Cet alpiniste népalais a gravi les plus hauts sommets du monde à une vitesse record
Cet ancien soldat, membre des Gurkhas, fait trembler le monde de l'alpinisme avec ses ascensions réalisées en un temps record.
Le 22 mai 2019, Nirmal Purja Magar pose au sommet du mont Everest au terme de son ascension. « Nims » de son surnom, l'ancien soldat népalais, aujourd'hui alpiniste, a gravi 6 des 14 sommets de la planète s'élevant à 8 000 mètres au cours du mois d'avril 2019. Son attitude effrontée fait également beaucoup parler dans le monde de l'alpinisme. (Initialement postée sur son compte Instagram, @nimsdai, cette photo a été publiée avec son autorisation.)
NDLR : Le 29 octobre, Nirmal Purja Magar a annoncé sur son compte Instagram avoir gravi le Shishapangma, en Chine, marquant ainsi le 14e sommet de 8 000 mètres atteint en l'espace de 7 mois et l'aboutissement d'un projet sans commune mesure : l'ascension rapide et consécutive des plus hautes montagnes de la planète. Cet article a été initialement publié le 5 mai 2019.
Le 24 mai, Nirmal Purja Magar a atteint le cinquième plus haut sommet du monde, le Makalu, situé dans son Népal natal. Au moment de la publication de cet article, son équipe nous a indiqué qu'il était encore sur le chemin du retour vers son camp de base. Si cet exploit pourrait, de prime abord, paraître quelque peu banal compte tenu de ce à quoi nous ont habitués les alpinistes modernes — après tout, il a emprunté l'itinéraire classique, équipé d'une bouteille d'oxygène et accompagné d'un guide sherpa —, la nature de cette prouesse ne fait plus aucun doute dès lors que l'on sait qu'il se tenait sur le sommet du Lhotse, quatrième plus haute cime du globe, 48h auparavant. Et de l'Everest encore 12h avant.
Au total, Nimsdai, ou Nims comme il préfère être appelé, aura gravi six des montagnes les plus hautes et les plus dangereuses rien qu'au printemps dernier — l'Annapurna, le Dhaulagiri, le Kangchenjunga, l'Everest, le Lhotse et le Makalu —, en un peu moins d'un mois. Performance qui défie l'entendement, même folle pour certains, cet exploit marque surtout pour l'alpiniste la réussite de la première phase d'un projet beaucoup plus ambitieux : conquérir les 14 sommets de 8 000 mètres que compte notre planète en seulement 7 mois.
Depuis que la légende alpine Reinhold Messner a gravi pour la première fois les 14 sommets de plus de 8 000 mètres en 1986 — aventure qu'il avait commencée en 1970 —, cette liste est demeurée la référence absolue pour les alpinistes. Au cours des 33 ans qui ont suivi, près de 40 grimpeurs lui ont emboîté le pas, et nombreux sont ceux qui ont succombé en tentant d'atteindre cet objectif. La plupart d'entre eux ont d'ailleurs mis des décennies à réaliser cet exploit. En effet, le légendaire alpiniste polonais Jerzy Kukuczka a établi le record à 7 ans, 11 mois et 14 jours.
Si l'idée d'accomplir cette expédition en une seule année a déjà été évoquée, aucun grimpeur ne s'est jamais lancé sérieusement dans l'entreprise. Réussir un tel défi impliquerait un changement de paradigme au sein du monde plutôt dormant et commercial de l'alpinisme de haute montagne. Il paraît aujourd'hui envisageable que Nims relève le défi d'ici au mois d'octobre. Aussi extraordinaire que soit cette prouesse, elle risque d'être accueillie avec un certain mécontentement par la vieille garde de l'alpinisme, le goût pour l'apparat et l'art de la mise en scène assumé de l'ancien soldat — sans compter son inconscience, disent certains — étant loin de faire l'unanimité dans les hautes sphères de la discipline.
Lorsque Reinhold Messner et ses successeurs fondent le club des 8 000 mètres, ils insistent sur le fait que la manière de gravir les montagnes est aussi importante que l'objectif du sommet. Ils évitent généralement de recourir aux bouteilles d'oxygène, à l'installation de cordes par des assistants ainsi qu'à l'aide des guides sherpas pour transporter des équipements ou des provisions. Selon eux, les alpinistes doivent emprunter des itinéraires nécessitant des compétences techniques en escalade voire, si possible, établir de nouveaux tracés. Enfin, une fois l'objectif atteint, il était mal vu de s'étaler à ce sujet dans les médias.
À l'inverse, Nims épouse fièrement les convenances modernes. Il envoie des Sherpas équipés de bouteilles d'oxygène devant lui, qu'il retrouve dans des camps de haute altitude, et son fil Instagram donne à voir une version hollywoodienne de l'ascension de l'Himalaya — tempêtes spectaculaires, sauvetages héroïques et descentes en piqué d'hélicoptères à profusion. Triomphalisme et arrogance ne sont pas en reste. Constatez par vous-même son appel aux armes, posté sur son compte avant de se lancer dans l'ascension de l'Everest :
« (...) En seulement trois semaines, je vous ai rapporté trois sommets des montagnes les plus dangereuses et les moins explorées au monde, ainsi que deux missions de sauvetage improvisées au-dessus de la zone de la mort... Je vais maintenant vous offrir le sommet de l'Everest, le Lhotse et le Makalu en seulement trois jours et essayer ainsi de battre mon propre record du monde. Bien reçu ? »
Au-delà des fanfaronnades, l'alpiniste semble bel et bien capable d'accomplir sa mission. Il a jusqu'ici tenu ses promesses, atteint six sommets culminants, gagné le respect des Sherpas avec qui il partage la montagne et entretenu une fervente communauté de fans, notamment chez les alpinistes asiatiques, qui affluent plus nombreux que jamais dans l'Himalaya.
Depuis son camp de base, Nims contemple le sommet de l'Annapurna. Après avoir coché les 6 sommets népalais de 8 000 mètres sur sa liste, il prévoit de s'attaquer au K2 et au Nanga Parbat, deuxième et neuvième plus hauts sommets du monde situés au Pakistan.
« Il ne mâche pas ses mots et parle sans détour, souvent sans filtre », raconte l'alpiniste canadien Don Bowie, qui l'a rencontré lors de l'ascension de l'Annapurna, son premier sommet népalais de 8 000 mètres de l'année. « Mais c'est aussi quelqu'un d'extraordinairement chaleureux, au sourire facile », poursuit-il, « dont l'enthousiasme permanent et contagieux semble répandre de bonnes énergies à tous ceux qui l'entourent. Difficile de rester de marbre face à une telle authenticité. »
UNE ÉPOPÉE PRINTANIÈRE
Près de 12h avant de quitter son camp de base pour le sommet de l'Everest, Nims m'a accueilli dans sa tente en désordre afin d'échanger autour d'une tasse de café.
« Comment ça va ? », me demande-t-il pour me saluer. « Je suis en pleine forme, mon frère », enchaîne-t-il avant que je n'aie le temps de répondre.
Du haut de ses 1,75 m, il apparaît plus petit que ce à quoi l'on pourrait s'attendre, compte tenu de son profil héroïque sur les réseaux sociaux. Son anglais, ponctué d'expressions telles que « mates », « brothers » et « buds » (« mon pote » et « mon frère », en français), présente un léger accent populaire. Il paraît détendu, et ce malgré les journalistes qui s'agitent derrière lui, tapant frénétiquement sur des ordinateurs portables et déplaçant des caméras dans tous les sens.
« Les sauvetages ont été les plus gros événements jusqu'ici », explique-t-il. « Ce n'était pas prévu. En dehors de ça, tout roule, mec. Secourir des gens à 8 450 mètres d'altitude, c'est bien plus difficile que d'escalader une montagne. »
En réalité, les trois montagnes qu'il venait de gravir au moment de notre rencontre — l'Annapurna, le Dhaulagiri et le Kangchenjunga — constitueraient des jalons importants de sa carrière, quelles que soient les circonstances de leur ascension. Et les conditions dans lesquelles il a réalisé ces exploits étaient loin d'être idéales. Le jour où Nims atteint le sommet de l'Annapurna, l'alpiniste et médecin malaisien Wui Kin Chin est porté disparu :
« Nous sommes redescendus au camp de base aux alentours de 22h. Comme nous avions atteint le sommet, plusieurs amis nous attendaient pour trinquer ; ils nous ont servi du whisky et nous avons bu jusqu'à environ 3h30 du matin, quelque chose comme ça. Un hélicoptère débarque à 6h du matin et nous annonce que le médecin est en vie. Alors j'ai réuni mon équipe, puis on nous a déposés au camp 3. De là, il faut normalement plus de 16h pour rejoindre l'endroit où il se trouvait. On y est parvenus en 4h. »
Le médecin malaisien est évacué avec succès jusqu'à Katmandou, puis jusqu'à Singapour, où il meurt quelques jours plus tard.
Depuis l'Annapurna, Nims rejoint le Dhaulagiri en hélicoptère, ascension d'autant plus éprouvante, selon lui, en raison des intempéries. « Nous avons atteint le sommet du Dhaulagiri aux alentours de 18h30, sous un temps abominable. Ça n'a pas été une mince affaire. » Lui et son équipe, composée de quatre autres alpinistes népalais, descendent dans la pénombre jusqu'au camp de base afin de ne pas manquer l'hélicoptère qui les emmènerait à Katmandou le lendemain matin.
« Nous avons passé la nuit à Katmandou, où nous n'avons pas vraiment pu nous reposer puisqu'une grande partie de mes amis voulaient aller boire des bières », raconte-t-il avec un clin d'œil. « Le lendemain, nous avons mis le cap sur le Kangchenjunga. »
Pour le Kangchenjunga, Nims et l'un de ses principaux compagnons d'escalade, Mingma David Sherpa, décident d'aller jusqu'au sommet d'une seule traite depuis le camp de base. Ils quittent le campement à 13h et atteignent la cime après 11h le lendemain. En chemin, ils récupèrent un deuxième alpiniste sherpa pour les assister, Gesman Tamang. Lors de la descente, le trio rencontre un escaladeur indien et son guide en détresse, Biplab Baidya et Dawa Sherpa, tous deux à court d'oxygène à 8 450 mètres d'altitude. Alors qu'ils donnent aux deux hommes deux de leurs bouteilles d'oxygène de secours et s'apprêtent à les aider à descendre, ils tombent nez à nez avec un second alpiniste indien, Kuntal Karar, lui aussi en manque d'oxygène et abandonné par ses partenaires. Nims lui offre alors sa propre bouteille d'oxygène.
« Nous avons appelé à l'aide des millions de fois... On a demandé l'envoi de secours, de renforts, les gens disaient qu'ils nous envoyaient de l'aide. À 19h, il fait nuit, et on n'aperçoit aucune lampe à l'horizon », raconte-t-il.
Kuntal Karar meurt peu après que la bouteille d'oxygène donnée par Nims s'est épuisée. L'équipe continuera d'assister Biplab Baidya dans sa descente jusqu'à ce que les deux compagnons de Nims, Mingma David et Gesman, commencent à montrer des signes légers d'œdème cérébral de haute altitude et soient contraints de descendre.
Biplab Baidya finit par mourir à moins de 200 mètres du camp 4, où des dizaines de personnes bivouaquent cette nuit-là. Lors de notre entretien une semaine après les faits, Nims est bien évidemment toujours contrarié par les événements. « Les gens se prétendent experts des hautes altitudes, escaladeurs en solo, tout ça, mais personne ne nous est venu en aide... Le plus triste dans tout ça, c'est qu'on n'a pas arrêté de nous mentir, en nous disant qu'on nous envoyait des renforts. Ne pas transmettre des informations exactes, c'est grave. »
Malgré la tournure des événements, Nims voit dans l'épisode du Kangchenjunga la confirmation que sa technique d'escalade est la bonne. « Si je n'utilisais pas de bouteilles d'oxygène, je n'aurais pas pu leur en donner », affirme-t-il.
Entre le sommet de l'Everest et celui voisin du Lhotse, Nims a photographié cet embouteillage d'alpinistes sur le célèbre ressaut Hillary. Sous cette photo postée sur son compte Instagram, il a écrit la légende suivante : « Le 22 mai, j'ai atteint le sommet de l'Everest à 5h30 du matin, puis celui du Lhotse à 15h45, malgré la circulation très dense (environ 320 personnes). »
PAR LA FORCE ET LA RUSE
Nims ne s'est pas encore fait un nom dans les milieux de l'alpinisme pour de bonnes raisons. Jusqu'en 2019, il était soldat à plein temps pour le gouvernement britannique, d'abord membre des célèbres Ghurkas puis du Special Boat Service (SBS), unité d'élite des forces spéciales de la Royal Navy. Il est d'ailleurs probablement plus facile de l'imaginer comme soldat que comme alpiniste. Après avoir partagé un café au camp de base de l'Everest, il m'a invité à dîner sous sa tente ce soir-là afin de discuter de sa carrière dans l'armée.
« Je suis né au Népal, j'ai grandi au sein des Gurkhas et c'est dans le SBS que je suis devenu un homme », m'explique-t-il en me servant une bière, bien qu'il ne boive pas en raison des deux ascensions consécutives, de l'Everest et du Lhotse, qui l'attendent 7h plus tard.
Nims s'est engagé dans les Gurkhas à ses 18 ans. Vestige de l'époque coloniale, les Gurkhas constituent un régiment de soldats recrutés au Népal pour se battre et servir dans l'armée britannique. Fort de 100 ans d'histoire passés à combattre aux quatre coins de la planète, d'une pension et d'allocations garanties par l'État britannique, cette unité très sélective attire un grand nombre de jeunes hommes népalais ambitieux. Après six ans dans les Gurkhas, l'alpiniste réussit les épreuves encore plus exigeantes, d'une durée de six mois, pour entrer dans la SBS, une unité d'élite des forces spéciales britanniques. Sa devise ? « Par la force et la ruse. »
« Comme les Navy Seals ? », lui demandé-je.
« Non mec, plutôt comme la Seal Team 6 », me répond-il.
À ma grande surprise, il se fait plus discret et bat en retraite lorsque je cherche à en savoir plus sur son service. « J'ai participé à plusieurs opérations au sein des Gurkhas, des forces spéciales — toutes terminées, mais je n'ai pas le droit d'en parler... pas des forces spéciales, mais du travail en lui-même », poursuit-il. À la question des pays dans lesquels il fut déployé, il répond : « Disons que j'ai été envoyé dans des zones sensibles, c'est tout. »
Il poursuit : « La chose la plus importante que j'ai apprise dans les forces spéciales, c'est la prise de décision, mais aussi la détermination. Tu dois être doté d'un certain état d'esprit, que je qualifierais de positif. »
DU CHAMP DE BATAILLE À LA MONTAGNE
Muni d'une détermination sans faille, Nims fait le grand saut et quitte l'armée pour devenir alpiniste professionnel.
« Après 16 ans passés dans l'armée britannique, il ne me restait plus que 6 ans pour toucher l'intégralité de ma pension, environ 500 000 livres sterling... mais je ne travaille pas pour l'argent », m'explique-t-il. « L'armée ne m'aurait pas laissé le faire, c'était trop risqué. J'ai sacrifié ma pension et quitté mon poste pour m'y consacrer. »
Nims a baptisé sa conquête des sommets de 8 000 mètres « Project Possible » et s'est lancé dans une collecte de fonds en janvier 2019, suite au désistement de son sponsor initial. « J'ai commencé à envoyer des e-mails à toutes les personnes que je connaissais. En dix semaines, j'ai réussi à récolter 250 000 dollars, c'était incroyable. C'est la chose la plus difficile que j'aie faite de toute ma vie. » La somme recueillie ne couvrirait que les six sommets népalais de son parcours — la phase suivante, le Pakistan, censée débuter le 7 juin, nécessitant 300 000 dollars supplémentaires. « Il me reste 10 jours pour prendre une décision », me confie-t-il.
Les difficultés de financement du projet n'ont en soi rien de surprenant. Des années de réseautage sont en règle générale nécessaires à un athlète pour décrocher un soutien financier à six chiffres de la part d'un sponsor. Or, Nims est entré dans la course il y a seulement six mois. Même si un financement tombait miraculeusement du ciel, rien ne dit qu'il vaincra les 5 mastodontes pakistanais de 8 000 mètres (parmi lesquels le K2 et le Nanga Parbat, respectivement les deuxième et neuvième montagnes les plus hautes du monde) qui l'attendent pour conclure son aventure.
Des nuages vaporeux auréolent la cime de 3 des sommets de 8 000 mètres du monde : l'Everest (au centre), le Lhotse (à sa droite) et le Makalu (tout à droite de l'image). L'alpiniste italien Reinhold Messner fut le premier à conquérir le sommet des 14 montagnes de 8 000 mètres que compte notre planète. Une quarantaine d'alpinistes ont depuis réalisé cet exploit, tandis que plusieurs sont morts en tentant de rejoindre ce club très fermé.
Alors qu'il me sert une autre bière, quelque chose me saute aux yeux : quelle que soit l'issue, il ne fait aucun doute que Nims est un personnage comme l’on en rencontre peu. Ce n'est peut-être pas Ueli Steck, le regretté et impassible alpiniste suisse spécialiste des records de vitesse, mais si les agences commerciales souhaitent amener leurs clients peu qualifiés à gravir des sommets de 8 000 mètres, pourquoi Nims ne pourrait-il pas être de la partie, prêt à réparer des cordes en pleine tempête, à aider des malades à descendre la montagne et à organiser une fête au camp de base avant de s'éclipser à bord de son hélicoptère au coucher du soleil ?
La positivité de l'alpiniste ne laisse aucun doute : « J'ai réhypothéqué ma maison, quitté mon travail et pris tous les risques que j'ai pu pour cette aventure. Si mon projet échoue, je me dirai : "Nims, tu t'es donné à 100 %. Et c'est tout ce qu'une personne peut donner." Ça suffira à me rendre heureux. »
NDLR : L'écrivain Freddie Wilkinson a réalisé ce reportage depuis le camp de base de l'Everest, au Népal, et dans la région. La National Geographic Society a contribué au financement de cet article.