Changement climatique : quel monde choisirons-nous de construire ?
A l'occasion de la 50e Journée de la Terre, optimistes et pessimistes s’accordent à dire que nous vivons une période charnière : nos actions (ou inactions) seront décisives.
Aujourd’hui, notre seul souci est de sauver le monde d’une pandémie. Il y a cinquante ans, c’est le monde lui-même qu’on a voulu sauver. Ce moment historique où des millions de personnes se sont mobilisées a donné naissance à la Journée mondiale de la Terre.
En plein cœur de la tourmente, National Geographic aborde une question dont la portée est plus profonde : comment sera le monde dans cinquante ans, quand la Journée de la Terre célébrera ses cent ans ?
Optimistes comme pessimistes s’accordent à dire qu’il s’agit d’une étape charnière, où l’action (ou l’inaction) fera pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Le dernier numéro de National Geographic comprend des articles qui illustrent les deux points de vue.
L’écrivaine Emma Marris voit le verre à moitié plein. Pour elle, les gains d’efficacité dans les voitures, les énergies solaire et éolienne, ainsi que le stockage par batterie sont les pierres angulaires d’un monde meilleur. Elle prévoit également une diminution des subventions allouées à la production de viande, ce qui favorisera la transition vers les aliments d’origine végétale à grande échelle. Encouragé par une sensibilisation accrue chez les jeunes et moins jeunes, le gouvernement incitera les entreprises et les particuliers à moderniser les bâtiments pour réduire leur consommation d’énergie, à renoncer aux appareils de chauffage au mazout ou au gaz et à se débarrasser d’1,3 milliard de véhicules énergivores.
« Le montant dont il est question ne dépasse pas celui qui a été utilisé pour renflouer le secteur bancaire », écrit Marris en reprenant les propos de Jonathan Foley, directeur de « Project Drawdawn » qui propose des analyses coûts-avantages pour inverser le réchauffement climatique. Foley fait allusion à la reprise après la récession de 2008-2009 (bien qu’un autre plan de sauvetage des entreprises puisse être bientôt mis en place pour faire face aux conséquences du COVID-19).
Marris revient sur une note plus positive. L’éducation a révolutionné le monde, bien au-delà de toute attente. Au Kenya, une femme avait en moyenne 8,1 enfants dans les années 1970. Avec l’accès accru à l’éducation et à la contraception, ce taux est passé à 3,7 en 2015.
Marris soutient que la pensée hybride remplacera l’absolutisme dans notre rapport à la nature. De grandes fermes se dresseront à côté de jardins urbains verticaux. « Les frontières seront plus poreuses et les jardins plus bondés. Des corridors biologiques traverseront les terres agricoles et les villes. Les plaines d’inondation favoriseront le stockage de carbone, la production alimentaire et la maîtrise des crues. Dans les vergers des cours de récréation, les enfants grimperont aux arbres pour cueillir des fruits », écrit Marris.
Le réchauffement climatique est la menace principale qui pèse sur notre planète. Pour Marris, c’est l’occasion pour les pays riches d’aider les plus pauvres. « Nous devons saisir cette chance », rédige-t-elle. « Cela nous permettra de relever le défi et de grandir en tant qu’espèce. » Marris imagine la Journée de la Terre en 2070 comme une grande fête où les hommes politiques du monde entier reconnaissent le pouvoir de nuisance des énergies fossiles, où tous les cafés sont issus du commerce équitable, où l’écho du chant des oiseaux résonne plus fort que le bruit du trafic urbain.
Pas si vite, répond à contrecœur Elizabeth Kolbert, auteure du livre The Sixth Extinction: An Unnatural History. D’ici 2070, elle s’attend à ce que la montée des eaux ait des conséquences désastreuses. Elle rendra impossible la vie sur les îles Marshall et Maldives, elle inondera Norfolk en Virginie la moitié de l’année et elle marquera l’Australie et la Californie d’une empreinte indélébile durant les saisons d’incendies de forêt qui augmenteront à la fois en durée et en intensité.
Selon Kolbert, notre avenir dépendra de la quantité de carbone émise dans les cinquante prochaines années. Si nous ne prenons pas de mesures drastiques, le niveau de carbone dans l’atmosphère et par conséquent la température de la planète demeureront à la hausse. La déforestation continuera de faire des ravages et nous assisterons à la disparition de la faune et de la flore. « Beaucoup d’espèces sont menacées d’extinction et beaucoup d’autres leur emboîteront le pas », écrit-elle.
Kolbert ne peut se montrer optimiste quant à l’avenir de la planète. L’idée d’une Journée de la Terre empreinte de joie en 2070 lui semble très éloignée, même si elle reconnaît que les progrès techniques pourraient résoudre quelques problèmes.
« Peut-être que nous réussirons à perfectionner les drones pollinisateurs. (Ils sont actuellement à l’essai.) Peut-être trouverons-nous aussi des moyens de remédier à la montée des eaux, aux tempêtes de plus en plus violentes et aux sécheresses qui s’aggravent. Peut-être que de nouvelles cultures génétiquement modifiées nous aideront à subvenir aux besoins alimentaires d’une population en pleine croissance en dépit du réchauffement de la planète. Peut-être nous rendrons-nous compte que ce monde complexe interconnecté n’est pas indispensable à la vie humaine », note Kolbert.
Et de conclure : « Un dénouement heureux, diront certains. Personnellement, je pense que ce scénario est beaucoup plus inquiétant. Cela signifie que notre rythme de vie actuel demeurera inchangé. L’activité humaine continuera d’avoir des effets néfastes sur l’atmosphère, d’assécher les milieux humides, de vider les océans et de priver le ciel de vie. Après avoir rompu tout lien avec la nature, il ne nous restera plus que nous et l’écho de notre solitude. Oh, et nos drones. »
Que nous réserve donc l’avenir ? Sommes-nous maîtres de notre destin ou n’avons-nous aucune emprise sur celui-ci ? Vite, je dois boucler mon article avant l’aube. Un oiseau se met à chanter à ma fenêtre. Sur l’étagère, un recueil des discours de Greta Thunberg, On n’est jamais trop petit pour faire une différence. Je le saisis.
Dans un de ses discours, Thunberg dit que l’espoir, c’est avant tout refuser de tomber dans le gouffre de l’oubli.
« Nous pouvons faire toute la différence », clame haut et fort la jeune adolescente suédoise en avril 2019, en s’adressant à des jeunes de Londres. « La situation ne devrait pas être ainsi mais puisque personne ne lève le petit doigt, c’est à nous d’agir… nous nous battrons jusqu’à notre dernier souffle pour notre planète. Nous lutterons pour nous-mêmes et notre avenir, mais aussi pour celui de nos enfants et de nos petits-enfants. »
Les deux auteures, ainsi que Thunberg et ses opposants semblent d’accord sur un point, le seul sans doute à faire l’unanimité : la Terre vaut la peine qu’on se batte pour elle.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
Ancien correspondant international et directeur de l'information numérique, David Beard occupe actuellement le poste de directeur exécutif des newsletters chez National Geographic.