La longue marche des derniers rennes du Canada

Alors qu'elle se dirige vers le Grand Nord, une célèbre harde de rennes au passé légendaire offre à un peuple autochtone un nouveau destin.

De Joshua Hunt
Publication 5 mars 2025, 17:37 CET
À l’est du fleuve Mackenzie, dans l’Arctique canadien, une harde de 6 000 rennes se dirige ...

À l’est du fleuve Mackenzie, dans l’Arctique canadien, une harde de 6 000 rennes se dirige vers son aire de vêlage. La communauté inuvialuit a récemment acquis le troupeau.

PHOTOGRAPHIE DE Katie Orlinsky

Retrouvez cet article dans le numéro 306 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine

D’un pas lourd, des milliers de rennes traversent les confins gelés du nord-ouest du Canada. Sous les rayons éclatants du soleil matinal, leurs silhouettes disparaissent presque dans le nuage de vapeur formé par leur souffle chaud au contact de l’air froid. Une forêt de ramures semble danser dans la brume. Vue de loin, la harde en migration ressemble à une longue et sinueuse traînée brune peinte sur la toile immaculée d’un paysage arctique.

Au loin, quatre gardiens de troupeau inuvialuits armés de fusils montent la garde sur leurs motoneiges, à l’écoute des sabots martelant le sol gelé. Leur mission : escorter les rennes jusqu’à leur lieu de vêlage – et, au-delà, écrire un nouveau chapitre de l’histoire de cette harde légendaire.

« Ce sont des animaux très intelligents », confie Douglas Esagok qui, après sept hivers passés à travailler auprès d’eux, figure parmi les gardiens autochtones les plus expérimentés. « Je leur parle toujours quand je les déplace. On dirait que ça les calme d’entendre ma voix ou le bruit de mon scooter des neiges. »

Ces cervidés, qui progressent juste au nord du cercle arctique, sont le dernier troupeau élevé en liberté de rennes du Canada et les héritiers d’une épopée mythique. Celle-ci a commencé il y a une centaine d’années, après le début du déclin des caribous – dont les Inuvialuits dépendaient pour vivre – et la mise en oeuvre d’un plan audacieux pour remédier aux pénuries alimentaires en important des rennes [ndlr : caribous et rennes appartiennent à la même espèce ; mais le terme « renne » désigne les populations originaires d’Eurasie, pour l’essentiel domestiquées à l’inverse des caribous d’Amérique du Nord]. Une opération similaire avait été tentée au tournant du xxe siècle dans l’Alaska voisin, quand des troupeaux de rennes avaient été convoyés par bateau et en train depuis la Sibérie et la Norvège jusqu’en Amérique du Nord. À la fin de l’année 1929, une partie – environ 3 500 individus – de la population de ces rennes alors florissante prit le chemin du Canada sous la surveillance de gardiens samis et inuits.

Un renne mâle s’entête à rester sur le chemin de la motoneige d’un éleveur inuvialuit. Rennes ...

Un renne mâle s’entête à rester sur le chemin de la motoneige d’un éleveur inuvialuit. Rennes et caribous appartiennent à la même espèce (Rangifer tarandus), mais « renne » désigne les troupeaux d’Eurasie ou qui en sont originaires, comme ici.

PHOTOGRAPHIE DE Katie Orlinsky

Leur périple de 2 400 km dura plus de cinq ans et marqua le début de ce qui allait ensuite devenir le « Canadian Reindeer Project ».

Aujourd’hui, un groupe d’Inuvialuits a décidé d’imprimer au projet une direction inédite. Le troupeau a été officiellement acheté en 2021 par l’Inuvialuit Regional Corporation (IRC), l’organisme représentant cette communauté autochtone. Sous l’oeil vigilant de Douglas Esagok et de ses collègues, la harde a plus que doublé, s’élevant désormais à près de 6 000 têtes. Un essor rendant possible la mise en place d’un plan ambitieux destiné à assurer l’autosuffisance des Inuvialuits sur leurs terres ancestrales.

« L’objectif ultime [de cette opération] est que les Inuvialuits disposent de rennes en abondance », souligne Brian Wade, directeur de l’Inuvialuit Community Economic Development Organization. « Au-delà de la sécurité alimentaire, ce troupeau a aussi une importance sur le plan économique, avec notamment la création d’emplois. »

Le transfert des rennes à la communauté inuvialuit n’est pas seulement une tentative pour dessiner un avenir moins incertain. Il représente aussi l’opportunité pour ce peuple de prendre le contrôle d’animaux importés sur ses terres dans les années 1930 par un gouvernement colonial. Après l’acquisition des Territoires du Nord-Ouest à la fin du XIXe siècle, le gouvernement canadien a installé des centres administratifs et autorisé la création de comptoirs commerciaux dans toute la région. Durant des siècles, la population autochtone avait vécu essentiellement de la chasse et de la pêche, mais, avec le déclin des caribous sauvages, les rennes ont été introduits pour remédier au manque de nourriture. Leur arrivée a aussi modifié la relation des Inuvialuits à la terre, les rennes pouvant être élevés comme du bétail.

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