Au cœur d'un atelier d'embaumement : la momification passée au crible
Une équipe de chercheurs égyptiens et européens a pu étudier un atelier d’embaumement datant d’entre 664 à 525 ans avant notre ère et identifier la nature et l’origine de nombreuses substances utilisées pour l’embaumement des momies égyptiennes.
S'il est l’un des éléments les plus emblématiques de l’Égypte Antique, le processus de momification des défunts est encore nimbé de mystères. Une étude publiée dans le journal Nature en février dernier par une équipe internationale de chercheurs a pourtant réussi à lever une partie du voile.
Pour ce faire, les chercheurs ont eu la chance de pouvoir examiner un atelier d’embaumement datant d’entre 664 à 525 ans avant notre ère, découvert en 2016 par l’équipe du Dr. Ramadan Badry Hussein au sein de la nécropole de Saqqarah.
Utilisée sans interruption durant les plus de 3000 ans d’existence de la civilisation égyptienne, Saqqarah est une archive inestimable de l’évolution des techniques d’embaumement au fil des siècles. La nécropole rassemble des tombes et des artefacts de toutes les périodes.
Lors de sa découverte par l’équipe du Dr. Hussein, l’atelier était la toute première structure du genre et s’est rapidement démarqué par son exceptionnel état de conservation. Parmi les trouvailles, plusieurs dizaines de céramiques encore annotées, contenant des résidus des produits utilisés lors de la préparation des corps.
« [Il s’agit d’un complexe funéraire accompagné de chambres mais surtout d’un atelier d’embaumeurs avec une cachette de poteries », explique Maxime Rageot, chercheur à l’Université de Tübingen et auteur de l’étude. « C’est là que [les études moléculaires] sont intervenues, parce qu’on ne savait pas à quelles substances corréler les inscriptions sur les poteries. »
Grâce à l’utilisation de l’archéologie biomoléculaire, les chercheurs ont pu identifier un très grand nombre de substances utilisées pour préparer les défunts à leur dernier voyage.
DES PINÈDES AUX TROPIQUES
S’il renferme de nombreuses dépouilles et statues à l’âge millénaire, le puit K24 est surtout célèbre pour son atelier d’embaumement.
« C’est à cet endroit qu’on a trouvé toutes les poteries dans une cachette. [La pièce] a aussi tout un système d’aération parfaitement adapté à la préparation de corps », présente le Dr. Rageot. « On a même retrouvé un immense récipient où on faisait peut-être brûler de l’encens pour éviter la venue d’insectes. »
Un modèle numérique obtenu par scanner 3D révèle le puits principal menant au complexe funéraire. Les tombes les plus prestigieuses occupaient la partie la plus profonde – la plus proche de l’au-delà. L’atelier de momification disposait d’une structure tabulaire, de canaux de drainage recueillant les fluides corporels et d’un système de ventilation.
D’autres poteries ont également été retrouvées dans les différentes chambres funéraires. Ces dernières sont situées au fond du puits et renferment les dépouilles d’individus aux statuts plus ou moins élevés, les plus importantes se situant le plus loin de la surface.
« Certaines sépultures renferment des momies seules, d’autres des familles et bien sûr, tous les ustensiles relatifs aux rites funéraires », ajoute l’archéologue. « Il y avait aussi des poteries qui ont été retrouvées à côté des momies. Dans l’atelier, il y a [des poteries] avec des inscriptions corrélées à la substance mais dans les tombes, ce ne sont que des dépôts dans de petits bols, sans appellation. »
Fort heureusement pour les chercheurs, les analyses effectuées sur ces possibles « dernières retouches » semblent indiquer qu’elles étaient effectuées avec des substances retrouvées dans l’atelier. Seules exceptions, le bitume et la résine de dammar.
Dernière offrande ou touche finale, il est difficile pour les archéologues de clairement connaître le rôle spécifique de chaque substance, aussi bien dans les chambres funéraires que dans l’atelier. Le processus de momification pouvait prendre jusqu’à soixante-dix jours et impliquer plusieurs dizaines de produits différents. Soixante-dix jours dédiés à la transformation du défunt en momie et à son passage dans l’au-delà.
« Les embaumeurs étaient aussi prêtres et à l’époque, il n’y avait très probablement pas de distinction entre chimie et magie », précise Maxime Rageot. « Ce sont à la fois des pratiques pour préserver le corps, mais il y a aussi tout un aspect rituel. […] Ces baumes aux propriétés antiseptiques et odorantes peuvent donc être liées aux rites funéraires, à la préservation des tissus humains et à la réduction des odeurs (parfumer la pièce). Elles ont également pu être utilisées afin d'] éloigner les insectes des corps des défunts.»
Autre difficulté, les inscriptions présentes sur les poteries sont bien loin des magnifiques inscriptions tapissant les tombeaux des pharaons. Les inscriptions, faites à main levée dans l’argile, sont avant tout des indications. Ainsi, l’un des pots contenant les baumes comporte la sobre inscription « pour rendre l’odeur plus plaisante ».
« Ce qui est intéressant c’est qu’au cours des siècles, il y a eu plusieurs langues et alphabets » explique le chercheur. « La plupart des textes sont écrits en écriture hiératique [en hiéroglyphes], mais à cette période il y a le démotique qui apparaît, donc on se retrouve parfois avec des phrases commençant avec l’une et finissant avec l’autre. C’était assez compliqué à déchiffrer pour nos collègues ! »
L’égyptologue Ramadan Hussein descend au moyen d’une corde et d’un panier dans l’atelier de momification exhumé sous la nécropole de Saqqarah, au bord du Nil.
Pour accéder à l’atelier de momification et aux chambres funéraires, les archéologues ont dû retirer 42 tonnes de sable et de débris de ce tunnel central de 30 mètres, creusé dans le substratum gréseux.
Parmi les différentes substances retrouvées, des résines, des huiles végétales variées, en particulier des huiles de fragrances et même des graisses animales et des dérivés de produits apicoles. Selon les chercheurs, ce sont ainsi plusieurs dizaines de substances différentes qui pouvaient être utilisées pour la préparation d’une seule momie. D’après l’étude, les matières les plus exploitées étaient certainement des produits issus de genévriers ou de cyprès et des dérivés de cèdres.
À la grande surprise des archéologues, la majorité des substances identifiées semble avoir été importée. Si les graisses animales, la cire d’abeille et l’huile de ricin pourraient avoir été produites en Égypte, les autres produits végétaux n’auraient jamais pu en provenir.
« La plupart viennent d’autres pays méditerranéens, mais tous les sous-produits de conifères […] venaient des régions situées entre le sud de la Turquie et l’Égypte avec lesquelles l’Égypte avait des relations très importantes » raconte Maxime Rageot. « Le bitume est aussi intéressant ; il y en avait autour de l’Égypte, même proche du site, mais sa signature moléculaire est celui du bitume de la mer morte. »
Plus surprenant encore, des résines issues de forêts tropicales, telles que les résines d’élémi ou de dammar. La première provient d’un arbre du groupe des Canarium, qui ne poussent que dans des environnements tropicaux, aussi bien en Afrique qu’en Asie. La seconde quant à elle est spécifique aux arbres poussant en Asie du Sud-Est.
Selon le chercheur, cette trouvaille souligne à elle seule la complexité des relations commerciales de l’Egypte Antique. Selon les chercheurs, si des échanges avec l’Inde avaient déjà été confirmés, la résine de dammar découverte au chevet des momies est aujourd’hui la substance à l’origine la plus lointaine jamais enregistrée.
CHERCHER L’INVISIBLE
Considéré comme l’une des dix découvertes archéologiques les plus importantes des années 2010 selon le journal Archeology Magazine, l’atelier d’embaumement a fait l’objet de fouilles exceptionnellement méticuleuses.
Aux commandes de l’étude, une équipe internationale constituée de chercheurs égyptiens et européens, rassemblés par le Dr. Ramadan Bary Hussein, ancien directeur du bureau du ministère des antiquités égyptiennes.
Travaillant à l’Université de Tübingen, l’archéologue égyptien était notamment connu pour sa volonté de lier les visions archéologiques de plusieurs continents. Décédé en mars 2022, il a été l’une des influences majeures de l’étude.
« Un laboratoire spécial a dû être monté [pour l’étude moléculaire] car il est impossible d’exporter le matériel archéologique hors du pays, » explique le Dr. Rageot. « Nous avons ensuite mis en place une collaboration avec une équipe de spécialistes au centre national de la recherche du Caire […] puis nous avons adapté le laboratoire afin d’exclure les risques de contamination. »
Comme de nombreux autres tombeaux de Saqqarah, la majorité du complexe funéraire se trouve au fond d’un puits, à près de trente mètres de profondeur. Il se compose de plusieurs chambres funéraires, dans lesquelles ont été retrouvées plusieurs sépultures mais surtout d’un atelier d’embaumement quasi intact.
L’atelier, situé à treize mètres de profondeur, a été exceptionnellement bien conservé grâce aux conditions climatiques chaudes et sèches de l’Égypte. Autre avantage, les dépouilles et artefacts sont protégés de l’oxydation par leur conservation dans un lieu clos sous plusieurs mètres de sable.
« L’Égypte est l’un des contextes les plus favorables au monde pour la conservation des matières organiques », ajoute l’archéologue français. « On retrouve bien souvent la plupart de tous les marqueurs moléculaires qui pouvaient être présents. C’est assez incroyable quand on compare à d’autres contextes archéologiques. »
Afin de lire les marqueurs, les chercheurs ont eu recours à la chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse, ou CPG-SM.
La chromatographie en phase gazeuse consiste en une séparation des différents constituants moléculaires suite à une vaporisation de l’échantillon. Les molécules sont introduites et transferées à l’aide d’un gaz vecteur dans une colonne contenant une « phase stationnaire» (revêtement de nature variable avec lequel les différents marqueurs moléculaires vont plus ou moins se lier en fonction de leurs affinités). De cette manière, les différents composants d’un mélange peuvent être séparés.
Les molécules séparées sont ensuite analysées par un spectromètre de masse. Cette technique repose sur la ionisation des composants permettant d’obtenir des informations structurales des molécules afin de les identifier. La nature des baumes est ensuite reconstituée par l’assemblage des marqueurs moléculaires détectés.
Ces investigations moléculaires ont pu être permises d’une part grâce à l’état de conservation exceptionnel de l’atelier mais aussi grâce aux conditions de fouilles. Le site a fait l’objet de fouilles méthodiques exceptionnelles pendant plusieurs années. C’est grâce au soin apporté à la récolte de ces informations que les analyses ont été possibles.
« Le travail que j’ai fait n’aurait pas pu être possible si le matériel n’avait pas été bien documenté, non contaminé ou s’il avait été pris à mains nues ou encore restauré tout de suite », explique le Dr. Rageot. « On a par exemple pu retrouver des molécules particulièrement volatiles comme celles présentes dans les parfums […] qui sont très rares dans un contexte archéologique. »
À présent, la suite des études se focalisera sur les momies elles-mêmes, afin de vérifier comment les substances identifiées se répartissent sur les dépouilles.
« C’est une chose de savoir "ce qui se passait en cuisine" mais après il faudra voir sur les momies contemporaines si selon le statut de chacune on retrouve toute la panoplie de produits présents », conclue le Dr. Rageot. « On sait déjà qu’il y a une différence entre hommes et femmes, enfants et adultes ou encore côtés droit et gauche du corps. Ici, on a accès à l’atelier donc on pourrait affiner encore nos connaissances pour [la 26e dynastie]. »