Le parasite responsable de la toxoplasmose modifie le comportement des mammifères
Selon une nouvelle étude menée au Kenya, le parasite responsable de la toxoplasmose pourrait avoir une incidence plus importante sur le comportement animal, et peut-être humain, que ce que l’on pensait.
Un bébé hyène tachetée (Crocuta crocuta) lèche sa mère à la réserve nationale du Masai Mara au Kenya.
Adultes, elles sont les prédatrices les plus performantes d’Afrique. Mais lorsqu’elles sont petites, les hyènes tachetées (Crocuta crocuta) sont le mets favori des lions. Par conséquent, les bébés hyènes ne s’aventurent généralement pas aux côtés des grands félins et passent le plus clair de leur temps dans la tanière de leurs parents.
Ce comportement primitif peut toutefois être affecté par le parasite Toxoplasma gondii. Les petits malchanceux infectés par ce parasite s’approchent dangereusement des lions et ont quatre fois plus de risques d’être tués par ces grands félins que leurs congénères bien portants. Ces révélations ont été apportées par des décennies de données collectées à la réserve nationale du Masai Mara au Kenya.
« J’étais très surprise de voir la différence entre les bébés infectés, qui s’approchaient beaucoup des lions, et ceux en bonne santé », déclare Kay Holekamp, écologiste comportementale à l’université d’État du Michigan et coauteure de la nouvelle étude publiée dans la revue Nature Communications. « Je suis toujours étonnée quand [un comportement] aussi clair me saute aux yeux. »
Toxoplasma gondii est un parasite unicellulaire responsable d’un tiers des infections de la population humaine dans le monde. Il est connu pour sa capacité à manipuler ses hôtes. Par exemple, les souris infectées agissent imprudemment face aux chats domestiques. Cependant, c’est la première fois que les scientifiques observent de telles conséquences chez un grand mammifère sauvage.
Ce parasite, généralement non létal, peut infecter de nombreux animaux différents en leur transmettant une maladie appelée toxoplasmose. La recherche prouve également qu’il joue un rôle plus important que l’on ne le pensait dans le comportement des animaux sauvages.
« Ce parasite n’affecte pas uniquement les chats domestiques et les souris, c’est sûrement un phénomène beaucoup plus répandu », explique Mme Holekamp, qui étudie les hyènes depuis plus de trente ans.
DES JUVÉNILES TÉMÉRAIRES
Le Toxoplasma gondii peut infecter de nombreuses espèces hôtes, notamment les rongeurs, les oiseaux et d’autres proies. Il se transmet par l’ingestion de viande ou d’excréments contaminés. Il ne peut toutefois se reproduire que dans les intestins des félins. Une situation plutôt dangereuse pour les animaux infectés : pourquoi une proie s’approcherait-elle d’un prédateur ?
Après des millions d’années d’évolution, ce lointain cousin du paludisme a acquis une nouvelle compétence. Les rongeurs infectés par la toxoplasmose sont terriblement attirés par l’odeur de l’urine des chats. De fait, ils se rapprochent inévitablement d’un félin avide de nourriture.
« Non seulement le génome du parasite se mélange mais en plus [ce comportement] permet de produire des spores stables dans l’environnement qui permettent d’infecter d’autres hôtes », explique Zach Laubach, coauteur et chercheur postdoctoral à l’université du Colorado à Boulder par e-mail.
Puisque le parasite se reproduit au sein des intestins des lions et que les hyènes sont porteuses du Toxoplasma gondii, les deux chercheurs ont souhaité savoir s’il pouvait influer sur le comportement des hyènes hôtes.
Les chercheurs se sont penchés sur le Mara Hyena Project, un projet tenu depuis plusieurs décennies. Il recueille des données individuelles sur les emplacements des hyènes et de leur proximité avec d’autres animaux. Il recense également l’âge, le sexe et des échantillons sanguins des petits, qui permettent de savoir s’ils ont été infectés par le Toxoplasma gondii.
Leur analyse a révélé que plus d’un tiers des petits étudiés, 71 % des jeunes hyènes et 80 % des adultes avaient été infectés par le parasite.
Les petits en bonne santé restaient généralement à 91 mètres des lions. En revanche, ceux disposant d’anticorps dirigés contre la toxoplasmose s’aventuraient à environ 43 mètres des prédateurs, un comportement dangereux. Ces différences ont disparu après que les petits ont passé leur un an, peut-être parce que les survivants ont appris par la suite à ne pas s’approcher des félins.
Toutefois, l’étude présente une limite majeure. Personne ne sait encore si ces bébés hyènes étaient aussi téméraires face à d’autres prédateurs, que ce soit un félin ou non. Les deux auteurs étudient d’ores et déjà cette question.
DES RÉVÉLATIONS SURPRENANTES
Selon Stefanie Johnson, chercheuse à l’université du Colorado, cette étude « change la donne ». Elle étudie les impacts de la toxoplasmose chez les Hommes mais n’était pas impliquée dans le nouveau papier. « Elle confirme que la toxoplasmose engendre de fortes conséquences sur le comportement des mammifères », et potentiellement sur le nôtre.
La plupart des personnes qui contractent la toxoplasmose ne souffrent que d’une légère fièvre et se rétablissent rapidement. Le parasite peut tout de même provoquer de graves malformations congénitales chez les fétus, raison pour laquelle les femmes enceintes ne doivent pas nettoyer la litière de leur chat. Il existe toutefois des preuves curieuses, quoique controversée, qui soutiennent que la maladie pourrait faire prendre davantage de risques aux personnes infectées, par exemple conduire moins prudemment ou se lancer dans la création d’une entreprise.
Mme Jonhson fait partie de ceux qui estiment que ces conséquences sont liées aux nombreux changements que le Toxoplasma gondii induit pour contrôler ses hôtes. Elle juge que le parasite pourrait influencer les comportements par des moyens que nous ne connaissons pas encore.
« C’est un parasite que les gens estiment plutôt bénin, surtout chez les humains », indique-t-elle. « Mais quand vous vous penchez sur ses répercussions, la toxoplasmose pourrait avoir un impact plutôt conséquent sur le comportement des Hommes, et ce, même à l’échelle de la société. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.