Changement climatique : une hausse des migrations semble inévitable
Le changement climatique, et les catastrophes qui en découlent, contraint de nombreuses personnes à quitter leur foyer. Comment ces nouvelles migrations sont-elles gérées par les États ? Interview.
Des pêcheurs bangladais aux maisons submergées par les eaux aux paysans sahéliens forcés d’abandonner leurs champs devenus infertiles, une nouvelle catégorie de migrants a vu le jour : les réfugiés climatiques. Mais le droit international peine encore à prendre en compte ce nouveau défi humanitaire. De retour d’une réunion du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) à Katmandou, au Népal, François Gemenne, directeur de l’observatoire Hugo sur les migrations, l’environnement et les relations internationales à l’université de Liège (Belgique) a répondu à nos questions.
Combien compte-t-on de migrants climatiques ?
François Gemenne : Aujourd’hui, et contrairement à ce qui se fait dans les discours politiques, nous ne distinguons plus les migrations par catégories. Pour une raison simple : les motifs de départ s’interpénètrent. Le changement climatique peut, par exemple, réduire les récoltes et contraindre les agriculteurs à quitter leur pays pour des raisons économiques. Ou entraîner des conflits dont les migrations résultantes relèvent d’une problématique d’asile.
Cependant, on peut estimer que le changement climatique va provoquer une hausse des migrations. La Banque mondiale prévoit 143 millions de déplacés supplémentaires d’ici à 2050, si les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat ne sont pas respectés (lire aussi : 143 millions de personnes pourraient bientôt devenir des réfugiés climatiques). Ces déplacés seront principalement originaires de l’Asie du Sud-Est, de la bande sahélienne et de certains États insulaires. Parmi eux, nous ne savons pas bien combien franchiront une frontière. Mais il y en aura.
Face à cet afflux de réfugiés climatiques, quelles réponses sont prévues ? Peuvent-ils prétendre à l’asile ?
François Gemenne : Aujourd’hui, une demande d’asile déposée pour des raisons climatiques serait rejetée. Celui-ci est réservé aux « personnes craignant avec raison d'être persécutées du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques […] et qui ne peuvent […] se réclamer de la protection de leur pays » (Convention de Genève, 1951). Mais plusieurs négociations internationales tentent d’améliorer la réponse apportée à ces migrations.
Les plus avancées découlent de l’Initiative Nansen (du nom de l’explorateur et diplomate norvégien à l’origine des premiers documents pour les apatrides), lancée en 2012 par les gouvernements suisse et norvégien. Elle a rassemblé 109 pays, dont la France, autour d’un agenda pour la protection des réfugiés climatiques. Depuis 2015, la Plateforme sur les déplacements liés aux catastrophes naturelles s’occupe de suivre la mise en œuvre des résolutions prises par ces États. Aux Philippines, par exemple, cela s’est traduit par la reconnaissance de garanties de droits pour les déplacés internes. Ce sont beaucoup de mesures techniques (établissement d’un cadastre, possibilité de voter hors de son lieu d’habitation, etc.), mais elles facilitent grandement la vie de ces gens et leur éventuel retour.
Le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières – dit pacte de Marrakech – et les Conférences des parties (COP) – qui rassemblent chaque année les pays participants à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques – travaillent aussi sur ces questions. Mais les diplomates impliqués dans ces négociations se parlent peu et posent un regard différent sur les migrations. Du côté du pacte de Marrakech, la question est, autant que possible, de prévenir les déplacements. Alors que dans les négociations sur le changement climatique, les mouvements de populations sont considérés comme des stratégies d’adaptation à faciliter. Il y a un problème de cohérence politique entre ces deux processus.
Dans le cas de régions qui disparaîtraient ou deviendraient inhabitables, une forme de dédommagement est-elle prévue pour les populations ?
François Gemenne : Actuellement, aucun droit n’est garanti pour ces personnes. Elles perdent quasiment tout et deviennent dépendantes de l’aide des ONG. Cependant, il existe un volet « Pertes et dommages » au sein des négociations sur le climat, qui doit définir la réponse internationale et les dédommagements possibles pour toutes les pertes inévitables, notamment territoriales. Les dernières COP n’ont presque pas avancé sur le sujet. Mais nous avons de bons espoirs pour la prochaine, qui aura lieu en décembre à Santiago, au Chili.
La disparition de terres pose toutefois des questions juridiques fondamentales. Surtout dans le cas où des pays entiers seraient submergés, ce qui n’est pas certain, mais, malgré tout, envisageable pour Tuvalu, les Maldives, les îles Marshall, Kiribati, et les États fédérés de Micronésie. C’est un défi pour la définition de la souveraineté et le lien entre État et territoire. De plus, on commence à prendre en compte les pertes immatérielles que cela pourrait engendrer pour l’identité et les cultures polynésiennes.
Même si l’exemple de ces pays menacés de submersion est frappant, il reste néanmoins peu traité dans les négociations internationales. D’une part, parce que les États insulaires concernés préfèrent concentrer leurs efforts sur les questions d’adaptation au changement climatique plutôt que de considérer leurs populations comme de futurs réfugiés. D’autre part, parce que cela n’affecterait finalement que peu de personnes, comparé aux nombreux autres déplacés pour des raisons climatiques.