La Terre se réchauffe, les glaciers s'effondrent

Ces dernières années, plusieurs décrochages colossaux ont eu lieu, entraînant avec eux des millions de mètres cube de glace. Les scientifiques se penchent sur ce phénomène nouveau et inquiétant.

De Taïna Cluzeau
Publication 7 juil. 2020, 14:00 CEST
Glaciers dans le parc national de Wrangell-Saint-Élie, Alaska.

Glaciers dans le parc national de Wrangell-Saint-Élie, Alaska.

PHOTOGRAPHIE DE Wrangell-St. Elias National Park & Preserve, NPS Photo, Flickr

5 août 2013. Un bruit sourd résonne dans le parc national de Wrangell-Saint-Élie, situé dans le sud de l’Alaska et parcouru par plusieurs chaînes montagneuses. Entre 6,8 et 11,2 millions de m3 de glace viennent de se détacher du glacier de Flat Creek et sont en train de dévaler le flanc de la montagne. L’équivalent d’environ 4 000 piscines olympiques.

Sur leur passage, les flots de glace, qui se déplacent à 100 km/h avec des pics à 180 km/h, recouvrent 3 km² d’une forêt vieille d’au moins quatre siècles. Quand, après quelques minutes, l’avalanche s’arrête au bord de la White river, un affluent du fleuve Yukon, elle a parcouru pas moins de 12 km. Par chance, du fait de l’isolement de la région, aucune victime n’est à déplorer.

En l’absence de témoin direct, c’est seulement deux ans plus tard, le 15 juillet 2015, que Jeff Trop, géologue de l’université de Bucknell, remarque, pour la première fois, un large dépôt de débris récents sur la berge sud de la White river, alors qu’il survole la zone en avion. Il prend des photos, qu’il partage avec des collègues scientifiques.

À l’aide d’images satellites prises avant et après l’effondrement, de données enregistrées par une station sismique située à une soixantaine de kilomètres et d’études de terrain, ceux-ci arrivent petit à petit à réécrire l’histoire de cet effondrement d’août 2013 et à mettre au jour ses caractéristiques peu communes. Coïncidence : à peine Jeff Trop a-t-il partagé sa découverte qu’un autre décrochage se déclenche, touchant le même glacier, le 31 juillet 2015. Cette fois, c’est l’équivalent de 7200 piscines olympiques de glace (17,6-20,1 millions de m3) qui se déversent jusqu’à la White river.

Le glacier Flat Creek occupait autrefois le creux du côté gauche de l'image.

Le glacier Flat Creek occupait autrefois le creux du côté gauche de l'image.

PHOTOGRAPHIE DE Mylène Jacquemart, Université du Colorado, Boulder

« Contrairement à une avalanche de neige - où ce sont les couches superficielles qui se détachent -, lors de ces deux événements, c’est directement la couche de glace accrochée à la montagne qui a rompu », explique Mylène Jacquemart, géologue suisse à l’université du Colorado qui, avec d’autres chercheurs - américains, français et australiens -, travaille sur les causes de ces deux avalanches atypiques.

Leurs premières conclusions ont été publiées en avril 2020 dans la revue Geology. Principale spécificité de ces effondrements, ils se sont produits alors que l’inclinaison de la pente était faible, environ 20°, ce qui est normalement insuffisant pour que la glace, même si elle se décroche de son socle, se mette à glisser sans s’arrêter. « À ce jour, dans le monde, nous n’avons identifié qu’une poignée de détachements de glaciers de même ampleur et similaires en terme d’inclinaison du terrain et de distance parcourue : en 2002, en Russie ; en 2007, en Argentine et en 2016 au Tibet », énumère la chercheuse.

Difficile à ce stade de déterminer s’il s’agit d’un phénomène nouveau ou si de tels événements se sont régulièrement déroulés dans le passé. Sans image satellite, les scientifiques n’ont peut-être simplement pas eu l’occasion de les observer. Les chercheurs pensent néanmoins que le réchauffement climatique a un lien avec le déclenchement de ces chutes. En effet, en 2013 et 2015, des températures records ont fait fondre des quantités plus importantes de neige et de glace que les autres années.

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    PHOTOGRAPHIE DE Mylène Jacquemart, Université du Colorado, Boulder

    Par un phénomène naturel, l’eau s’est ensuite infiltrée sous le glacier par ses crevasses. Mais, contrairement aux glaciers dits tempérés, qui avoisinent 0°C et dans lesquels la glace fond rapidement pour laisser sortir l’eau via des tunnels, Flat creek est un glacier froid, qui peut atteindre des températures bien en-dessous de 0°C. Les grandes quantités d’eau, incapables de creuser rapidement des tunnels, se sont alors accumulées, formant des poches entre la glace et le sol.

    « Puis cette eau sous pression s’est infiltrée dans les sédiments épais », précise  Mylène Jacquemart. Le sol s’est donc progressivement rempli d’eau. « C’est comme pour un château de sable : pour que l’ensemble tienne, le sable doit être humide, mais s’il est gorgé d’eau, tout s’écroule », compare la chercheuse. C’est probablement ce qui s’est passé à Flat Creek : le sol n’avait plus suffisamment de consistance pour retenir le glacier. Ajoutez à cela des pressions internes dans le glacier, dues à de précédents mouvements d’une partie de sa glace en 2011, et vous obtenez cet effondrement colossal, bien que le terrain ne soit incliné qu’à 20°.

    Non seulement ces avalanches sont dangereuses - en 2002, celle d’une partie du glacier de Kolka, en Russie, a fait plus de 100 morts en détruisant un village entier -, mais, dans le contexte de réchauffement climatique, « la perte de ces glaciers est probablement définitive. Ils ne vont pas revenir », déplore la chercheuse.

    Or, aujourd’hui, les scientifiques ne sont pas encore capables de prévoir ce type de phénomènes. D’où l’importance pour Mylène Jacquemart de poursuivre ses recherches. « J’essaye au moins de déterminer où de nouveaux détachements comparables pourraient avoir lieu, en continuant de travailler sur les facteurs de déclenchement », détaille-t-elle. Autre sujet creusé par la géologue : trouver des indicateurs paysagers typiques de ces effondrements, afin de pouvoir identifier d’anciens événements et d’avoir une meilleure idée de leur fréquence par le passé.

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