Pour faire fuir les prédateurs, ces chauves-souris imitent les frelons
Pour éviter de se faire dévorer par les chouettes, les grands murins imitent les bourdonnements des frelons : une adaptation remarquable qui n'avait encore jamais été observée chez les mammifères.
Une chauve-souris de l’espèce des grands murins (Myotis myotis) en plein vol. Les grands murins peuvent imiter le bourdonnement des frelons pour faire fuir les prédateurs.
Le mimétisme est une pratique répandue chez les animaux.
Certaines chenilles peuvent se faire passer pour des serpents venimeux. Le petit de l’aulia cendré, un oiseau d’Amazonie, peut prendre l’apparence d’une chenille toxique. Les syrphes, une espèce de mouche, ont quant à eux évolué pour ressembler à des guêpes, bien plus agressives et craintes.
Toutes ces ruses sont des exemples du mimétisme batésien : une astuce de l’évolution qui permet à un animal relativement inoffensif de copier une espèce plus dangereuse afin d’effrayer les éventuels prédateurs.
À notre connaissance, ce type spécifique de mimétisme est presque perpétuellement visuel dans la nature et, le plus souvent, on l’observe chez les insectes, les oiseaux et les reptiles.
Cependant, pour la première fois, un type de mimétisme acoustique a récemment été observé chez des mammifères. Une étude publiée le 9 mai dans Current Biology a révélé qu’une espèce de chauve-souris européenne commune, le grand murin, semblait imiter le bourdonnement des frelons, probablement pour éviter d’être dévoré par les chouettes.
« Nous avons découvert qu’un mammifère imitait le son d’un insecte pour effrayer un oiseau prédateur », explique Danilo Russo, auteur principal de l’article et professeur d’écologie à l’Università degli Studi di Napoli Federico II, en Italie. « Il s’agit d’une interaction évolutive étonnante impliquant trois espèces éloignées les unes des autres sur le plan de l’évolution. »
UNE DÉCOUVERTE SURPRENANTE
Les grands murins, ou Myotis myotis, sont une espèce de chauve-souris européenne très répandue qui aime se nourrir d’insectes, notamment de coléoptères. Elles vivent en colonies dans les bois et en lisière de forêt, et se perchent dans des grottes souterraines pendant la majeure partie de l’année, ou dans des bâtiments pendant l’été. Ces chauves-souris sont souvent la proie de divers oiseaux, notamment de l’effraie des clochers (Tyto alba) et de la chouette hulotte (Strix aluco), en particulier lorsqu’ils quittent ou retournent à leur perchoir.
En 1999, Russo travaillait à la mise en place d’une bibliothèque d’appels d’écholocation de chauves-souris européennes, et collectait des données sur la manière dont les différentes espèces communiquent entre elles. Alors qu’il extrayait un petit murin d’un filet japonais, en le tenant dans ses mains, le petit animal s’est mis à trembler et à émettre un bourdonnement intense et continu, raconte Russo, qui avoue avoir été surpris par ce qu’il entendait.
« Ma toute première pensée a été… on dirait des frelons, ou des guêpes ! »
Dans un premier temps, les chercheurs ont supposé que le bourdonnement n’était qu’un appel de détresse ordinaire. Mais le son était si clairement similaire à celui d’un insecte qu’une hypothèse a très vite surgi et, des années plus tard, ils ont enfin décidé de la vérifier : se pourrait-il que ces chauves-souris imitent des frelons ou des abeilles ?
Par le passé, Russo avait lui-même collecté des pelotes de réjection de chouettes effraies à l’entrée d’une grotte dans laquelle ces chauves-souris se perchaient. « Croyez-le ou non, les pelotes de réjection contenaient de nombreux crânes de chauves-souris », dit-il. Il a donc estimé qu’il n’était pas impossible que ces chauves-souris « aient, dans leur évolution, "fait" une tentative particulièrement extrême pour repousser [les chouettes] et de s’échapper ».
UNE RESSEMBLANCE FRAPPANTE
Dans l’étude actuelle, Russo et ses collègues ont d’abord comparé les bourdonnements de la chauve-souris à ceux de quatre espèces différentes d’hyménoptères, dont les abeilles européennes (Apis mellifera) et les frelons européens (Vespa crabro). L’équipe a analysé les sons en fonction de leur longueur d’onde, de leur fréquence, de la durée de l’appel et d’autres paramètres, et a constaté que leurs structures étaient très similaires.
Les chouettes entendent un plus large spectre de longueurs d’onde que les humains. En supprimant les sons les plus aigus, les chercheurs ont donc modifié les paramètres sonores afin de les faire correspondre à ce qu’une chouette entendrait. Ils se sont rendu compte que, aux oreilles de ces oiseaux, les sons émis par les chauves-souris ressemblaient encore plus à des insectes bourdonnants que pour les humains. « La similitude était particulièrement forte lorsque les variables qui ne sont pas détectées par les chouettes… étaient supprimées », explique Russo.
Ensuite, à l’aide de haut-parleurs, les chercheurs ont passé deux bourdonnements d’insectes. L’un était le son du bourdonnement d’une chauve-souris, l’autre était le cri social d’une chauve-souris à des chouettes captives et sauvages de deux espèces différentes : l’effraie des clochers et la chouette hulotte.
Bien que le fait d’entendre des enregistrements de chauve-souris ait incité les chouettes à se rapprocher de la source du son, elle a surtout semblé les perturber. Elles tentaient de s’échapper ou de s’éloigner du haut-parleur, ou au moins d’inspecter ce qui se passait.
Au cours de l’expérience, les chouettes sauvages, qui se souvenaient peut-être d’avoir déjà été piquées par des insectes volants, se sont montrées plus effrayées et essayaient davantage de s’échapper que les chouettes élevées en captivité. Pour Russo et son équipe, cela pourrait s’expliquer par le fait que les individus captifs n’aient jamais été en contact avec un insecte piqueur. Toutefois, pour le moment, peu de données scientifiques existent permettant de savoir si les chouettes sont souvent piquées par des abeilles, des frelons et des guêpes, et si elles rencontrent souvent ces insectes.
« Elles savent sûrement que c’est une rencontre dangereuse », affirme Russo. C’est aussi pour cette raison qu’il affirme que ce type de mimétisme batésien est sans doute une technique déployée par les chauves-souris lorsqu’elles ont été capturées et qu’elles souhaitent gagner du temps pour pouvoir s’échapper.
LES FUTURES RECHERCHES
Comme c’est toujours le cas avec de telles découvertes, de nombreuses questions demeurent.
Lors des futurs travaux, il faudra reproduire ces découvertes dans la nature, plutôt qu’en laboratoire, et avec un plus grand nombre de chouettes afin de confirmer s’il s’agit vraiment d’un type de mimétisme batésien, déclare Bruce Anderson, professeur d’entomologie à l’université de Stellenbosch, en Afrique du Sud, qui n’a pas participé à l’étude. Il faut également vérifier si les chouettes ne sont pas tout simplement effrayées par le volume du bourdonnement des chauves-souris, comme elles pourraient l’être par tout autre bruit fort et soudain. « Nous pourrions chercher à savoir s’il s’agit d’un cas de mimétisme ou d’exploitation d’un biais sensoriel », déclare Anderson.
On ne sait toujours pas si, et dans quelle mesure, les chouettes craignent les insectes qui bourdonnent, bien que les données semblent indiquer que les oiseaux en général évitent de nicher dans les cavités occupées par de tels insectes. Les chercheurs pourraient également en apprendre davantage sur ces bourdonnements, et découvrir s’ils sont propres aux insectes piqueurs ou si d’autres insectes peuvent aussi les produire. Il serait également intéressant de vérifier si les chouettes qui ont déjà été piquées par le passé réagissent plus craintivement que celles qui ne l’ont pas été, selon David Pfennig, professeur de biologie à l’université de Caroline du Nord à Chapel Hill, qui n’a pas participé à l’étude.
Bien que le mimétisme soit courant et que certains cas de mimétisme batésien soient bien connus, ce phénomène reste en grande partie mystérieux et saisissant, ajoute Pfennig. Pour lui, c’est la raison pour laquelle de telles découvertes sont importantes. « Le mimétisme batésien fournit certains de nos meilleurs exemples de la façon dont la sélection naturelle peut permettre une adaptation remarquable, y compris entre des groupes d’organismes qui sont très éloignés les uns des autres », explique -t-il. Il existe d’autres exemples de mimétisme acoustique entre différentes espèces : par exemple, la chouette des terriers émet des sifflements ressemblant à ceux des serpents à sonnette, mais ce qui semble être une première, c’est qu’un mammifère copie un insecte.
À l’avenir, les scientifiques aimeraient affiner et étendre leurs recherches.
« Bien qu’il soit toujours utile de valider les observations sur le terrain, nos résultats étaient limpides », déclare Russo. « Il serait intéressant d’observer des stratégies similaires chez d’autres espèces. » Avec plus de 1 400 espèces de chauves-souris, ainsi qu’une poignée d’espèces vertébrées hors-chauves-souris qui bourdonnent également lorsqu’elles sont dérangées, Russo estime que d’autres espèces que celle qu’ils ont étudiée pourraient utiliser la même ruse.
Selon Anastasia Helen Dalziell, chercheuse en ornithologie à l’université de Wollongong, en Australie, qui n’a pas participé à l’étude, cette stratégie des animaux vivant dans des cavités consistant à imiter des sons effrayants pour éviter les prédateurs pourrait en réalité être très répandue.
« La plupart de nos connaissances sur le mimétisme ont été acquises grâce à des études sur le mimétisme visuel mais, en principe, les signaux mimétiques pourraient fonctionner pour n’importe quel [type] de sens », explique Dalziell. « C’est vraiment formidable d’avoir un autre exemple de mimétisme acoustique… pour contribuer à encourager une étude plus large du mimétisme. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.