Le loup gris est-il toujours une espèce menacée ?
Le gouvernement américain assure que les loups prospèrent dans les 48 états des États-Unis contigus alors que les scientifiques affirment qu'ils sont toujours menacés par la chasse et la fragmentation de leur habitat.
Après quatre années d'efforts intenses de conservation, le temps de retirer les loups gris de la Liste des espèces menacées est finalement venu, comme l'annonçait récemment dans un communiqué l'United States Fish and Wildlife Service (USFWS).
« Les faits sont clairs et indiscutables, le loup gris ne remplit plus les critères des espèces menacées ou en voie de disparition, » indique par e-mail David Bernhardt, secrétaire par intérim à l'Intérieur des États-Unis.
« Aujourd'hui, le loup prospère sur l'ensemble de son aire de répartition et il est raisonnable de conclure qu'il continuera sur cette lancée à l'avenir. »
Pas si vite, répondent plusieurs scientifiques.
Tout d'abord, cette définition est sujette à débat. Aux États-Unis, selon la Loi sur la conservation des espèces menacées de disparition, une espèce végétale ou animale est considérée comme menacée lorsqu'elle est « en danger d'extinction sur toute son aire de répartition ou sur une partie significative de celle-ci. »
Or, les loups gris occupent moins de 20 % de leur aire de répartition d'origine aux États-Unis, fait remarquer Jeremy Bruskotter, chercheur en sciences sociales à l'université d'État de l'Ohio dont les travaux se sont déjà intéressés aux programmes américains de sauvegarde des loups gris.
« Peut-on parler de rétablissement de l'espèce ? Cela me paraît exagéré » commente-t-il.
« Je suis le sujet depuis 15 ans et c'est toujours la même histoire qui se répète, » confie Bruskotter, auteur d'une étude publiée en 2013 allant à l'encontre d'une proposition fédérale (une parmi tant d'autres) visant à retirer le loup gris de la liste des espèces menacées.
Avant l'arrivée des Européens dans le Nouveau Monde, les loups foulaient presque chaque centimètre du territoire nord-américain. Dans les années 1930, après des siècles de chasse, de capture et d'empoisonnement, leur espèce avait littéralement disparu dans les 48 états qui forment les États-Unis contigus. D'ailleurs, au début du 20e siècle, les vétérinaires infectaient délibérément les loups du Greater Yellowstone au moyen de mites responsables de la gale.
À l'heure actuelle, on dénombre plus de 6 000 loups gris fragmentés en plusieurs populations principalement réparties sur deux régions, l'ouest du pays et les Grands Lacs, grâce à un programme de réintroduction axé sur le parc national de Yellowstone dans les années 1990 et à la colonisation naturelle de meutes venues du Canada. Deux autres familles, le loup du Mexique et le loup rouge, luttent pour leur survie en populations sauvages réduite. Aucune de ces deux sous-espèces ne serait concernée par la proposition fédérale.
ÉTAT(S) DES LOUPS GRIS
Il est important de rappeler que les loups gris ont déjà été retirés de la liste pour de nombreuses régions qu'ils occupent, précise Gavin Shire, porte-parole du Fish and Wildlife Service des États-Unis.
En 2011, le Congrès avait adopté une loi qui abrogeait les mesures fédérales de protection du loup gris et confiait la gestion de l'espèce aux agences d'état de protection de la faune pour l'Idaho, le Montana, la région de l'Eastern Washington, l'est de l'Oregon et le nord de l'Utah. Puis en 2017, ce fut le tour des loups du Wyoming.
Si la nouvelle proposition est adoptée, Shire indique qu'il n'y aura aucun impact sur ces régions de l'aire de répartition du loup.
Les changements s'opéreraient plutôt au niveau de la protection fédérale des loups pour les états comme le Minnesota, le Michigan, le Wisconsin, pour lesquels on dénombre entre 2 000 et 3 000 animaux. Certaines zones des états de Washington et de l'Oregon seraient également affectées, ainsi que des régions que les loups commencent tout juste à coloniser, comme la Californie.
La prochaine étape est une période de 60 jours pendant laquelle le Fish and Wildlife Service attend les commentaires du public. Alors que ces commentaires peuvent prendre des formes variées, de la lettre rédigée en classe aux éditoriaux, Shire précise que l'organisme recherche en priorité « des informations scientifiques qui leur permettraient de prendre la bonne décision. »
« Cette décision n'a rien de scientifique, » déclare Brett Hartl, chargé de passer en revue la proposition pour le Center for Biological Diversity, un organisme à but non lucratif. « C'est tout simplement un choix politique arbitraire d'ignorer la proportion inoccupée d'habitat. »
À titre d'exemple, Hartl attire notre attention sur la façon dont l'USFWS aborde différemment la conservation du pygargue à tête blanche.
« Cette espèce n'a pas été considérée comme rétablie avant d'être présente dans tous les États, et ce, probablement à un niveau supérieur à celui de l'époque pré-européenne. » souligne-t-il.
« UN ENVIRONNEMENT DE PERSÉCUTION »
Le plan a toujours été de rendre le contrôle aux États une fois les objectifs atteints, affirme Carter Niemeyer, biologiste à la retraite et ex-responsable du rétablissement des loups pour l'organisme de protection de la vie sauvage de l'Idaho.
En ce qui concerne les loups des montagnes Rocheuses du Nord en Idaho, au Wyoming et au Montana, les objectifs étaient de maintenir la population dans chaque état à un minimum de 300 représentants, avec 30 couples reproducteurs, pendant trois ans.
Le problème, signale Niemeyer, c'est que les états comme son Idaho natal considèrent à présent chaque loup supplémentaire à cet objectif comme un « excédent de bagages » dont il est possible de se débarrasser par la chasse ou la capture.
« Ces chiffres étaient censés être des minimums, ajoute-t-il. Nous ne traitons pas les ours de cette façon, ni les pumas, alors pourquoi persécuter les loups de cette manière ? »
De nombreux propriétaires de ranchs, de fermes ou d'autres terrains se sont opposés avec virulence à la réintroduction des loups, en grande partie à cause des possibilités de prédation sur le bétail. Les propriétaires de bétail reçoivent des indemnités pour chaque bête tuée par des loups et parfois les loups sont eux-mêmes abattus ou relocalisés. Par ailleurs, la chasse et la capture des loups sont légales dans plusieurs états de l'ouest des États-Unis.
Un organisme de chasse, connu sous le nom de Foundation for Wildlife Management, est même allé jusqu'à offrir des récompenses d'un montant atteignant parfois 1 000 $ aux trappeurs qui traquent les loups en Idaho.
Tout cela ne fait qu'aggraver un sentiment anti-loup déjà existant, déclare Niemeyer. (Découvrez pourquoi la protection des loups fait débat)
« Je participe aux efforts de rétablissement des loups depuis le début et je déteste les voir finir dans un environnement de persécution à nouveau, » proteste Niemeyer, également auteur des livres Wolfer et Wolf Land.
EXISTE-T-IL UN NOMBRE JUSTE DE LOUPS ?
D'autres soutiennent le retrait des loups de la liste, comme Neil Anderson, responsable du programme de protection de la faune sauvage pour l'organisme Fish, Wildlife and Parks du Montana.
« L'un des avantages majeurs de confier aux états la gestion de la faune, y compris des loups, est de donner aux populations locales plus de contrôle et de poids sur la gestion de ces espèces, » explique-t-il.
Quoi qu'il en soit, Anderson admet que les loups demeurent une espèce controversée.
« Peut-être plus pour les loups que pour les autres grands carnivores, il semble qu'un fossé se soit creusé entre ceux qui souhaitent qu'il n'y ait aucune restriction sur le nombre de loups et ceux qui au contraire en veulent le moins possible, » nous informe Anderson.
L'organisme Fish, Wildlife and Parks du Montana vient tout juste d'annoncer les chiffres de sa saison de chasse et de capture des loups, au cours de laquelle 315 d'entre eux ont été tués. Un chiffre qui représente près de 40 % de la population totale de l'état, estimée à 850 loups.
Une chasse de cette envergure ne provoquera probablement pas l'extinction de l'espèce, rapporte Bruskotter, mais elle constitue tout de même un obstacle à son rétablissement.
Selon Bruskotter, la nouvelle proposition finirait par fragmenter les populations de loups en groupes isolés, plutôt que de rétablir des populations autonomes de prédateurs sur l'ensemble de leur aire de répartition.
En fin de compte, « le cœur du débat, c'est de déterminer dans quelle mesure on peut considérer qu'une espèce menacée est rétablie, » conclut Bruskotter.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.