Les pumas, ingénieurs de leur écosystème ?
Selon une étude récente, les pumas jouent un rôle surprenant dans le développement de leur écosystème.
Lorsqu'un puma s'abat sur un animal aussi imposant qu'un l'élan, c'est une vie qui semble disparaître mais en réalité, c'est un commencement pour une centaine d'autres espèces.
Même si ces grands félins peuvent facilement atteindre les 50 kg, ils ne sont certainement pas capables d'engloutir l'intégralité de la viande d'un élan de 300 kg. Une étude récente révèle que la carcasse cédée par les félins offre des ressources étonnamment variées à d'innombrables organismes dont la survie repose sur la consommation de chair en décomposition.
En 2016, au sud du Greater Yellowstone Ecosystem, des scientifiques ont utilisé des pièges à fosse pour recueillir des spécimens de coléoptères sur 18 animaux abattus par les pumas. Après avoir dénombré les coléoptères et identifié les différentes espèces, l'équipe de scientifiques a comparé ces données à celles recueillies sur des sites témoins situés une vingtaine de mètres plus loin.
Les résultats étaient époustouflants.
En tout, l'équipe avait collecté plus de 20 000 coléoptères sur les sites contenant les carcasses contre à peine plus de 4 000 pour les sites témoins. Plus de la moitié de ces insectes ont été identifiés comme appartenant à la famille des silphes d'Amérique (Necrophilia americana) mais les chercheurs ont recensé 215 espèces de coléoptères appartenant au total à 8 familles.
« Cela montre bien la complexité des événements qui prennent place sur ces sites, » indique le co-auteur de l'étude Mark Elbroch, responsable des pumas pour le groupe de conservation Panthera.
« Nous avons découvert bon nombre d'espèces dont j'ignorais totalement l'existence, » indique Elbroch, qui est également un explorateur de la National Geographic Society.
UN FOYER DE CHAIR EN DÉCOMPOSITION
La majorité des recherches sur les proies des pumas étaient jusque là concentrées sur des animaux plus gros. Une étude précédente réalisée par Elbroch avait révélé que 39 espèces d'oiseaux et de mammifères visitaient également ces sites d'abandon des carcasses, y compris des ours noirs, des souris sylvestre ou des geais de Steller.
Cette fois, les scientifiques ont décidé de cibler les coléoptères, faciles à capturer et à identifier, afin d'avoir une idée de ce qu'il se passe à une plus petite échelle.
Curieusement, les scientifiques ont identifié des coléoptères de la famille des Curculionidae, considérés avant tout comme des herbivores. Cet insecte végétarien était peut-être venu se nourrir du contenu des estomacs des élans ou des cerfs.
Ils ont également découvert des coléoptères chasseurs invétérés de limaces et d'escargots, des mollusques qu'il est possible de trouver en abondance sous la carcasse. D'autres insectes ont également été recueillis : « Si c'est la saison chaude, ces carcasses peuvent être recouvertes d'une couche d'asticots épaisse de plusieurs centimètres, » nous informe Elbroch.
Tout cela indique que ces carcasses ne sont pas uniquement une source de nourriture, mais bien des écosystèmes entiers pour les invertébrés.
« Ces carcasses sont leurs foyers. Les endroits où ces insectes trouvent un partenaire, où ils élèvent leur progéniture et où ils se cachent des prédateurs, » explique Elbroch, dont l'étude a récemment été publiée dans le journal Oecologia.
QUAND LE CHAT N'EST PAS LÀ, LES INSECTES DANSENT
Tout cela nous amène à un point très intéressant.
Si la chasse des pumas crée des habitats pour les coléoptères, il serait alors peut être temps de classer les prédateurs parmi les espèces ingénieurs, un terme habituellement réservé aux animaux qui modifient physiquement leur environnement, comme les castors, les termites et les éléphants.
Justin Wright, biologiste à l'université Duke dont les travaux se sont depuis des dizaines d'années intéressés aux espèces ingénieurs, déclare que les résultats de l'étude sont fiables. Toutefois, il ne souhaite pas se prononcer sur ce qu'est ou n'est pas une espèce.
Il trouve qu'il est plus important de continuer à sonder les relations entre des espèces qui, à priori, n'ont rien en commun, comme l'a fait cette étude.
Parallèlement, Wright se demande ce qui adviendrait des coléoptères si, pour une raison quelconque, les pumas venaient à disparaître. Après tout, les élans, les cerfs et les autres animaux de taille comparable finiraient toujours pas mourir, n'est ce pas ?
Selon Elbroch, il existe une différence. En effet, alors que les ongulés de grande taille meurent bien évidemment tout au long de l'année, la plupart d'entre eux trouvent la mort en hiver, époque à laquelle les insectes se font rares. D'un autre côté, les pumas produisent un type de carcasse unique en son genre car ils ne consomment pas l'intégralité de l'animal, comme pourrait le faire un ours, et ne démembrent pas leur proie, comme c'est le cas avec les loups.
Elbroch nous fait part de son désir de changer la façon dont sont perçus les pumas : « On peut dire que ce sont de redoutables animaux car ils tuent beaucoup de cerfs, ou alors que ce sont des animaux incroyables car ils soutiennent le développement de cette biodiversité. »