Les insectes, indispensables à notre survie, sont en train de disparaître
À chaque personne sur cette planète correspond 1,4 milliard d'insectes et (presque) chacun d'entre eux nous est indispensable.
Chacun de nous a pour équivalent 1,4 milliard d'insectes. Bien qu'un microscope soit généralement nécessaire pour les apercevoir, les insectes « sont aux manettes de l'univers », selon David MacNeal, auteur de Bugged (« Ces petites bêtes qui nous embêtent »).
De nombreuses espèces sont aujourd'hui menacées de disparaître. Dans un entretien accordé à National Geographic, David MacNeal nous explique pourquoi leur disparition serait une catastrophe pour la vie terrestre et comment une abeille génétiquement modifiée pourrait sauver les ruches du monde entier, et notre alimentation.
Je pense que, comme moi, la plupart des gens voient les insectes comme... des insectes : d'ennuyeuses petites bestioles qui nous piquent, ruinent nos pique-niques... Comment se fait-il qu'ils vous émerveillent tant ?
Pris au cas par cas, les insectes n'ont certes pas un grand intérêt, à moins que vous vous allongiez par terre ou que vous les observiez au microscope afin de constater leur complexité. Mais ils sont la force invisible qui permet au monde entier de fonctionner.
Si les abeilles n'existaient pas, nous pourrions faire nos adieux aux amandes produites en Californie ou aux pastèques turques. Les insectes rendent également des substances nutritives à la terre. S'ils n'étaient pas là, la décomposition et les moisissures prendraient des proportions terribles.
Ces services qu'ils nous rendent passent inaperçus car les insectes sont si petits que nous les percevons souvent comme une nuisance. Alors qu'en réalité, ils sont aux manettes de l'univers.
Selon vous, les insectes effectuent des tâches qui se comptent en milliards de dollars...
Mace Vaughan et John Losey, deux entomologistes, ont mené des recherches approfondies sur la contribution des insectes à l'économie américaine. D'après le résultat de leurs recherches, elle s'élèverait à 57 milliards de dollars, sans compter la pollinisation. La majorité de cette contribution provient de la faune, entretenue par les insectes qui sont à la base de la chaîne alimentaire et servent de nourriture aux poissons, aux oiseaux ou aux mammifères. Les insectes antiparasitaires représentent un demi-milliard de plus. Par ailleurs, il est impossible de quantifier le coût que représente la reconversion d'un cadavre ou la décomposition de la vie végétale.
Vous affirmez que 2 086 espèces d'insectes sont consommées par 3 071 groupes ethniques différents à travers près de 130 pays. Pourriez-vous nous donner plus de détails sur ce menu mondial, et sur votre propre expérience au Japon ?
[Rires] Au Mexique, on vend des « chapulines » (des criquets) dans des sacs de papier marron remplis d'épices. Sur l'île de Bornéo, on mange des punaises et du riz agrémentées de piments et de sels cuisinées dans des tiges de bambous creuses. Les chenilles sont très populaires en Afrique et sont une excellente source de zinc, de calcium, de fer et de potassium. En Sardaigne et en Corse, on mange du « fromage qui pleure », le Casu Marzu, qui contient littéralement des asticots.
Au Japon, nous avons mangé dans trois restaurants, à Tokyo et à Shinjuku. Le premier proposait des chenilles de bambou qui semblaient clairement mortes depuis un bout de temps. Je n'ai pas réussi à les avaler. [Rires] Une bonne gorgée de bière a été nécessaire pour les faire descendre.
Le second restaurant dans lequel nous sommes allés proposait un large éventail d'espèces d'insectes. Parmi ceux-ci, il y avait un locuste mangeur de feuilles de riz. Il était cuisiné avec du soja et avait une belle dorure ; à cause des feuilles de riz que mangeait l'insecte, il était croustillant et suivi d'une saveur d'herbes unique. Je n'avais jamais goûté d'ingrédient comme celui-ci.
Les larves de guêpe avaient le goût des raisins blancs présents dans le couscous. Elles étaient sucrées et éclataient dans la bouche. Quand les chefs voient les insectes comme un ingrédient rempli de potentiel, ça donne des plats incroyables !
Si les humains venaient à disparaître demain, il n'y aurait pas d'énormes conséquences sur la planète. En revanche, la disparition des insectes pourrait être cataclysmique. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
La disparition des insectes est l'une des extinctions les plus étendues sur la planète. Elle est terrifiante dans la mesure où on ne le remarquera que lorsqu'il sera trop tard. Les circuits migratoires changent à cause du climat et les insectes permettent de constater ces modifications. Dans les années 1960, un collectionneur s'est rendu dans les dunes d'Antioch, dans l'État de Californie, et a capturé des insectes. Lorsque des scientifiques sont retournés sur les lieux quelques décennies plus tard, ils ont découvert que de nombreuses espèces avaient disparu avec les plantes qui les abritaient. Ces créatures dépendent de plantes et de certains climats et températures, une capacité d'adaptation qu'elles ont développé au cours des dernières 400 millions d'années.
Il y a 20 ans, vous auriez pu voir un milliard de papillons monarques migrer vers le Mexique. Selon les derniers chiffres, ils seraient 56,5 millions. Afin de lutter contre leur déclin, l'administration Obama a collaboré avec l'organisme Fish and Wildlife Service, en charge de la gestion et de la préservation de la faune aux États-Unis, et a promulgué la création d'une route de migration du Texas au Minnesota. Ils y ont planté des asclépiades, la plante hôte des monarques, dans l'espoir de quadrupler leur nombre d'ici à 2020. Comme je suis un cynique optimiste, je pense que les insectes nous survivront... si nous n'avons pas complètement fichu en l'air la planète avant.
Fut un temps où les sangsues étaient utilisées dans la médecine. Pourriez-vous nous expliquer la façon dont les insectes nous soignent de nos jours ?
Dans le cadre d'essais cliniques humains aux États-Unis et en Australie, une « peinture tumorale » à base du venin du scorpion appelé rôdeur mortel est étudiée. Elle s'accroche aux tumeurs à la manière d'un aimant. Des biologistes l'ont associé à des substances fluorescentes qui permettent de visualiser les tumeurs, devenues fluorescentes, directement dans le cerveau du patient plutôt que de se référer à un graphique d'IRM. Les neurochirurgiens voient ainsi l'endroit exact qu'ils doivent retirer et ne coupent pas de cellules saines. Dans certains cas, d'autres zones du cerveau s'éclairent, alors que le chirurgien aurait pu passer à côté d'une tumeur. C'est la révolution de la neurochirurgie !
Les cafards, quant à eux, aident les scientifiques à résoudre la résistance aux antibiotiques. Ils aiment la saleté : ils vivent dans les endroits les plus dégoûtants, alors qu'eux sont très propres. Ils sont donc devenus résistants à de nombreuses infections. Plutôt que de se pencher sur les plantes et les champignons pour concevoir de nouveaux traitements, les scientifiques commencent à étudier les insectes.
E.O. Wilson a qualifié les fourmis champignonnistes de « derniers super-organismes terrestres ». Parlez-nous de ces créatures fascinantes et de l'organisation de la société chez les fourmis qui reflète nos propres sociétés.
Nous pensions que la société des fourmis était organisée par classes. Vous avez l'ouvrier, le soldat et, en haut de la pyramide, la reine. Or, les entomologistes découvrent aujourd'hui que leur société repose principalement sur l'auto-administration et que les fourmis communiquent entre elles à une vitesse considérable. Des fourmis se croisent le long d'un sentier, se font de petites tapes à l'aide de leurs antennes, comme une sorte de code morse : « Nous devons aller de ce côté » ou « Va par là si tu cherches de la nourriture ».
Deborah Gordon mène d'incroyables recherches sur une espèce de fourmis qui rampent le long des feuilles des arbres sur lesquels elles vivent. Elle a découvert que lorsqu'une feuille venait à rompre, les fourmis coopéraient et la réparaient rapidement ; elles communiquent à une vitesse incroyable. Nous pourrions ainsi étudier les moyens de réparer différents systèmes ou de schématiser le cerveau, et ainsi trouver leur lien. Avec les abeilles, les dauphins et les humains, les fourmis sont parmi les êtres les plus intelligents de la planète.
Depuis l'Égypte ancienne, les abeilles produisent du miel. Or, une crise mondiale appelée syndrome d'effondrement des colonies sévit actuellement. Quelles sont ses causes ? Pouvez-vous nous en dire plus sur le travail passionnant effectué actuellement au Royaume-Uni sur les « abeilles hygiéniques » ?
Le syndrome d'effondrement des colonies a tiré la sonnette d'alarme au milieu des années 2000. Les entomologistes savaient qu'il y avait un problème avec les abeilles depuis la diffusion des acariens varroa à l'échelle mondiale dans les années 1980-1990. L'origine de leur diffusion demeure quant à elle un mystère. De nombreux scientifiques réalisent désormais que les causes se trouvaient sous leur nez pendant tout ce temps : les acariens varroa et les facteurs de stress issus des ruches transportées sur de longues distances pour la pollinisation, un phénomène fréquent aux États-Unis, qui l'est un peu moins au Royaume-Uni et en Europe. Pour un scientifique, les acariens varroa pourraient être comparés à un rat attaché à votre corps qui aspirerait vos substances vitales.
Des travaux incroyables sont réalisés sur des « abeilles hygiéniques » à l'université de Sussex, en Angleterre. L'évolution favoriserait naturellement les abeilles résistantes aux acariens varroa. Dans le laboratoire de l'université, ils reproduisent donc cette caractéristique spécifique au moyen d'abeilles reines résistantes à ces bactéries. De nombreux apiculteurs aux États-Unis et dans le monde entier sont à la recherche d'abeilles résistantes, ou « hygiéniques ».
Votre périple s'est achevé sur l'île grecque d'Ikaria. Qu'est-ce qui vous y a amené ? Dans quelle mesure l'écriture de ce livre a-t-elle changé votre vie ?
C'est une excellente question ! Je ne suis qu'un individu stupide et curieux. [Rires] Lorsque quelque chose titille ma curiosité, je le pourchasse jusqu'à la fin. Quand j'ai entendu parler de cette variété de miel, auquel les villageois attribuent leur longévité (sur l'île d'Ikaria, il n'est pas rare que les habitants vivent jusqu'à 90 voire 100 ans), j'étais fasciné. Leur miel s'appelle reiki, est aussi épais que le beurre de cacahuètes et est bourré de vitamines et de nutriments. Bien entendu, d'autres facteurs expliquent la longévité des insulaires, comme leur sociabilité. Lors des festivités annuelles du solstice d'été, ils se rassemblent dans leur village, jouent de la musique, boivent du vin et dansent en cercle, les bras joints. L'amour est partout !
Ce voyage a été différent des autres. Adolescent, j'étais cet imbécile qui pouvait vider une bouteille de Raid sur une araignée et me voilà en train de découvrir que nous sommes entourés de petites choses incroyables. Désormais, je me promène le cou tendu vers le sol. [Rires] J'ai appris à m'arrêter, à observer et à savourer. Nous ne sommes là que pour un court laps de temps ; il est donc réconfortant de savoir que d'autres éléments nous survivront pendant des millions d'années encore.
Cette interview a été éditée pour des raisons de longueur et de clarté.
Simon Worrall est le conservateur de Book Talk. Retrouvez-le sur Twitter ou sur simonworrallauthor.com.