La fin de la protection des grizzlis de Yellowstone suscite la controverse
Si certains défenseurs de l'environnement se réjouissent du retour des ours, d'autres craignent que l'espèce ne puisse pas être gérée par des États favorables à la chasse.
Le chemin parcouru pour réintroduire les grizzlis dans et aux alentours du parc national de Yellowstone est considérable : les grizzlis sont cinq fois plus nombreux qu'ils ne l'étaient en 1975, quand leur protection a été décidée en vertu de la loi sur les espèces en voie de disparition. La zone fréquentée par les ours a augmenté de moitié et les conflits liés à l'attirance des ours pour les poulaillers des propriétaires terriens constituent désormais une plus grande menace que la chasse.
L'exemple des grizzlis du parc de Yellowstone est à bien des égards un des plus grands succès des associations de la protection de la faune aux États-Unis.
Mais est-ce suffisant ?
Tandis que Ryan Zinke, secrétaire américain du Département Intérieur, chargé de la conservation des parcs et espaces verts états-uniens, a annoncé jeudi dernier que l'administration Trump envisageait le retrait des ours de Yellowstone de la liste des animaux protégés prévue par l'ESA (Endangered Species Act, la loi sur les espèces en voie de disparition). Les employés du parc ont approuvé cette décision à l'unanimité. Les défenseurs de l'environnement, eux, s'y sont presque tous opposés en chœur.
Le gouvernement fédéral a annoncé son intention de transférer la gestion du légendaire prédateur aux États de l'Idaho, du Wyoming et du Montana. Il s'agit là de l'aboutissement d'un processus initié sous l'administration Obama. Une décision qui pourrait mener à la légalisation de saisons de chasse aux grizzlis.
Lors de son annonce, Ryan Zinke, également ancien député du Montana au Congrès, a salué les décennies de travail et de progrès.
« Enfant, j'ai grandi dans le Montana et je peux vous affirmer que c'est une excellente nouvelle qui s'est longuement faite attendre pour de nombreuses communautés et militants de la région de Yellowstone », a-t-il déclaré dans un communiqué.
Laurie Wolf, responsable intérimaire de la communication pour la pêche, la faune et les parcs de l'État du Montana, une agence gouvernementale, a approuvé. « Le moment est venu d'être heureux et de se féliciter des résultats obtenus. Nous sommes très enthousiastes. »
Les défenseurs de l'environnement, quant à eux, se sont montrés partagés entre scepticisme et profonde hostilité.
« Cette décision est bien trop prématurée et pourrait anéantir plusieurs décennies de protection des grizzlis de la région de Yellowstone », a déclaré Bonnie Rice, du programme dédié aux grizzlis du Sierra Club de Bozeman, dans l'État du Montana.
Andrea Santarsiere, du centre pour la diversité biologique, a affirmé que son organisation « envisageait sérieusement un recours juridique ».
LA CHASSE COMME HÉRITAGE
Autrefois au nombre de 50 000 voire plus, les grizzlis, dès le milieu du 20e siècle, avaient été décimés par les chasseurs. Seuls 136 ours ont subsisté dans la région du parc de Yellowstone, avec un nombre encore plus bas dans certaines zones des États de Washington, de l'Idaho et du Montana. La bataille relative à l'avenir des ours de Yellowstone fait rage depuis plus d'une décennie avec des États qui désiraient reprendre le contrôle sur la gestion de ces populations avant même l'annonce par l'administration Bush en 2007 de sa volonté de retirer les ours de la protection de l'ESA. Cette décision a été contestée avec succès devant les tribunaux.
Jeudi dernier, des écologistes et plusieurs scientifiques ont fait part de la crainte que ce projet de contrôle laissé aux États n'engendre l'isolement des ours de Yellowstone et n'empêche ces derniers de rejoindre des populations du nord du Montana et de l'Idaho. Même si l'administration Trump s'en tient à l'avant-projet annoncé par Obama, ils craignent que les États soient autorisés à tuer de nombreux ours et que la population finisse par être bien inférieure à ce qu'elle est aujourd'hui.
Une caméra piège a surpris un grizzli en train de se nourrir de la carcasse d'un bison dans le parc de Yellowstone.
Selon Theresa Pierno, présidente de l'Association pour la préservation des parcs nationaux, la proposition « est un échec à plusieurs niveaux » et « fait fi de nombreux problèmes soulevés par les employés responsables des espèces sauvages ».
Laurie Wolf, représentante de l'État du Montana, a déclaré que si la décision de Ryan Zinke survivait aux objections, le changement ne serait pas immédiat. La gestion se ferait selon la même stratégie de sauvegarde et il n'est pas urgent pour l'État de ré-ouvrir la chasse aux ours. Selon elle, toute décision dans ce sens devra passer par la même procédure publique en vigueur destinée à établir toutes les saisons de chasse.
« Nous avons l'intention de continuer à compter les femelles qui ont des petits, à surveiller la répartition des ours ainsi que leur taux de mortalité », a affirmé Laurie Wolf. « La chasse dépendra du nombre d'ours et du taux de mortalité global. »
Il n'empêche que les défenseurs de l'environnement craignent que la chasse soit inhérente à la gestion orchestrée par l'État et que les réactions de l'opinion publique polarisent davantage le rétablissement des ours.
Bonnie Rice, du Sierra Club, a affirmé : « Tôt ou tard, la chasse au trophée sévira sur le seuil des parcs nationaux de Yellowstone et de Grand Teton. Si cela se produit, attendez-vous à une réaction violente. »
D'après certains défenseurs des espèces sauvages, les menaces que fait peser le changement climatique n'ont pas été suffisamment prises au sérieux. La hausse des températures a d'ores et déjà décimé les pins à écorce blanche, les rendant plus vulnérables à la prolifération des insectes. Dans certaines régions, les grizzlis se sont longtemps nourris des noix des arbres. Or, il semble que de nombreux ours évoluent désormais au sein de zones dépourvues d'arbres, ce qui nous rappelle combien les ours, qui sont omnivores, sont dotés de capacités d'adaptation.
Le fait que les populations situées au nord des montagnes Rocheuses et des North Cascades de l'État de Washington soient d'ores et déjà limitées à seulement six zones différentes n'annonce rien de bon pour l'avenir. Certains défenseurs de la faune s'inquiètent que les grizzlis soient prisonniers des frontières politiques.
« Je suis convaincu que si les hommes font des efforts afin de coexister avec les grizzlis et leur permettent d'étendre leur habitat, les ours feront le reste du travail », a affirmé Jonathan Proctor pour l'organisation Defenders of Wildlife. « Ils survivront, prospéreront et se développeront si nous les laissons faire. »