Crédits carbone : compensent-t-ils vraiment nos émissions de CO2 ?
Les ventes sont à la hausse… mais tous les crédits carbone ne naissent pas égaux.
Lorsque la jeune activiste Greta Thunberg s'est lancée dans une traversée de l'océan Atlantique à bord d'un voilier zéro carbone, elle l'a fait pour pointer du doigt les millions de tonnes de dioxyde de carbone émis dans l'atmosphère chaque année par les voyages aériens. Il vous suffit de passer environ 10 heures dans les airs pendant vos vacances pour ajouter près d'une tonne de carbone dans l'atmosphère.
Si un sentiment de culpabilité lié à ces émissions de carbone à effet de serre vous envahit, vous pourriez être tentés par l'achat de crédits compensatoires de carbone. Au cours de l'année qui vient de s'écouler, on constate une augmentation des recherches Google du type « crédits carbone » ou « compensation carbone » et ceux qui les vendent indiquent également avoir enregistré une croissance.
Cool Effect, un vendeur de crédits carbone basé aux États-Unis, annonce par exemple une augmentation de ses achats individuels de crédits compensatoires de 700 % depuis le mois de mai. Gold Standard, une organisation chargée de la certification des programmes de compensation d'émissions carbone, a vu les achats individuels de crédits quadrupler au cours de l'année 2019.
Cette approche de la réduction des émissions axée sur le marché fait tout de même l'objet de critiques. Pour certains, le fait de se concentrer sur les efforts individuels détournerait l'attention des améliorations plus efficaces qui découlent de la réglementation de l'industrie.
À l'heure actuelle, les pays signataires de l'accord de Paris sur le climat négocient les règles d'un marché international du carbone qui permettrait de vendre et d'acheter des crédits carbone. Cela dit, les experts soutiennent que ces règles n'affecteront que les émetteurs à grande échelle et non pas les particuliers souhaitant faire l'acquisition de crédits à bas prix.
Les crédits que vous pourriez acheter pour un vol ne sont pas concernés par le contrôle fédéral et leurs pratiques commerciales ne sont pas toujours transparentes. Si vous souhaitez faire l'acquisition de crédits carbone pour soulager votre conscience en vue de votre prochain vol, voici ce que vous devez savoir.
C'est quoi, un crédit compensatoire de carbone ?
Pour Marisa de Belloy, PDG de Cool Effect, les enjeux climatiques s'apparente à un problème mathématique.
Un crédit acheté sur leur site, explique-t-elle, « équivaut à une tonne d'émissions carbone non émise. Le terme compensation signifie simplement que vous utilisez cette tonne pour compenser ce que vous avez rejeté dans l'atmosphère. »
Afin de réduire les émissions, l'entreprise se propose par exemple de planter des arbres ou de fournir à certaines communautés des poêles à combustion propre.
Afin de compenser un vol international, et même plus, un consommateur pourrait par exemple verser 8,50 $ (7,60 €) à un programme au Honduras qui remplace les foyers de cuisson à ciel ouvert par des poêles en pierre sur mesure qui nécessitent moins de bois pour cuire les aliments et rejettent la fumée à l'extérieur via une cheminée. Cool Effect estime qu'un poêle à bois neuf pourrait réduire de trois tonnes les émissions de carbone annuelles.
Pourquoi ne pas simplement faire un don à une œuvre caritative qui construit des poêles ?
« Ce qui est vraiment différent, c'est que lorsque vous achetez un crédit, vous réduisez les émissions carbone de façon contrôlée, » répond De Belloy. « Lorsque vous donnez à une grande organisation à but non lucratif, vous ne connaissez pas avec certitude l'impact de votre don. »
Les crédits carbone achetés volontairement sont à différencier des crédits carbone utilisés dans le système de plafonnement et d'échange. Dans ce cadre législatif, une entreprise qui émet moins de carbone que les limites légales est autorisée à revendre un « crédit » à une entreprise qui dépasse cette limite et risque donc une amende.
Quels sont les pièges à éviter ?
« Les particuliers et les entreprises doivent dans un premier temps s'attacher à réduire leurs propres émissions avant de se mettre en quête d'un émetteur de crédits compensatoires pour les émissions dont la réduction est impossible ou ne serait pas rentable à court terme, » explique Kelley Kizzier, spécialiste des marchés du carbone pour l'organisme Environmental Defense Fund.
« Les crédits douteux sont nombreux, » poursuit-elle, « et il peut s'avérer difficile de naviguer sur les eaux parfois troubles de la compensation carbone. »
Afin de faire une réelle différence dans les émissions de carbone, De Belloy indique que les projets de compensation doivent satisfaire à une exigence que les groupes spécialisés dans le domaine appellent additionalité en apportant un bénéfice supplémentaire qui n'aurait pas vu le jour sans la contribution financière du groupe en question.
Par exemple, si le programme est de financer une personne pour qu'elle protège une forêt, alors il peut être considéré comme compensatoire si la forêt en question allait être affectée par un projet d'aménagement. Un propriétaire ayant besoin de l'argent du bois serait alors payé pour maintenir les arbres sur pied. Si la forêt n'a jamais été menacée, votre versement au propriétaire ne comptera pas comme une compensation, car votre argent n'offre aucun bénéfice supplémentaire. En d'autres termes, même sans votre contribution financière, la forêt n'aurait pas été rasée.
Il n'y a par ailleurs aucune garantie de la durée d'un projet financé par des crédits carbone. Une enquête menée par ProPublica et publiée en mai 2019 a ainsi listé divers exemples de programmes de compensation carbone qui avaient échoué dans la protection des forêts tropicales.
Pour protéger une forêt contre la déforestation, les revenus générés par les crédits carbone doivent se montrer plus compétitifs que les activités souvent lucratives qui mènent à la déforestation, comme l'élevage de bétail ou la production de soja. Des terres gérées durablement une année risquent de subir un changement de volonté politique ou de gestion l'année suivante.
Comment trouver des crédits fiables ?
« Lorsque les crédits sont arrivés sur le marché dans les années 1990, c'était un peu le Far West. Il y avait d'importantes variations dans les programmes, » rapporte Peter Miller, spécialiste des crédits compensatoires pour le National Resources Defense Council.
Les crédits ont fait leur entrée dans le débat politique après le protocole de Kyoto, un traité international sur le climat signé en 1992, mais d'après Miller, leur popularité actuelle est due à l'éveil des consciences vis-à-vis du changement climatique.
Même si certaines réglementations ont peu à peu fait leur apparition, elles sont souvent assurées par des organismes indépendants de certification connus sous le nom de labels carbone, comme le Gold Standard (GS), Voluntary Carbon Standard (VCS) ou Green-e. Aux États-Unis, il n'existe pas de réglementation fédérale pour les crédits carbone achetés par des particuliers. La situation est la même en Europe : ce sont les mêmes organismes indépendants qui offrent des garanties pour le marché volontaire.
« Si une personne souhaite vendre un crédit et qu'elle parvient à trouver un acheteur, rien ne peut empêcher la transaction, » indique Miller.
Il conseille vivement aux consommateurs qui souhaitent acheter des crédits carbone de s'assurer de la labellisation des projets par des groupes tiers qui surveillent activement ces projets et certifient leur aboutissement à une réduction réelle des émissions carbone.
Les crédits permettent-ils de faire une différence ?
« Les crédits ne doivent pas être perçus comme une échappatoire aux exigences réglementaires, » soutient Miller. Il rappelle que ce sont les accords internationaux ambitieux qui permettent d'opérer les réductions les plus significatives des émissions carbone.
À l'échelle mondiale, le vol d'un particulier est insignifiant. Selon l'Agence d'information sur l'énergie des États-Unis, l'électricité générée par le charbon a produit plus d'un milliard de tonnes d'émission carbone sur l'année 2018 seulement.
Toutefois, dans la vie quotidienne d'un individu, le vol est de loin l'activité qui émet le plus de carbone. Un seul voyage en avion peut générer autant de carbone que plus de 3 000 km parcourus en voiture.
Lorsque le vol est inévitable, l'achat de crédits compensatoires auprès d'un vendeur digne de confiance peut techniquement réduire le volume de carbone rejeté dans l'atmosphère.
De son côté, De Belloy s'attend à une croissance des activités de Cool Effect. Pour elle, si les particuliers prennent aujourd'hui des initiatives personnelles face au changement climatique, c'est à cause de l'échec des gouvernements et du secteur privé dans leur gestion de ce problème majeur.
« Les individus commencent vraiment à comprendre que nous devons unir nos efforts, » conclut-elle.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.