Brésil : Quel avenir pour l'Amazonie avec Luiz Inácio Lula da Silva au pouvoir ?
Élu le 30 octobre dernier, le président brésilien Luiz Inácio "Lula" Da Silva succèdera prochainement à Jair Bolsonaro. Après un mandat désastreux pour la conservation de l'Amazonie, que pourrait faire le nouveau président pour la forêt vierge ?
Le président Luiz Inácio Lula da Silva en campagne à Belo Horizonte en octobre 2022, peu de temps avant sa troisième élection.
Malgré les sondages qui l’annonçaient vainqueur dès le premier tour, c’est de justesse que Luiz Inácio « Lula » Da Silva a remporté les élections présidentielles du Brésil, le 30 octobre dernier. Lors de sa première présidence, pendant deux mandats consécutifs entre 2003 à 2010, le pays avait pu observer une diminution significative de la déforestation.
L’exploitation a cependant repris de plus belle après la fin de son mandat, notamment à la suite de l’élection de Jair Bolsonaro en 2018.
« Bolsonaro a réduit les régulations mises en place pour limiter la déforestation, et a clairement exprimé au cours de ses discours qu’il ne proratiserait pas la poursuite judiciaire de la déforestation illégale », explique le Dr Scott Mainwaring, professeur en Sciences politiques et spécialiste des systèmes politiques d’Amérique Latine de l’Université Notre-Dame, dans l’Indiana.
« [Bolsonaro] a donné la priorité à l’expansion des territoires dédiés aux intérêts agricoles […]. Le Brésil est un important importateur de soja et de bœuf, et la majeure partie de la déforestation est commise par les agriculteurs. »
Après un mandat lourd de conséquences pour la forêt amazonienne, le programme d’Inácio da Silva se positionne à l’opposé des objectifs de son prédécesseur. Une question se pose donc : le nouveau président brésilien sera-t-il en mesure de tenir ses promesses ?
Serpentant à travers la région amazonienne de l'extrême ouest du Brésil, la rivière Itaquaí se fraie un chemin dans le territoire indigène de la vallée de Javari, une réserve tentaculaire qui abrite les tribus natives les plus isolées du monde. Les autorités sanitaires et les défenseurs des droits humains s'inquiètent du fait que des groupes natifs entiers pourraient être exterminés s'ils venaient à être exposés au COVID-19, raison pour laquelle ils demandent au gouvernement de prendre des mesures urgentes afin de sécuriser les frontières des territoires où les tribus très vulnérables vivent isolées du reste du monde.
UNE OPPOSITION EN TRANSITION
Connu pour son engagement dans les causes sociales et la lutte contre la pauvreté, Inácio Da Silva est une figure emblématique du parti travailleur brésilien. Son mandat, qui devrait commencer le 1er janvier 2023, se fera cependant dans un gouvernement majoritairement de droite.
« Pour la plupart de ses projets, [Lula a des chances de tenir ses objectifs] », affirme Mainwaring. « Néanmoins la composition majoritairement de droite du nouveau Congrès, le poids des lobbies agricoles et le budget limité des agences environnementales vont certainement créer des conflits et des limitations. »
Cependant, si les problèmes liés à l’écologie ne faisaient pas partie des priorités des élections de 2018, les différents problèmes environnementaux et la récente crise économique semblent avoir fait évoluer les mentalités dans tous les partis.
« Plus de 80 % de la population brésilienne est en faveur de la protection de l’Amazonie. Il y a une superposition de l’extrême droite et des climatosceptiques […], mais la droite démocratique est en faveur des mesures environnementales, bien qu’elle soit opposée à un gouvernement de gauche », nuance Eduardo Viola, professeur en relations internationales de l’Université de Sao Paulo et à la Fondation Getulio Vargas. « Le discours [de Bolsonaro] a aussi changé. Au cours de la campagne législative de 2018, il niait complètement le changement climatique et suivait le discours de Trump. C’est beaucoup moins le cas aujourd’hui. »
La mise en place de mesures stables serait donc envisageable : une opportunité qu’Inácio da Silva semble avoir déjà anticipée afin de garantir une évolution du gouvernement à grande échelle.
« Le débat au sujet de l’environnement et du changement climatique à beaucoup muri au Brésil ces dernières années […], surtout après les énormes régressions qui ont eu lieu sous Bolsonaro », explique Eduardo Viola.
« Avant le premier tour, Lula et Marina Silva [Ndlr : personnalité politique brésilienne engagée dans la protection de la forêt amazonienne, membre de l’actuelle chambre des députés brésilienne et ancienne ministre de l’Environnement] avaient déjà signé un accord […] au sein duquel Lula avait accepté la création de plateformes socio-environnementales […]. L’objectif de ces plateformes est de créer une autorité nationale du climat, sur le modèle de certains pays européens, avec la capacité d’interagir avec tous les ministères […]. On observe une volonté d’améliorer toute l’administration sur le problème du changement climatique. »
Vue aérienne d’un garimpo, une exploitation minière clandestine. On peut y apercevoir des chemins de destruction à travers la forêt tropicale aux abords du territoire des Menkragnoti, dans l’État de Pará au Brésil. Afin de séparer l’or des sols sablonneux de l’Amazonie, les mineurs utilisent du mercure hautement toxique, contaminant les rivières et les cours d’eau. En 2021, les mineurs ont attaqué des communautés natives dans les États de Pará et Rorarima.
PROTÉGER L'AMAZONIE
Victime d’incendies historiques et s’approchant dangereusement d’un point de non-retour environnemental, l’Amazonie est un problème aux nombreuses facettes. Pour assurer sa protection, le nouveau gouvernement brésilien devra donc lancer des mesures de grande ampleur.
« Il ne s’agit pas seulement de Bolsonaro et de son parti ; la droite brésilienne privilégie fortement le développement de l’agriculture, au détriment de la protection de la forêt », expose Mainwaring.
« Le pays sort d’une longue période de crise économique, de 2014 à 2021. L’économie, la sécurité publique, la santé et l’éducation, ainsi que les problèmes de corruption, sont des inquiétudes encore très présentes aujourd’hui. »
Cependant, face aux différentes catastrophes écologiques de ces dernières années, de plus en plus de contestations se font entendre au sein même des lobbies agricoles.
« Il est très important de distinguer les différents types d’agriculture, entre les exploitations industrielles et les exploitations plus familiales. Depuis quelques années, il y a eu une forte croissance du secteur agroécologique », explique Viola. « Ces perspectives ont gagné en popularité pendant le mandat de Bolsonaro en raison de l’évolution de la dynamique mondiale dans son ensemble. »
Un autre problème pouvant handicaper la mise en place de mesures de protection de la forêt amazonienne : la présence importante d’activités criminelles. Très peu inquiétées par le gouvernement de Jair Bolsonaro, différentes activités criminelles se sont en effet développées, profitant du labyrinthe de la forêt vierge.
« Les oppositions les plus fortes à la protection de l’Amazonie sont très liées aux différentes activités criminelles déjà implantées dans la forêt : le bûcheronnage, la chasse, l’exploitation minière, la pêche illégale, ou encore les activités des narcotrafiquants », énumère le professeur de l’Université de Sao Paulo. « Le problème est le suivant : il faudrait un renforcement de la présence des forces publiques dans l’Amazonie, mais également une forme de dédommagement pour les personnes pouvant se faire recruter par des organisations criminelles. Cela entraînerait une diminution importante de leur pouvoir ; mais il ne sera jamais vraiment possible de les éliminer. »
L’intégration des populations natives dans les futures décisions politiques sera également un enjeu important à prendre en compte pour Inácio da Silva. Écartés des décisions politiques de ces dernières années, ces peuples ont pourtant été lourdement touchés par l’accélération de la déforestation.
« [Le président Lula] s’est déjà engagé à la création du premier ministère aux Affaires autochtones du Brésil, dont les fonctions seront occupées par des membres des tribus [natives] », rapporte Eduardo Viola. « Les décisions concernant la forêt vierge seront bien plus en lien avec les populations autochtones, et ce afin d’assurer leur participation, et surtout leur protection contre les exploitants illégaux, surtout miniers. »
Début 2020, plusieurs centaines d'arbres ont été abattus pour construire des immeubles. Des Guaranis en tenue traditionnelle sont venus protester et ont réussi à empêcher la poursuite de la déforestation.
REMPLACER L'IRREMPLAÇABLE
L’une des conséquences les plus dramatiques de la déforestation en Amazonie est qu’il ne sera pas possible de revenir en arrière. Cette forêt, qui est le fruit de centaines d’années de développement sans la moindre intervention extérieure, ne pourra pas être simplement replantée après avoir été exploitée. Cependant, des projets de reforestation sont déjà à l’étude.
« Une contribution brésilienne aux accords de Paris a été signée avant l’élection de Bolsonaro afin d’assurer la reforestation de 120 000 km² de forêt. C’est de l’ordre du réalisable », explique Viola. « Une autre possibilité serait de replanter une forêt présentant une importante diversité biologique. Le Brésil a également le plus haut potentiel de capture de carbone au monde, au travers de sa forêt et de ses futures reforestations, à la fois grâce à son climat tropical et grâce à sa faible densité de population. »
Une meilleure gestion de la forêt pourrait permettre de diminuer les risques d’incendies, tels que ceux qui ont ravagé l’Amazonie au cours des deux dernières années. Si leur occurrence est naturelle et fait partie du cycle de vie de la forêt amazonienne, leur fréquence a augmenté à cause de la hausse des activités industrielles forestières.
« Deux moteurs sont à l’origine des incendies. Le premier est le réchauffement climatique, qui augmente la probabilité de déclenchement des feux de forêt », explique Eduardo Viola. « Le deuxième est l’activité humaine, et il serait possible de diminuer significativement ce moteur en établissant les bonnes mesures », conclut l’expert.