Cette espèce rare a élu domicile au cœur d’une grande ville

Le douc à pattes rouges, une espèce en danger critique d'extinction qui évite les zones urbaines, s'est réfugié dans la ville de Da Nang, métropole animée de plus d’un million d’habitants.

De Stefan Lovgren
Publication 27 déc. 2023, 17:11 CET
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Un douc à pattes rouges se détend parmi les fleurs sur la péninsule de Son Tra à Da Nang, au Vietnam. Environ 2 000 individus de cette espèce vivent sur cette péninsule.

PHOTOGRAPHIE DE quangpraha, Getty Images

Dans cette ville du centre du Vietnam qui compte 1,2 million d'habitants, les promoteurs ont englouti presque chaque parcelle de terre. De gigantesques hôtels bordent une plage de sable blanc longue de plusieurs kilomètres. Il reste cependant un terrain de premier choix, pratiquement intact : la pointe montagneuse et boisée de la péninsule de la ville. Cette péninsule est une réserve naturelle de 2 600 hectares qui porte le nom de Son Tra et qu’on appelle aussi « la montagne des singes ».

La réserve, dans laquelle se trouve également une base militaire, est le dernier refuge du douc à pattes rouges, un langur en danger critique d'extinction qui ne compte qu'environ 2 000 individus à Son Tra. Lors d'une récente visite, l'écologiste Hoang Van Chuong, directeur du développement de l'organisation locale à but non lucratif GreenViet, a rapidement repéré plusieurs singes à longue queue aux couleurs vives à la cime des arbres. « Pas facile de se cacher avec de telles caractéristiques », plaisante-il. 

Les animaux, très occupés à déguster des feuilles, ne semblaient pas trop dérangés par notre présence. Pourtant, les doucs ont de bonnes raisons de craindre les humains. Chassés depuis longtemps pour leur viande et les besoins de la médecine traditionnelle, ils ont perdu une grande partie de leur habitat forestier d'origine, qui s'étendait autrefois sur toute la région. Ces singes ont été repoussés dans de minuscules enclaves de jungle et aujourd'hui, on ne les trouve plus que dans quelques zones du Laos et dans deux populations isolées au Viêt Nam, dont la plus importante se trouve à Son Tra.

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Vue panoramique de la ville de Da Nang depuis le sommet de la péninsule de Son Tra en 2019.

PHOTOGRAPHIE DE Quang Nguyen Vinh, Alamy Stock Photo

Les doucs font partie des nombreuses espèces ayant considérablement décliné en raison de la fragmentation de l'habitat, dont les études montrent qu'elle est le principal facteur de perte de biodiversité à l'échelle mondiale, en particulier en Asie du Sud-Est. La croissance urbaine contribue largement à ce problème et la population des villes du monde entier devrait augmenter de 2,5 milliards de personnes au cours des 30 prochaines années, ce qui triplera l'empreinte carbone mondiale des villes. Les animaux ne pouvant pas s'adapter aux milieux urbains risquent d'être repoussés dans des endroits de plus en plus petits et isolés, alertent les experts.

Selon Rohan Simkin, écologue à l'université de Yale, qui étudie l'impact de l'expansion urbaine sur la faune et la flore, « les espèces qui ont besoin de zones sauvages relativement grandes et intactes », comme c’est le cas des doucs à pattes rouges, « disparaîtront, tandis que les espèces indigènes et introduites qui prospèrent dans les villes prendront leur place ». 

Tout comme d’autres chercheurs, il pense que les espèces incapables de s'adapter aux environnements urbains sont probablement bien plus nombreuses que celles qui s'y adaptent, bien qu'aucune étude d'envergure n'ait été menée pour le confirmer.

 

NOTRE PÉNINSULE, NOS SINGES

Le mot douc est un ancien nom vietnamien qui signifierait « singe ». En plus du douc à pattes rouges, il existe deux autres espèces de doucs en Asie du Sud-Est, également en danger critique d'extinction : le douc à pattes noires et le douc à pattes grises. Une partie de la déforestation est due à la guerre du Viêt Nam, lorsque les forêts ont été pulvérisées avec le défoliant toxique connu sous le nom d'agent orange. Dans les années qui ont suivi la guerre, le gouvernement vietnamien s’est attelé à faire croître son économie sans prêter attention à la protection de la faune et de la flore.

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    Les doucs à pattes rouges s'aventurent rarement au sol et passent tout leur temps dans les grandes canopées forestières.

    PHOTOGRAPHIE DE Phan Duy Hao, Getty Images

    Il y a encore dix ans, peu d’habitants de Da Nang savaient que des doucs vivaient à Son Tra, selon Larry Ulibarri, anthropologue à l'université de l'Oregon à Eugene, qui a consacré sa thèse de doctorat à cette espèce. Lorsqu'il a montré des photos des animaux aux responsables locaux, il s'est vu répondre que « ces primates se [trouvaient] en Afrique, pas ici ».

    La présence des doucs a commencé à se faire connaître lorsque GreenViet, créée en 2014, ainsi que d'autres défenseurs de l'environnement ont commencé à organiser des expositions de photos, des visites d'écoles et d'autres programmes de sensibilisation.

    « Les gens se sont rendu compte qu'il s'agissait de notre péninsule et que ces singes étaient les nôtres... et ont demandé ce qu’ils pouvaient faire pour les protéger », raconte Chuong. Les hôtels locaux ont commencé à demander des photos des langurs pour les exposer dans leurs halls d'entrée.

    En 2016, les plans dévoilés par des promoteurs en vue de construire plusieurs stations balnéaires à l'intérieur de la réserve ont soulevé un tollé général. Des militants ont recueilli 10 000 signatures pour protester contre le projet, une manifestation inhabituelle d'opposition publique au Vietnam. Lorsque les dirigeants nationaux se sont joints à l'appel, le projet a été abandonné.

    « La présence des singes a empêché l’exploitation de Son Tra », explique Ulrike Streicher, vétérinaire allemande qui a mené les premiers efforts de sensibilisation.

    Bien que le personnel militaire de Son Tra ait intercepté des braconniers, la chasse n'est plus considérée comme une menace majeure dans la réserve.

     

    S’ADAPTER OU NE PAS S’ADAPTER

    À l'échelle mondiale, près de la moitié des forêts originelles ont disparu et la différence a été évidente dans les forêts tropicales, qui abritent au moins la moitié des espèces de la planète. Outre la croissance urbaine, l'expansion agricole et l'exploitation forestière sont les principaux moteurs de la disparition des forêts en Asie du Sud-Est et ailleurs. Cette perte des terres est parfois rapide, mais elle est le plus souvent progressive, en particulier dans les zones protégées.

    Les espèces qui peuvent s'adapter et même prospérer dans des paysages perturbés ou des environnements urbains ont généralement un régime alimentaire très varié et une capacité à résoudre des problèmes rapidement, comme le fait de devoir trouver un endroit où dormir dans une ville animée. Il s'agit souvent d'animaux de petite taille, comme les souris et les rats, mais aussi de cerfs et de prédateurs de taille moyenne, comme les coyotes d'Amérique du Nord.

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    Le douc à pattes rouges, qui vit dans les arbres, est connu pour la couleur bordeaux qui s'étend de ses chevilles à ses genoux.

    PHOTOGRAPHIE DE Richard McManus, Getty Images

    Malheureusement, beaucoup plus d'animaux sont probablement incapables de s'adapter, comme la panthère de Floride, très menacée par l'urbanisation, dont il ne reste qu'environ 200 individus à l'état sauvage. Ce grand félin a besoin de territoires vastes pour survivre et trouver d'autres individus avec lesquels s'accoupler.

    Le douc à pattes rouges a des besoins similaires. Une famille de doucs, qui compte normalement de quatre à quinze individus, nécessite environ au moins douze hectares, selon Chuong. Si leur espace vital est trop limité, les animaux risquent de se reproduire en consanguinité, ce qui se traduirait par des lignées moins robustes et moins viables sur le plan génétique.

    La bonne nouvelle, c’est que les doucs à pattes rouges ont un régime alimentaire relativement flexible et se nourrissent principalement de bourgeons et de jeunes pousses, mais aussi de fleurs, de fruits, de graines et d'écorces. 

     

    UN COSTUME HAUT EN COULEURS

    À Son Tra, l'écotourisme permet d’établir un contact entre l’humain et la faune et la flore locales. GreenViet, par exemple, organise des excursions quotidiennes pour observer les singes. Les doucs n’étant pas des animaux naturellement curieux, ils restent généralement en haut des arbres à manger leur propre nourriture. Le risque qu'ils s'habituent à l'Homme est donc considéré comme faible.

    Avec leur apparence extravagante, qui leur a valu le surnom erroné de « singes déguisés », ils sont agréables à regarder. « Beaucoup de personnes nous disent que voir un douc est une expérience unique », déclare Võ Hồ Quế Anh, qui dirige les visites de GreenViet. L'organisation affirme avoir touché jusqu'à présent environ 30 000 personnes grâce à ses programmes éducatifs de sensibilisation.

    Le travail semble porter ses fruits puisque la population de doucs de Son Tra est passée d’environ 1 300 en 2017 selon GreenViet, à plus de 2 000 aujourd’hui, selon une étude qui n’a pas encore été publiée.

    « Cela montre qu'il est possible de protéger [les doucs] en prenant soin de Son Tra », déclare Chuong.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

    Stefan Lovgren contribue fréquemment à National Geographic et couvre le Mékong dans le cadre du projet de l'USAID (l’Agence des États-Unis pour le développement international) « Wonders of the Mekong » (Merveilles du Mékong). Il est coauteur de Chasing Giants : In Search of the World's Largest Freshwater Fish (À la recherche du plus grand poisson d'eau douce du monde).

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