui contribuent à maintenir l'hydratation. Sa peau est épaisse et recouverte de poils serrés, ce qui le rend moins vulnérable aux insectes suceurs de sang comme les moustiques.
Des croisements avec le bétail ongole, du district indien de Nellore, dans l'État de l'Andhra Pradesh, ont donné naissance à un spécimen encore plus robuste, la nélore, en portugais, Nelore avec un seul « l », contrairement au nom de sa zone d’origine.
POUR UN BÉTAIL PLUS DURABLE
Les nélores résistent à de nombreuses infections parasitaires, ce qui permet d'éviter les problèmes gastriques. Cependant, comme tout bovin, les espèces zébus émettent quand même du méthane par leurs éructations et flatulences fréquentes. Le méthane est plus puissant et plus nocif pour l'atmosphère que le dioxyde de carbone et les gaz des vaches représentent 14,5 % de l'ensemble des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Selon l'Environmental Protection Agency (Agence américaine de protection de l'environnement), une vache peut produire entre 70 et 120 kilos de méthane et l'émission quotidienne d'une vache est vingt-cinq à quatre-vingt fois plus puissante que le dioxyde de carbone.
Compte tenu de leur capacité innée à résister aux fortes chaleurs et à survivre dans des conditions difficiles telles que la sécheresse, les hybrides de zébu ont, pendant un bref moment, été considérés comme des vaches pouvant être mises en avant pour vanter une production de viande respectueuse de la planète. Certaines sous-espèces sont également plus musclées, ce qui réduit théoriquement leur impact sur l'environnement car elles produisent davantage de viande dans moins de pâturages.
« La production de viande bovine est plus complexe qu'on ne le croit et elle est devenue très scientifique, surtout au cours des dernières décennies. Cependant, dans l'ensemble, [le secteur] a encore du mal à reconnaitre ses conséquences sur l’environnement », déclare Robert Wilcox, professeur à la Northern Kentucky University et spécialiste de l'élevage bovin brésilien.
Pour Gabriel Garcia Cid, président de la Brazilian Zebu Cattle Association (Association brésilienne du bétail zébu), la préservation des ressources naturelles est « fondamentale pour l'avenir de l'élevage ». Dans un mail, il a déclaré que les éleveurs brésiliens se rendaient compte de « l'importance d'apporter des améliorations génétiques aux exploitations », et que « la génétique du zébu [était] l’une des principales pistes pour aller vers la durabilité. »
À la ferme Beka, à Santo Antonio da Platina, un grand barbecue est organisé pour mettre en valeur la viande de bœuf. Les éleveurs utilisent des tests génétiques pour développer des viandes de luxe, qui contiennent plus de graisse et dont la commercialisation s'est développée à l'intérieur du pays comme à l'étranger. Le Brésil exporte plus de viande bovine que n'importe quel autre pays.
Au début des années 2000, une campagne de marketing menée par l'industrie bovine a mis en avant le « concept du "Boi ecológico" », que l'on peut traduire par "bœuf écologique", et les avantages du nélore pour l'environnement.
Malgré la robustesse naturelle de l'animal, « la campagne s'est dissipée lorsqu'il est clairement apparu que la célèbre vache n'était pas plus écologique que n'importe quelle autre race », a déclaré Wilcox.
UNE INDUSTRIE EN ESSOR FACE AU CHANGEMENT CLIMATIQUE
Luiz Inacio Lula de Silva, récemment élu président, s'est engagé à mettre fin à la déforestation qui persiste et qui a détruit près d'un cinquième de la forêt tropicale du pays au cours des soixante à soixante-cinq dernières années. Les arbres sont des puits de carbone naturels qui éliminent de l'atmosphère la pollution responsable du réchauffement de la planète. Les écologistes affirment que les forêts restantes doivent être préservées pour contribuer à la lutte contre le changement climatique. Certaines zones de l'Amazonie, dont la taille est équivalente à celle de l’Australie, émettent déjà davantage de carbone qu'elles n'en absorbent.
Bien que l'élection de Lula n’ait pas instantanément mis fin au surpâturage et au défrichement, ce dernier a diminué « considérablement » au cours des six premiers mois de 2023. En décembre dernier, l’État du Para a lancé un programme obligatoire de suivi du bétail et prévoit de suivre sa population de 24 millions de bovins d'ici trois ans et de limiter le nombre de bovins élevés sur des terres illégalement déboisées.
Des taureaux se promènent dans un champ de la ferme de Garcia Cid, l'un des premiers à avoir importé du bétail d'Inde. Contrairement aux races européennes, le zébu indien résiste mieux au climat chaud du Brésil et aux maladies tropicales transmises par les moustiques.
Cependant tant que le marché est aussi puissant, Wilcox ne s'attend pas à un déclin majeur de l'élevage et de la déforestation qui en découle en Amazonie.
Quant à la nélore, sa place est inébranlable. Ce qui était à l'origine un animal sacré de la religion hindoue est devenu l'icône vénérée d'une industrie puissante.
« Le zébu est devenu un animal "sacré" dans le commerce et la culture brésilienne" », explique Arantes, ainsi qu’une source de fierté nationale.
National Geographic Society, société à but non lucratif qui œuvre à la conservation des ressources naturelles, a contribué au financement de cet article.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.