La sardine portugaise fera-t-elle son grand retour ?

La surpêche et le réchauffement climatique ont décimé la population portugaise de sardines, mais les mesures strictes de conservation pourraient bientôt porter leurs fruits.

De João Rodrigues
Publication 17 sept. 2022, 10:00 CEST
Iridescente à la surface de l'eau, cette larve de sardine âgée de quelques jours cherche de ...

Iridescente à la surface de l'eau, cette larve de sardine âgée de quelques jours cherche de quoi se sustenter. Un écart de température, aussi faible soit-il, peut avoir un impact considérable sur les sources de nourriture dans cette région en proie au réchauffement climatique et, par conséquent, sur la capacité des larves à survivre. 

PHOTOGRAPHIE DE João Rodrigues

Il y a bien longtemps, en bordure de Lisbonne, les villageois se pressaient à leur porte à l'approche des mules chargées de paniers débordant de sardines. Chaque foyer réclamait sa part du trésor des eaux portugaises, un trésor convoité par-delà les frontières nationales, jusqu'en Espagne. La contrebande était loin de ravir le marquis de Pombal, un homme d'État exerçant des fonctions similaires à celles de nos actuels premiers ministres. Par une journée de 1773, alors qu'une nouvelle cargaison venait de franchir la frontière toute en illégalité, il décida d'y mettre un terme.

Le marquis s'empressa de fonder la Compagnie générale des Pêches royales du royaume d'Algarve, établissant une nouvelle relation entre les villages côtiers du Portugal : le gouvernement central de Lisbonne se chargerait dorénavant de superviser le secteur de la sardine.

Si abondance est synonyme de royauté, alors la sardine régnait en reine sur les mers du Portugal il y a plus de trois cents ans. Les poissons pélagiques de la région profitent d'une remontée d'eau froide et hautement saline par-dessus le plateau continental qui leur assure une profusion de phytoplancton et de zooplancton. À l'époque, les bancs de sardines pouvaient atteindre la taille d'un terrain de football et peser plus de dix tonnes.

Un banc de sardine fraîchement capturé à l'aide d'une senne tournante.
Toute tentative de fuite est vaine lorsque la senne se referme sur le banc de sardines. ...
Gauche: Supérieur:

Un banc de sardine fraîchement capturé à l'aide d'une senne tournante.

Droite: Fond:

Toute tentative de fuite est vaine lorsque la senne se referme sur le banc de sardines. Un senneur peut prélever plusieurs milliers de poissons en un seul coup de filet, soit en remontant le filet à bord, soit en puisant directement dans la masse de poissons à l'aide d'une salabarde.

Photographies de João Rodrigues

De nos jours, le secteur de la sardine portugaise a fortement reculé, notamment à cause de la pression exercée par le réchauffement climatique et la surpêche. Les données scientifiques recueillies depuis plus d'un siècle montrent que le Portugal est bien loin des seuils de population durable pour la sardine ibéroatlantique, dont le pays partage désormais les stocks avec l'Espagne. Ces dernières décennies, les préoccupations concernant la santé de ses réserves de pêche ont poussé le Portugal à rejoindre le Conseil international pour l'exploration de la mer (CIEM), une organisation intergouvernementale dont la mission première est de favoriser l'exploitation durable des océans.

Des difficultés similaires menacent la population de sardines du Pacifique, dont l'aire de répartition s'étend du Mexique à la frontière canadienne avec les États-Unis. En plus de fournir à l'Homme une source de nourriture fraîche et en conserve, ces poissons alimentent également une multitude d'espèces marines, comme les baleines, les lions de mer, les oiseaux de mer et même le saumon royal.

Après avoir réalisé un inventaire en 2020, l'Institut portugais de la mer et de l'atmosphère (IPMA) et l'Institut espagnol d'océanographie ont annoncé une bonne nouvelle : une augmentation de la biomasse de sardines d'environ 110 000 tonnes, la plus prometteuse des 15 dernières années.

La nouvelle offre une lueur d'espoir, certes, mais pas une raison pour se relâcher, déclare Gonçalo Carvalho, directeur de Sciaena, une organisation non gouvernementale qui encourage la pêche durable. Pour Carvalho, biologiste marin et spécialiste des politiques halieutiques, le passé témoigne des conséquences dramatiques des mesures de conservation mal administrées. D'après les données recueillies par le CEIM auprès de l'IPMA et des instituts de recherche espagnols, le déclin des sardines en à peine 31 ans est colossal. En 1984, la biomasse des sardines s'élevait à 1,3 million de tonnes, dix fois plus qu'en 2015.

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    Avec une flotte comptant près de 130 navires, les pêcheurs à la senne attrapent 98 % des sardines le long des côtes portugaises. La moyenne des prises a dramatiquement chuté depuis 1995, ce qui a entraîné une augmentation du prix des sardines à son niveau le plus élevé depuis 20 ans.

    PHOTOGRAPHIE DE João Rodrigues

    « LA MER REGORGE DE SARDINES »

    Afin d'observer la pêche traditionnelle à la sardine au large du Portugal, le pêcheur Fábio Mateus m'invite à bord de son senneur, le Flor de Burgau. Il me fait part de son inquiétude vis-à-vis des pressions législatives qui pèsent lourdement sur l'industrie de la pêche portugaise. En 2019, le gouvernement portugais a pris des mesures drastiques et inédites en limitant le quota annuel à 10 000 tonnes de sardines, soit 14 600 tonnes de moins qu'en 2018. La décision a fait l'objet d'une contestation vigoureuse de la part des pêcheurs et du secteur de la conserverie. En revanche, les réserves de poissons ont montré des signes de rétablissement dès la fin de l'année 2019.

    Cependant, « avec le faible prix actuel des sardines, poursuit Mateus, je ne sais pas combien de temps nous pourrons tenir si le gouvernement n'augmente pas les quotas. »

     À quelques milles marins du cap Saint-Vincent, la fraîcheur de l'air ambiant ne peut rien contre le regard perçant de Mateus, ni même le crépuscule. Notre voyage, espère-t-il, témoignera du rétablissement de la population portugaise de sardines après une décennie de restrictions légales imposées à la pêche. Mateus et la plupart de ses collègues pensent avoir atteint un tournant. « Nous avons connu une crise, c'est vrai, mais désormais la mer regorge de sardines, » m'assure Mateus tout en manœuvrant le senneur dans l'obscurité. Néanmoins, l'absence de poissons tempère son optimisme.

    Quelques minutes avant l'apparition du Soleil à l'horizon, la mission lancée à 2 heures du matin semble vouée à l'échec. Tout à coup, un point rouge apparaît sur l'écran du sonar. Alertés par la sirène, six hommes jaillissent de leur couchette sous le pont du bateau et attrapent leur équipement.

    À bord du senneur Mário Luís, la sonde d'un sonar détecte un banc de plusieurs tonnes ...
    Les sardines peuvent se reproduire et se développer correctement en milieu aquacole. Ci-dessus, elles nagent dans ...
    Gauche: Supérieur:

    À bord du senneur Mário Luís, la sonde d'un sonar détecte un banc de plusieurs tonnes de poissons. Les pêcheurs pensent avoir trouvé du chinchard, mais les hommes à bord de la chata, un bateau de soutien, découvrent qu'il s'agit de sardines. Les poissons sont immédiatement relâchés, car la saison de la sardine est terminée.

    Droite: Fond:

    Les sardines peuvent se reproduire et se développer correctement en milieu aquacole. Ci-dessus, elles nagent dans les bassins (en haut et à droite) de la station pilote de pisciculture d'Olhão dans le sud du Portugal.

    Photographies de João Rodrigues
    Un jeune chinchard trouve refuge auprès d'une méduse à l'approche du photographe. Le chinchard peut offrir ...

    Un jeune chinchard trouve refuge auprès d'une méduse à l'approche du photographe. Le chinchard peut offrir un bon substitut aux sardines, notamment s'il est assaisonné et mis en conserve. L'espèce peut être prélevée à des périodes durant lesquelles la pêche de la sardine est interdite.

    PHOTOGRAPHIE DE João Rodrigues

    L'attroupement de mouettes et de dauphins est le signal que j'attendais pour plonger par-dessus bord avec mon appareil photo. J'observe sous la surface les hommes encercler un banc de sardines à l'aide d'une senne tournante. Mateus trace un cercle de 300 mètres avec le senneur en laissant une ligne pointillée de bouées jaunes à la surface. Sous la ligne, les filets tombent à plus de 90 mètres de profondeur. Un bateau de soutien appelé chata se tient prêt.

    Lorsque le cercle se referme, les hommes lancent des câbles d'un navire à l'autre et tirent sur une ligne reliée au fond du filet. La technique crée une poche sous-marine qui empêche les poissons de s'échapper.

    Les moteurs hurlent et les goélands plongent à travers la colonne d'eau. Mes oreilles sifflent et mon cœur s'emballe. Les sardines se démènent dans l'étreinte mortelle du filet. En moins d'une heure, la pêche est terminée.

    De retour vers la criée de Sagres, avec près de 3 tonnes de sardines dans les cales, l'heure est à la célébration pour les pêcheurs. « Alors, j'avais tort ou j'avais raison ? » plaisante Mateus.

    En dehors de la pêche traditionnelle, l'espèce pourrait trouver son salut à travers des projets d'aquaculture novateurs, comme la pisciculture en milieu aquatique contrôlé. Des tests à l'aveugle ont montré que des consommateurs déclarant avoir une préférence pour les sardines sauvages ne parvenaient pas à faire la différence entre poisson naturel et d'élevage. D'après certains experts, certaines espèces plus abondantes comme le chinchard pourraient également apporter une solution. Bien que ce poisson ne puisse pas remplacer la saveur de sardines fraîches et sauvages, il pourrait présenter un intérêt pour le secteur de la conserverie, où l'assaisonnement et les techniques de transformation rendent la différence de goût quasi imperceptible.       

    Une vingtaine de conserveries, dont la Conserveira do Sul photographiée ci-dessus, doivent aller chercher leurs sardines ...

    Une vingtaine de conserveries, dont la Conserveira do Sul photographiée ci-dessus, doivent aller chercher leurs sardines ailleurs pour satisfaire la demande locale. Les poissons viennent alors d'Espagne, de Russie et des Pays-Bas.

    PHOTOGRAPHIE DE João Rodrigues
    Une vingtaine de conserveries, dont la Conserveira do Sul photographiée ci-dessus, doivent aller chercher leurs sardines ...

    Une vingtaine de conserveries, dont la Conserveira do Sul photographiée ci-dessus, doivent aller chercher leurs sardines ailleurs pour satisfaire la demande locale. Les poissons viennent alors d'Espagne, de Russie et des Pays-Bas.

    PHOTOGRAPHIE DE João Rodrigues

    SUSPENDUS À LA SCIENCE

    Un autre jour, je rejoins Ricardo Serrão Santos, ministre des Affaires maritimes, pour une expédition à bord du Poema do Ma. « De nos jours, les pêcheurs sont sensibilisés aux problèmes qui affectent les saisons saines et productives de pêche à la sardine, » explique-t-il. « Mais nous devons impliquer l'ensemble du secteur si l'on veut garantir un avenir stable pour les pêches. » Notre conversation est animée par les éclats argentés des tonnes de sardines fraîchement capturées qui frétillent dans leurs boîtes de transport à mesure que nous regagnons le port.

    D'après ce politicien qui a passé plus vingt ans au service de l'université des Açores au poste de chercheur en océanographie, le secteur attend actuellement la confirmation de la communauté scientifique concernant le rétablissement des populations de sardine. « Dès que nous recevrons la preuve que les stocks sont au moins à un niveau de productivité moyenne, nous pourrons alléger les mesures de restriction, » conclut-il.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.pt en langue portugaise.  

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