Menacé, ce mystérieux félin pourrait être sauvé par un plan d’une extrême simplicité

Rares sont ceux qui ont déjà pu apercevoir un chat doré africain. Un nouveau programme de conservation, ainsi que quelques cochons, pourraient éviter qu’il ne meure dans des pièges illégaux.

De Christine Dell'Amore
Publication 4 juin 2023, 20:57 CEST
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Félin le moins connu de tout le continent, le chat doré africain est pourtant presque menacé d'extinction, notamment à cause des pièges à gibier illégaux placés dans son habitat forestier. Un chat doré africain au pelage gris évolue dans la forêt tropicale du parc national de Kibale, dans l'ouest de l'Ouganda.

PHOTOGRAPHIE DE Sebastian Kennerknecht, Minden Pictures

Dans les forêts tropicales d’Afrique subsaharienne se faufile un chat sauvage rarement observé, au corps trapu et musclé, et dont la fourrure peut arborer une multitude de couleurs : orange, gris, noir et tacheté.

Le chat doré africain est le félin le moins connu de tout le continent, certains gardes-chasse n’ayant jamais posé les yeux sur un seul spécimen au cours de leurs trente ans de carrière. C’est ce qui a le plus intrigué l’écologiste Badru Mugerwa lorsqu’il a commencé à étudier cette espèce de 13 kg en 2010.

« Ma passion vient du fait que l’on ne sait presque rien de cette espèce », explique Mugerwa, fondateur et directeur de l’organisation de conservation à but non lucratif Embaka, nom donné à l’espèce du chat doré africain en rukiga, une langue de l’ouest de l’Ouganda. « Mon objectif est de rassembler ces informations et de les partager avec le reste du monde. »

C’est d’autant plus important que les deux sous-espèces d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique de l’Est de ce félin timide sont en voie de disparition, en raison de la déforestation généralisée et de la pose illégale de pièges à gibier. L’Union internationale pour la conservation de la nature considère l’espèce comme quasi menacée sur son aire de répartition, qui couvre vingt-et-un pays allant du Sénégal au Kenya.

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Un chat doré africain, Tigri, accroupi au parc Assango à Libreville, au Gabon, en 2016. Devenu orphelin quand il était chaton, Tigri était le seul chat doré africain connu en captivité au moment où il a été photographié.

PHOTOGRAPHIE DE Joël Sartore, Nat Geo Image Collection

En 2012 et 2013, Mugerwa a mis en place un important réseau de pièges photographiques dans le parc national ougandais de la forêt impénétrable de Bwindi. Ces pièges photographiques ont démontré que les chats solitaires avaient tendance à se cantonner au parc national et qu'ils s’aventuraient rarement, voire jamais, dans les communautés pour s’attaquer au bétail. L’espèce se nourrit principalement de petits mammifères, en leur tendant des embuscades. Ces données ont également révélé chaque portion de 16 km2 du parc national abritait un chat doré, ce qui consitue un nombre relativement stable, souligne-t-il.

Cependant, après avoir observé les pièges dans les forêts du parc pendant un an, Mugerwa a fait une sombre découverte : quatre-vingt-un chats étaient morts pris dans des pièges illégaux destinés aux antilopes et autres gibiers, leurs corps laissés à l’abandon.

« J’ai été très ému par cette découverte, qui a vraiment changé ma façon d’envisager la protection de la nature », confie Mugerwa. C’est ainsi qu’il a lancé un nouveau plan pour sauver le chat doré.

 

DES PORCS COMME SOURCE DE PROTÉINES

Lorsque Mugerwa a interrogé des Ougandais vivant dans l’aire de répartition du chat doré, ils ont répondu avoir une image positive du chat doré africain, mais que leurs principales préoccupations portaient sur leurs sources de revenus et de protéines. En 2020, Mugerwa et ses collègues ont donc lancé le programme Piglets for Bushmeat, qui propose des porcs domestiques comme alternative à la chasse illégale.

Le pig seeding, ou littéralement « ensemencement de porcs », puisque c’est ainsi qu’on l’appelle, fonctionne de la manière suivante : Embaka offre une truie gestante à une famille à condition qu'à la naissance des petits, la famille fasse don de quelques porcelets à ses voisins et s’engage à ne pas poser de pièges à gibier. À partir de ce système, toute une communauté peut élever et manger des porcs qui leur servent alors de principale source de protéines. Depuis 2020, l’organisation a fait don de cinquante-trois animaux, dont le nombre a maintenant doublé pour atteindre cent-deux animaux répartis entre soixante-deux familles, d’après Mugerwa.

« L’idée c’est que les bénéfices des mesures de conservation atteignent tous les membres de la communauté », explique Mugerwa. En 2021 et 2022, son organisation a également fourni des cliniques dentaires mobiles et gratuites à près de 500 personnes près de Bwindi afin d’inciter les gens à soutenir la protection de la faune et de la flore.

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    Les chats dorés africains étant généralement appréciés, Mugerwa a également recruté plus de 1 700 personnes pour rejoindre des groupes de lutte contre le braconnage basés dans les villages. Depuis le lancement du projet d’ensemencement de cochons, aucune des familles participantes n’a été prise en flagrant délit de braconnage, que ce soit par les forces de l’ordre ou par les groupes de surveillance communautaires, affirme Mugerwa, preuve de l’efficacité du programme.

    Fournir des animaux aux gens pour les dissuader de braconner s’est avéré une technique efficace dans d’autres situations, déclare Jim Sanderson, responsable du programme de conservation des petits félins à Re:wild et membre du groupe de spécialistes des chats de l’UICN. Par exemple, en 2022, le Fonds de conservation des espèces Mohamed bin Zayed a lancé un programme qui fournit des chèvres aux habitants de la réserve de chasse de Bire Kpatuos, au Sud-Soudan, une zone appartenant à l’aire de répartition du chat doré d’Afrique. Ce projet a déjà permis de réduire la chasse au gibier.

    « Ils arrêtent de braconner, et quand ils arrêtent de braconner, leur vie s’améliore. Cela aide toute la faune sauvage », explique Sanderson.

     

    « UN FANTÔME GRIS »

    Laila Bahaa-el-din est l’une des rares biologistes de la conservation à avoir observé un chat doré africain vivant.

    Un matin de 2012, alors qu’elle roulait sur une ancienne route forestière au Gabon, elle a aperçu un animal en forme de chat. « J’ai levé mon appareil photo, zoomé, et c’était bien un chat doré. J’ai commencé à trembler, c’était un moment intense », relate Bahaa-el-din, aujourd’hui consultante en conservation et spécialiste des pièges photographiques pour la société suisse Intellitraps.com.

    Quelques années auparavant, lorsqu’elle a envisagé d’étudier le chat doré africain dans le cadre de ses recherches de doctorat à l’université de KwaZulu-Natal, elle explique que les gens la croyaient folle. « [Le chat doré africain] relevait presque du mythe, c’était un fantôme gris. »

    Déterminée, elle a installé des pièges photographiques dans plusieurs régions du centre du Gabon, notamment dans un site sauvage inexploité, dans une forêt continue auparavant explorée, dans une mosaïque de forêt et de savane ayant fait l’objet d’une exploitation forestière, dans deux concessions forestières et dans la zone de chasse d’un village. Sans surprise, la plus forte densité de chats a été enregistrée dans le site sauvage inexploité, avec un taux encourageant de 16 animaux par 100km2. Comme on pouvait s’y attendre, Bahaa-el-din a pris le moins de chats en photo dans les zones de chasse, où les pièges illégaux sont monnaie courante. 

    Au Gabon, des lois strictes régissent l’exploitation forestière. La coupe rase de forêts entières est par exemple interdite, ce qui explique sans doute pourquoi Bahaa-el-din a également enregistré plusieurs chats dans les zones d’exploitation forestière. « C’est une observation intéressante », dit-elle. « Si l’on fait pression sur les sociétés d’exploitation forestière pour qu’elles fassent les choses correctement, elles peuvent continuer à percevoir des gains économiques tout en préservant une certaine biodiversité. »

    Cette preuve que les chats peuvent survivre dans les zones d’exploitation forestière et autres terres exploitées lui donne beaucoup d’espoir, alors qu’elle s’en sentait comme dépourvue avant ses recherches, confie Bahaa-el-din.

    « Tant que les gouvernements mettront en place des règles concernant les pièges, les chats dorés devraient pouvoir s’en sortir sans problème. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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