Ces coléoptères consomment de la chair putréfiée (et intéressent les scientifiques)

La ténacité du nécrophore d’Amérique face à la mort pourrait participer à la recherche pour la santé humaine, notamment au développement d'une nouvelle génération d’antibiotiques.

De Kelsey Nowakowski
Publication 14 avr. 2025, 15:32 CEST
PHOTOARK

Nécrophore d’Amérique (Nicrophorus americanus)

PHOTOGRAPHIE DE Joël Sartore, National Geographic, Photo Ark; PHOTOGRAPHED AT SAINT LOUIS ZOO

Parmi les derniers participants au combat contre les infections résistantes aux antibiotiques, on trouve un coléoptère noir constellé de points rouges et affublé d’antennes orange. Connu pour passer la majeure partie de sa vie sous terre, le nécrophore d’Amérique, méconnu, pourrait être la clé du développement de la nouvelle génération d’antibiotiques.

Au cours des deux dernières décennies, les chercheurs ont étudié la façon qu’ont ces coléoptères de conserver la viande à température ambiante, cherchant à s’approprier leurs propriétés antibactériennes et anti-moisissures pour un usage humain. Mais ce n'est pas tout : les scientifiques leur ont découvert un nouveau super-pouvoir. Les nécrophores d’Amérique résistent à de puissants insecticides mortels. Une découverte qui attise leur curiosité et nourrit leur envie d’étudier l’insecte pour créer un médicament qui pourrait sauver des vies.

 

LES NÉCROPHORES PEUVENT SURVIVRE À DE PUISSANTS INSECTICIDES

Ce coléoptère souterrain a fait de la mort son fonds de commerce, un mode de vie qui l’expose régulièrement à une myriade de pathogènes.

Par exemple, afin de nourrir ses petits, il cherche de petites charognes d’animaux, comme des souris, des chiens de prairie et des oiseaux, toutes bourrées de pathogènes. Après avoir repéré, à l’aide de son odorat, une carcasse qui peut se trouver jusqu’à 3 kilomètres de lui, le coléoptère et son compagnon enterrent l’animal mort, le débarrassent de sa fourrure ou de ses plumes, le roulent en boule et le recouvrent de sécrétion orale et anale qui le conservent durant des semaines, voire plus. Cette boule ainsi incubée sert de source de nourriture et d’abri pour les futurs petits, un exemple unique d’attention biparentale dans le monde des insectes.

Mais aussi malins et tenaces que soient les germes, ce sont la perte de leur habitat et la crise climatique qui menacent le plus les nécrophores d’Amérique. Une étude récente parue dans la revue scientifique PLOS One, a cherché à comprendre quels effets les néonicotinoïdes, les insecticides les plus communs, avaient sur les nécrophores. Dérivés de la nicotine, ces insecticides, interdits au sein de l’Union européenne, aident également à contrôler les populations de vermines en perturbant leurs neurotransmetteurs. Ils peuvent cependant avoir le même effet sur les insectes, comme les coléoptères souterrains.

Les scientifiques qui ont participé à cette étude avaient précédemment étudié et documenté la mort de bousiers ainsi exposés aux néonicotinoïdes. Ils étaient donc curieux de voir si d’autres espèces de coléoptères souterrains partageaient le même sort funeste.

À leur grande surprise, la recherche a révélé que les nécrophores d’Amérique exposés aux néonicotinoïdes s’en remettaient étonnamment rapidement, suggérant des capacités uniques de détoxification de leur part.

« Ils se retournent sur le dos, se tortillent, ils sont hyperactifs et déploient leurs ailes sans s’envoler », explique le co-auteur de l’étude, Wyatt Hoback, un entomologiste de l’université publique de l’Ohio. Ils gigotent, mais ne restent pas inactifs comme la plupart des insectes le feraient. « La plupart du temps, ces symptômes conduisent à la mort de l’insecte. Mais, curieusement, dans le cas des nécrophores d’Amérique, ils agissent comme s’ils étaient intoxiqués et sur le point de mourir pendant une journée, et tout revient à la normale le jour suivant. »

 

LEUR TENACITÉ POURRAIT MENER À DE NOUVEAUX MÉDICAMENTS

Les scientifiques ont fait deux découvertes majeures à partir de ces études. Mais il n’y a pas que de bonnes nouvelles. Certes, les coléoptères peuvent survivre au poison mais le changement dans leur comportement les rend vulnérables aux prédateurs et réduit le temps qu’ils passent à se nourrir. Autant de signes qu’une réduction de leur exposition aux néonicotinoïdes dans la nature est essentielle. Le nécrophore d’Amérique figure sur la liste des espèces en danger depuis 1989. Les efforts de conservation et de réintroduction ont augmenté son nombre dans certains de ses habitats ancestraux au nord-est et au centre-ouest du pays. Ainsi, depuis 2020, l’insecte est passé d’espèce en danger, à espèce menacée. La réduction de son exposition aux pesticides participerait au maintien de la population.

Les chercheurs ont également été surpris par la capacité incroyable du coléoptère de se remettre du poison. Wyatt Hoback étudie l’espèce depuis plus de vingt-cinq ans et confie que cette découverte a affermi sa certitude : le nécrophore d’Amérique détient la clé d’avancées médicales impensables pour l’humain.

Les spécimens qu’ils étudiaient n’avaient jamais été exposés aux pesticides auparavant, les chercheurs pensent donc que les nécrophores développent des détoxifiants biologiques génétiques grâce à leur mode de vie unique. Ils suspectent qu’une exposition fréquente aux bactéries mangeuses de chair et à d’autres pathogènes pourrait avoir poussé l’espèce à développer un système naturel de défense afin de se protéger de substances potentiellement dangereuses.

À présent, les chercheurs étudient le génome et le microbiome de ce coléoptère, comme ses sécrétions orales et anales, afin de détecter les gènes uniques et les bactéries qui aident l’espèce à se remettre d’une exposition aux néonicotinoïdes et à préserver la viande à température ambiante. Jusque-là, les scientifiques ont cultivé onze espèces différentes de bactéries à partir de l’insecte. L’une d’elle est complètement inédite aux yeux de la science. Le séquençage moléculaire parvient à l’identifier mais les scientifiques doivent encore étudier son fonctionnement.

 

LES COLÉOPTÈRES RECÈLENT ENCORE DES SURPRISES

Les réponses aux questions encore en suspens pourraient un jour apporter les solutions à des problèmes aussi tenaces que léthaux. Le staphylocoque doré résistant à la méticilline, aussi appelé MRSA, est un genre de staphylocoque qui prouve résistant à certains antibiotiques. C’est un problème de taille dans beaucoup d’hôpitaux, et chez les athlètes de haut niveau : ce pathogène agressif ronge les tissus vivants.

« Si nous pouvions découvrir comment les nécrophores font face à la gangrène et aux staphylocoques dorés dans leur environnement, nous serions en mesure de séquencer les protéines spécifiques impliquées dans le processus et développer un traitement médicamenteux », explique Wyatt Hoback.

Les scientifiques souhaitent continuer à étudier les spécimens qui ont été exposés à l’insecticide et s’en sont remis, en se concentrant sur les gènes responsables de cette survie. Ce processus de « régulation positive » mènerait à la production de plus de protéines pouvant aider à faire face aux menaces environnementales comme les toxines ou bien répondre à certains besoins cellulaires.

Immo Hansen, professeur en biologie moléculaire de l’université publique de l’État du Nouveau-Mexique, a participé aux travaux sur les nécrophores américains aux côtés de Wyatt Hoback. Il est certain que, grâce à ces nouvelles découvertes et à la documentation pré-existante, les coléoptères et leurs microbes seront derrière la nouvelle génération d’antibiotiques. « Ils doivent avoir des propriétés antibactériennes qui pourraient être utilisées pour combattre les infections chez les humains », dit-il.

Que les nécrophores d’Amérique soient exposés aux insecticides ou à la chair en putréfaction, leur physiologie vient à la rescousse, probablement sous la forme d’une régulation positive génétique qui les protège et les garde en bonne santé. Une capacité qui pourrait grandement améliorer la santé humaine, pour peu qu’on la comprenne mieux.

« Nous devons identifier les parties les plus pertinentes pour le bénéfice humain. Est-ce la bactérie ou le nécrophore lui-même qui exprime les enzymes permettant son rétablissement ? » se demande Wyatt Hoback.

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    Une version de cet article apparaît dans le numéro de mai 2025 du magazine National Geographic en langue anglaise.

    La National Geographic Society s’est engagée à mettre en lumière et à protéger les merveilles de notre monde. Elle a financé le travail de l’explorateur Joel Sartore. Pour en apprendre plus sur le soutien que la Society apporte aux explorateurs, cliquez ici.

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