La migration des oiseaux, plus belle chorégraphie de la nature
Certains oiseaux volent pendant onze jours, sans jamais s’arrêter. D’autres parcourent plus de 12 800 kilomètres. Chaque année, des centaines d’espèces d’oiseaux quittent leur habitat en quête de nourriture.
Des oies des neiges (Anser caerulescens) prennent leur envol du Klamath Basin National Wildlife Refuge dans l’Oregon.
Chaque année au printemps et à l'automne, un spectacle anime le ciel nocturne. Un ballet au cours duquel des millions d’oiseaux prennent leur envol pour un long et périlleux voyage entre leur lieu de reproduction et leurs quartiers d’hiver.
La majorité des milliers d’espèces qui prennent part à cette migration annuelle voyage de nuit. Les courants aériens sont plus calmes, la Lune et les étoiles les guident.
Les oiseaux suivent des voies de migration pré-établies. Ce sont généralement les routes nord-sud qui leur offrent les meilleures conditions pour se reposer et se ravitailler en cours de route. Ces trajectoires de vol sont partagées par plusieurs espèces d’oiseaux. Ils doivent faire face au mauvais temps, à la déshydratation, à la faim et aux prédateurs.
La sterne arctique (Sterna paradisaea) par exemple, entreprend des allers-retours entre les pôles sur une distance de plus de 96 500 kilomètres, un record. On estime qu’il s’agit de la plus longue migration animale du monde. Pour d’autres oiseaux, leur migration consiste en un vol est-ouest ou bien entre le sommet et la base d’une montagne. Même les oiseaux incapables de voler migrent. Par exemple, le manchot Adélie (Pygoscelis adeliae) s’adonne à un trek long de 12 870 kilomètres à travers l’Antarctique glacial.
Puisque la migration fait partie intégrante du cycle de vie des oiseaux, elle était sûrement tout aussi fréquente il y a des milliers d’années, explique Martin Wikelski, directeur de l’institut Max-Planck d’ornithologie et explorateur National Geographic.
La raison pour laquelle certains oiseaux migrent et pas d’autres est l’objet d’un domaine de recherche complexe et actif. La principale motivation est très probablement la recherche de nourriture. Échapper aux intempéries et se protéger des prédateurs ou des parasites, notamment en période de reproduction, pourraient être d’autres motifs de déplacement.
Les nouvelles avancées technologiques comme des balises GPS sophistiquées et des systèmes de détection radar, offrent aux scientifiques des occasions exceptionnelles d’observer la migration des oiseaux.
Dans le cadre de son projet ICARUS, M. Wikelski a équipé certains oiseaux avec des appareils similaires aux montres connectées afin de suivre leurs déplacements et les conditions environnementales auxquelles ils font face.
Ces transmetteurs satellites à énergie solaire pourraient un jour permettre l’observation des migrations animales et l’étude des comportements des individus du monde entier depuis l’espace.
« Il y a tant à apprendre », s’enthousiasme M. Wikelski. « Je piste les oiseaux depuis plus de vingt ans et la facilité avec laquelle les oiseaux migrent sans heurts entre les mondes est absolument fascinante. »
QUELS OISEAUX MIGRENT ?
Sur les plus de dix-mille espèces d’oiseaux connues, la moitié d’entre elles migrent. Il peut s’agir d’oiseaux chanteurs, d’oiseaux marins, de sauvagines, de limicoles ou même de rapaces. L’hémisphère nord compte le plus d’oiseaux migrateurs différents.
L’une des migrations les plus célèbres n’est autre que celle de la barge rousse (Limosa lapponica), championne d’endurance. En 2020, des scientifiques ont enregistré le vol migratoire sans pause le plus long jamais observé, entrepris par une barge rousse entre l’Alaska et la Nouvelle-Zélande. Elle a parcouru plus de 12 700 kilomètres au-dessus de l’océan Pacifique, pendant onze jours sans jamais s’arrêter.
D’autres compagnons à plumes volent loin et vite. La bécassine double (Gallinago media) peut parcourir plus de 6 700 kilomètres et atteindre des vitesses de 96 km/h lors de ses voyages sans interruption entre l’Europe et l’Afrique subsaharienne. Il s’agit de l’oiseau migrateur le plus rapide.
Même les petits oiseaux embarquent pour d’éprouvants voyages. Le colibri calliope (Selasphorus calliope), le plus petit oiseau d’Amérique du Nord, effectue des allers-retours de plus de 9 000 kilomètres entre les prairies de haute altitude et les vastes forêts des Rocheuses ou celle de pins et de chênes du Mexique.
La plupart des oiseaux migrateurs ne seraient que des migrateurs partiels, c’est-à-dire que seules certaines populations ou certains individus au sein des espèces migrent, tandis que les autres restent sur place. Par exemple, une fraction des merles d’Amérique (Turdus migratorius) reste à proximité des aires de reproduction alors que d’autres voyagent jusqu’au sud pour revenir ensuite au nord.
Certains juncos aux yeux jaunes (Junco phaenotus) se reproduisent dans les hauteurs des montagnes de l’Arizona. Au cours des hivers très enneigés, ceux-ci sont plus susceptibles de migrer vers les basses altitudes, un déplacement de tout juste plus d’un mètre. En revanche, ceux qui nichent à des altitudes plus basses n’ont pas besoin d’effectuer un tel déplacement puisqu’ils sont confrontés à moins de contraintes alimentaires. Même les oiseaux tropicaux, en particulier les insectivores, entreprennent des déplacements en altitude sur de courtes distances.
COMMENT TROUVENT-ILS LEUR CHEMIN ?
En plus de suivre les repères célestes, tels que la position du Soleil, des étoiles et de la Lune, les oiseaux adultes se servent d’une boussole magnétique pour s’orienter. Même en l’absence de repères visuels, ce « système GPS interne » leur évite de se perdre.
Un tel don pour la navigation peut permettre aux oiseaux de se déplacer dans des régions qu’ils ne fréquentent pas habituellement. Dans le cadre d’une expérience, des coucous gris (Cuculus canorus) ont été déplacés à plus de 2 400 kilomètres de leur habitat avant leur période de migration. Malgré ce déplacement, ils se sont dirigés vers leurs voies migratoires habituelles.
Qu’en est-il des oiseaux sans expérience, qui migrent pour la première fois ? Au cours d’une autre expérience, des jeunes coucous gris ont été transférés hors de leurs aires de reproduction. Ils ont réussi à retrouver à peu près la même route migratoire que les individus n’ayant pas été déplacés.
Les scientifiques ne savent toujours pas estimer si cette capacité de navigation est un caractère hérité et inné ou bien acquis. « Je pense qu’il s’agit d’un mélange de tendance innée mais [qu’ils] apprennent aussi en cours de route », déclare M. Wikelski, qui étudie les coucous gris depuis 2012.
Il se pourrait que les plus jeunes oiseaux s’imprègnent de ce comportement en écoutant les cris de vol nocturnes émis par d’autres oiseaux migrateurs. Ces signaux acoustiques sont distincts des autres vocalisations habituelles. Ils pourraient guider les individus moins expérimentés, parfois même ceux d’une autre espèce.
COMMENT SAVENT-ILS QU’IL EST TEMPS DE MIGRER ?
Pour certaines espèces, des changements dans les conditions environnementales, par exemple la durée du jour, pourraient être les facteurs déclenchant des migrations. Ces phénomènes entraîneraient une libération d’hormones qui indiqueraient aux oiseaux qu’il est l’heure de migrer.
L’horloge biologique interne des oiseaux leur permet également de détecter les changements de saison. Ils s’aident de certains signaux, tels que les variations de luminosité ou la température de l’air.
Une fois qu’ils comprennent qu’il est temps de migrer, ils rentrent dans une frénésie alimentaire. Ce phénomène leur permet de stocker de la graisse afin de fournir l’énergie nécessaire à leur voyage, explique Lucy Hawkes, chercheuse spécialisée dans les migrations à l’université d’Exeter, qui mène des recherches sur la sterne arctique.
« D’une manière ou d’une autre, [les oiseaux] savent qu’ils doivent migrer et s’engraisser. »
Les conditions météorologiques locales et régionales, telles que la pluie, le vent et la température de l’air, peuvent elles aussi influencer le départ des oiseaux pour leur migration.
MIGRER DANS UN MONDE EN PERPÉTUEL CHANGEMENT
Conséquence du changement climatique, les calendriers migratoires évoluent. « Il semblerait que les migrations des oiseaux débutent un peu plus tôt au printemps », affirme Kyle Horton, chercheur en aéroécologie à l’université du Colorado. Il utilise la technologie radar pour cartographier les migrations des oiseaux aux États-Unis.
La paruline bleue (Setophaga caerulescens) par exemple, migre près de cinq jours plus tôt aujourd’hui qu’il y a soixante ans. Les merles d’Amérique en migration vers le Canada arrivent à destination douze jours plus tôt qu’en 1994. Les grues blanches (Grus americana) débarquent sur leur site d’escale au Nebraska près de vingt-deux jours plus tôt au printemps et repartent vingt-et-un jours plus tard en automne par rapport aux migrations observées en 1940.
Ces débuts de migration précoces pourraient profiter aux oiseaux seulement si la disponibilité des plantes et des insectes sur les lieux de reproduction suivait la même tendance. Mais tous les oiseaux ne sont pas nécessairement capables de s’adapter à un monde en réchauffement. Même si tel était le cas, les conséquences d’une telle adaptation ne sont pas encore bien connues.
Bien que les scientifiques tentent encore de percer les mystères de la migration des oiseaux, ce phénomène reste l’une des grandes merveilles de la nature.
« Ils volent toute la nuit, se nourrissent toute la journée et recommencent », déclare M. Horton. « C’est plutôt remarquable. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.