Grand Canyon : quatre cent mille hectares de terres « sacrées » désormais protégés
Le président des États-Unis vient de proclamer un territoire situé près du Grand Canyon « monument national », protégeant ainsi des terres tribales d'importance historique et l’habitat de certaines espèces menacées.
Un nouveau monument national, adjacent au Grand Canyon, rendra hommage à l'histoire des tribus locales et protégera l’habitat de certaines espèces menacées.
La Maison-Blanche a déclaré cette semaine que près d'un million d'hectares de terres publiques adjacentes au parc national du Grand Canyon deviendraient un monument national du pays, soit une zone protégée. Cette décision rendra hommage aux terres indigènes du nord de l'Arizona et protégera le site de tout nouveau projet d'exploitation minière de l'uranium.
Le site couvre l'habitat naturel du condor de Californie (Gymnogyps californianus), espèce en danger critique, et constitue un important bassin versant pour le fleuve Colorado qui fournit de l'eau à 40 millions d'Américains. C'est également l'habitat du mouflon du désert (Ovis canadensis nelsoni) et d'oiseaux tels que le coulicou à bec jaune (Coccyzus americanus) et l’Empidonax traillii extimus, deux espèces en préoccupation mineure.
La décision du président Joe Biden est l'aboutissement d'un effort de lobbying d'une douzaine de tribus historiquement liées à la région qui ont plaidé en faveur de son statut de monument national. Il s'appellera Baaj Nwaavjo I'tah Kukveni Grand Canyon National Monument. Baaj nwaavjo (BAAHJ - NUH-WAAHV-JOH) signifie « là où les peuples indigènes errent » en langue Havasupai et i'tah kukveni (EE-TAH - KOOK-VENNY) « les empreintes de nos ancêtres » en langue Hopi.
« Prendre part à cette annonce signifie tout pour moi », a déclaré Debra Anne Haaland, secrétaire d'État chargée des affaires intérieures et première amérindienne nommée à un tel poste. « Je suis très reconnaissante envers le président Joe Biden pour son dévouement à l'égard des peuples autochtones et sa compréhension des liens indéfectibles qui les unissent à leurs terres ancestrales ». Debra Anne Haaland est membre de la tribu Laguna Pueblo, qui n'a pas de liens particuliers avec ce site.
« Après la création du parc national du Grand Canyon en 1919, le peuple Havasupai a été chassé de ses terres », explique-t-elle. « Leur histoire est similaire à celle de nombreuses tribus du Sud-Ouest qui trouvent leurs origines dans le Grand Canyon, les plateaux et les affluents qui l'entourent. Il n’est pas nécessaire de traverser ces lieux particuliers pour accéder au Grand Canyon ; ils sont sacrés et importants, et méritent d'être protégés. »
Le monument comprendra divers sites sacrés, dont Red Butte, que les Havasupai considèrent comme leur lieu de naissance et qu'ils appellent Red Butte-Wii'i Gwdwiisa. Ils y campaient traditionnellement en hiver, avant d'être déplacés de force par le gouvernement américain.
« Nos récits de création disent que Red Butte-Wii'i Gwdwiisa appartient à la Terre mère et nous pensons que si une exploitation minière est installée à cet endroit, elle percera ses poumons », explique Carletta Tilousi, coordinatrice de la coalition tribale du Grand Canyon et membre de la tribu des Havasupai. « Les membres de ma famille sont des descendants de ceux qui ont été déplacés », ajoute-t-elle. « Les sœurs de ma grand-mère et mes tantes racontaient comment elles avaient été traitées... On disait toujours qu'elles avaient des armes pointées sur elles. C'était donc une période très effrayante et hostile pour mon peuple. »
LA PROCLAMATION EN TANT QUE « MONUMENT NATIONAL »
En avril 2023, une coalition comprenant les douze tribus ayant des liens historiques avec le Grand Canyon a dévoilé sa proposition pour la candidature du site en tant que monument national lors d'une conférence de presse. Au cours de celle-ci, la sénatrice de l'Arizona, Krysten Sinema, et un représentant de cet État, Raúl Grijalva, se sont également exprimés en faveur de l'initiative.
La réserve indienne Havasupai en Arizona, qui comprend une partie des chutes d’Havasu, est le lieu où vit actuellement le peuple éponyme. Lorsque le Grand Canyon est devenu un parc national, celui-ci a été chassé de ses terres, que ce soit dans le canyon et autour de celui-ci ; des zones qui feront partie du nouveau monument national.
Le groupe a invité Debra Anne Haaland à visiter le site proposé en tant que monument national. Elle s’y est donc rendue en mai. Cette visite, déclare-t-elle, a été « l'un des voyages les plus importants de ma vie ». Elle s'est déplacée à Supai, capitale de la réserve indienne Havasupai, et a rencontré le conseil tribal et son président. Elle s'est également rendue à certaines chutes d'eau de la réserve, où elle dit s'être immergée dans les « eaux bleu-vert sacrées qui s'écoulent des ruisseaux alimentés par des sources ».
« J'ai été témoin du lien profond qui unit le peuple Havasupai à la terre et aux eaux qui l'ont nourri », déclare-t-elle. Le monument « honorera et protégera les terres ancestrales de douze nations tribales souveraines, contribuera à réparer les injustices du passé et créera un partenariat durable entre les États-Unis et les nations tribales de la région pour prendre soin de ces terres ».
« Notre travail pour les terres amérindiennes est loin d'être terminé, mais les progrès que nous avons accomplis sous cette administration sont historiques », ajoute-t-elle.
La proclamation de création du monument national, signée par le président Joe Biden, établira une commission tribale chargée de fournir des conseils sur l'élaboration et la mise en œuvre de son plan de gestion.
L’ARRÊT DES OPÉRATIONS MINIÈRES
Le monument national sera situé sur des terres publiques fédérales et rendra permanent le moratoire de vingt ans décrété par le président Barack Obama sur les nouvelles opérations minières dans la région à partir de 2012. Les concessions minières existantes, antérieures au moratoire, resteront toutefois en place. La Maison-Blanche indique que deux exploitations minières approuvées, situées dans les limites du monument, pourraient encore fonctionner.
L'exploitation minière de l'uranium dans la région a eu d'importantes répercussions sur la santé de ses habitants. Les autochtones qui travaillaient dans les mines pendant la période faste de l'extraction de l'uranium, à l'époque de la guerre froide, ont connu de nombreux cas de cancer et de maladies respiratoires.
Les données de l’Institut d'études géologiques des États-Unis indiquent en outre qu'il existe de nombreuses zones autour du Grand Canyon où l'uranium s'est infiltré dans les eaux souterraines et les a rendues impropres à la consommation.
Selon les communautés tribales de la région, toute exploitation minière met en danger la santé, la sécurité et l'environnement, et compromet les terres natales et cérémonielles, ainsi que les sites culturels et archéologiques.
Un groupe d'Havasupai, dont la réserve se trouve près du Grand Canyon, proteste contre le développement minier dans la région. Carletta Tilousi (deuxième en partant de la droite), membre de la tribu des Havasupai, affirme que les mines ont empoisonné les eaux de la région.
Des décennies d'extraction d'uranium autour du Grand Canyon ont eu un impact sur les eaux, les écosystèmes locaux et les terres tribales historiques.
Paul Gosar, représentant républicain de l'Arizona, s'est publiquement opposé à la proposition de nouveau monument national avant l'annonce et a proclamé que les déclarations présidentielles de ce type contournaient l'autorité du Congrès des États-Unis. Les partisans de l'exploitation minière de l'uranium se sont également opposés à la proposition, affirmant qu'il s'agissait d'une opportunité économique manquée pour les habitants de la région.
L’Antiquities Act de 1906 autorise le président à proclamer des monuments nationaux sur les terres fédérales si celles-ci contiennent des sites, des structures ou objets d'intérêt historique ou scientifique.
« L’Antiquities Act nous permet de nous tourner vers l'avenir, de sorte que si des concessions [minières] ont déjà été délivrées et validées par le processus normal, elles ne seront pas suspendues, et cela n'aura aucune incidence sur la propriété privée », explique Brenda Mallory, présidente du Conseil américain sur la qualité environnementale.
Le Grand Canyon, avec ses vues à couper le souffle, est l'un des parcs les plus célèbres d'Amérique. Il attire environ six millions de visiteurs chaque année. Le président Theodore Roosevelt, qui se trouvait sur la rive sud en 1903, a proclamé : « Laissez-le tel qu'il est. Vous ne pouvez pas l'améliorer. »
Selon Brenda Mallory, le paysage, les espèces et le type d'environnement du nouveau monument national sont très similaires à ce que les visiteurs verraient dans le Grand Canyon tout proche. Toutefois, elle souligne également l'importance de l'histoire des tribus dans la région. « C'est le Grand Canyon étendu », déclare-t-elle.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.