La course contre-la-montre pour créer des coraux résistants au changement climatique

En Australie, des chercheurs mettent au point de nouvelles méthodes pour renforcer les récifs de corail et leur permettre de survivre au changement climatique.

De Avery Schuyler Nunn
Publication 8 juil. 2024, 11:34 CEST
Ces minuscules cellules d'algues ont été cultivées depuis dix ans pour supporter les températures élevées des ...

Ces minuscules cellules d'algues ont été cultivées depuis dix ans pour supporter les températures élevées des océans. Les scientifiques espèrent que l'élevage de coraux plus résistants aux températures élevées permettra aux récifs de survivre aux vagues de chaleur.

PHOTOGRAPHIE DE Giacomo d’Orlando

Au cœur de l'Australie-Occidentale se trouve Coral Bay, un joyau niché au milieu de la vaste étendue du récif de Ningaloo.

Historiquement, le récif de Ningaloo a prospéré, c'est aujourd'hui un kaléidoscope de coraux et de poissons. Pourtant, les effets du changement climatique se sont fait ressentir en 2022, quand les conditions météorologiques ont créé un manque d'oxygène qui a étouffé la vie d'une partie de cet écosystème.

Environ 70 % du fond de la baie était recouvert de corail. En 2022, ce chiffre est tombé à moins de 2 %.

Pendant cette même période, les macroalgues, de petites plantes qui grandissent rapidement et peuvent étouffer le corail, ont considérablement augmenté, passant de 25 % du fond de la baie en 2021 à 79 % en 2022.

Malgré des efforts de conservation méticuleux, les récifs coralliens risquent de disparaître avec le réchauffement de la planète. Leur disparition serait désastreuse : ces jardins sous-marins dynamiques sont des sanctuaires de la biodiversité, abritant un quart de toutes les espèces marines.

Un blanchissement des coraux sans précédent affecte actuellement la Grande Barrière de corail. Pour la première fois, le récif tout entier est affecté, souligne l'AIMS (Australian Institute of Marine Science). Les relevés aériens montrent qu'environ 730 des plus de 1 000 récifs subissent un blanchissement, ce qui en fait potentiellement l'événement le plus important jamais enregistré.

Pour des scientifiques comme David Juszkiewicz, spécialiste de la conservation des coraux et doctorant à l'université de Curtin, la course est lancée pour trouver des solutions innovantes qui aideront les coraux à s'adapter à un monde nouveau. Bien que les chercheurs affirment que le changement climatique doit être freiné à terme, ils espèrent d'abord pouvoir renforcer les coraux jusqu'à ce que la planète se refroidisse.

Les chercheurs de l'AIMS attendent pour collecter des œufs de coraux hybrides lors d'une ponte dans leur laboratoire SeaSim. Les recherches de l'AIMS sur la ponte des coraux hybrides visent à aider les récifs à s'adapter au changement climatique.

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Œufs de coraux hybrides dans un réservoir lors d'une ponte dans le laboratoire SeaSim. La compréhension des mécanismes et des implications de l'hybridation chez les coraux peut aider à développer des approches de conservation ciblées qui tirent parti de la diversité génétique. Cela permet d'améliorer la résilience des populations coralliennes confrontées à des facteurs de stress environnementaux, tels que le réchauffement des eaux, l'acidification des océans et le blanchissement des coraux.

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Des chercheurs de l'AIMS collectent les œufs de coraux hybrides lors d'une ponte dans leur laboratoire SeaSim.

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COMMENT LES CORAUX RÉAGISSENT-ILS AU STRESS

Les coraux, architectes de ces royaumes sous-marins, sont soutenus par leurs partenaires symbiotiques, les zooxanthelles, algues microscopiques nichées dans leurs tissus. Leur relation est un symbole de l'ingéniosité de la nature, qui transforme les eaux pauvres en nutriments en écosystèmes prospères.

Les zooxanthelles, via la photosynthèse, fournissent des nutriments essentiels aux coraux, tandis que les coraux offrent à ces algues un environnement protégé et un accès à la lumière du soleil. Cette relation mutuelle représente le battement de cœur du récif, qui stimule sa productivité et soutient une myriade d'espèces marines.

Pourtant, comme toute relation, ce lien est susceptible de se fatiguer. Le changement climatique, avec l'augmentation des températures et l'acidification des océans, est une menace omniprésente. L'harmonie symbolique faiblit face au stress, ce qui mène à un phénomène connu sous le nom de blanchissement des coraux. Dans cet état, les coraux expulsent leurs zooxanthelles, devenant d'un blanc fantomatique et perdant leur principale source de subsistance. Les couleurs vibrantes du récif s'estompent, remplacées par un paysage austère et sans vie.

Au-delà du partenariat bien connu entre les coraux et les zooxanthelles, il existe un réseau complexe d'alliés microbiens.

Les bactéries, les champignons, les archées et les virus jouent tous un rôle pour la santé des coraux, puisqu'ils prospèrent à la surface de leur mucus, dans leurs tissus et dans leur squelette. Ces microbes offrent des avantages allant de l'échange de nutriments à la défense contre les agents pathogènes, améliorant ainsi la résilience du corail. La grande diversité microbienne dans le microbiome du corail constitue un tampon contre les stress environnementaux tels que la chaleur élevée, une protection qui fait partie intégrante de l'existence du récif.

C'est pourquoi les scientifiques explorent les manières de manipuler les microbes qui vivent à l'intérieur des coraux pour contribuer à leur survie, en particulier pendant les vagues de chaleur estivales.

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    Matthew Nitschke, un chercheur et scientifique de l'AIMS, libère des symbiotes ayant évolué pour résister à la chaleur, sur des coraux juvéniles poussant dans un réservoir expérimental. Les symbiotes sont de minuscules cellules d'algues qui vivent à l'intérieur du tissu corallien et fournissent aux coraux l'énergie nécessaire à leur croissance.

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    MANIPULER LES MICROBES DES CORAUX

    L'évolution expérimentale, qui consiste à sélectionner des cultures microbiennes sous des températures élevées, s'est révélée être une solution potentielle. Ces souches tolérantes à la chaleur, une fois réintroduites dans les coraux, pourraient donner aux récifs une chance de lutter contre le stress thermique. Quelle est la mission première des chercheurs ? Qu'à l'avenir, tout le monde puisse emprunter et déployer ce type d'action de gestion.

    « On peut faire pousser ces coraux essentiels autre part, sous des températures élevées. Ensuite, grâce à la sélection naturelle, nous pouvons trouver les quelques cellules qui possèdent le matériel génétique leur permettant de faire face à ces températures élevées », explique Matthew Nitschke, biologiste marin à l'AIMS.

    Mais il n'est pas seulement question d'innovation, il s'agit aussi de savoir comment ces innovations peuvent être partagées de manière réaliste à travers le monde, explique Cédric Robillot, directeur exécutif du programme de restauration et d'adaptation des récifs à la Fondation de la Grande Barrière de corail.

    Dans les îles Whitsundays, la Grande Barrière de corail capture les œufs et le sperme des coraux en excès dans les récifs sains et élève des millions de bébés coraux dans des bassins flottants spécialement conçus à cet effet. Ces jeunes coraux sont ensuite relâchés sur les récifs endommagés, contribuant ainsi à leur repeuplement.

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    « La Grande Barrière de corail elle-même fait la taille de l'Italie », déclare Robillot. « Comment pouvons-nous faire ça à grande échelle, avec un impact réel ? »

    Les chercheurs expérimentent aussi le traitement probiotique, en utilisant les bactéries bénéfiques pour protéger les coraux des maladies comme la maladie de perte de tissus du corail. Les essais en laboratoire se sont révélés prometteurs et des efforts sont en cours pour tester ces traitements dans la nature.

    De plus, la transplantation de microbiote, qui consiste à introduire des symbiotes résistants à la chaleur dans les coraux vulnérables, pourrait rendre les récifs plus résistants.

    « Les systèmes récifaux possèdent une résilience innée en raison de leur interconnexion et de leur complexité », explique Robillot. « En renforçant ces forces naturelles, nous pouvons considérablement améliorer leur capacité à résister au stress et à s'en remettre. »

    David Juszkiewicz, doctorant à l'université de Curtin, et Lindsey Kraemer, étudiante en master à l'université James Cook, prélèvent des échantillons et prennent des photos d'un énorme corail de porites dans le récif de Ningaloo. Chaque échantillon fera l'objet d'un séquençage génétique afin de déterminer le génome du corail et de comprendre la relation unique qu'il entretient avec ses microbes. L'association d'images photographiques et d'échantillons fournit des informations précieuses aux futurs scientifiques.

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    David Juszkiewicz prend un photo d'un massif de porites grandissant au bord du récif de Ningaloo. Ces coraux ont la forme de blocs massifs et peuvent vivre 600 ans.

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    Un échantillon d'acropora est examiné dans une boîte de Petri. Les espèces ramifiées sont essentielles à la bonne santé du récif. Après avoir enregistré le poids de l'échantillon, le chercheur le place dans une petite fiole pour qu'il soit étudié et conservé.

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    EXPLOITER LA RÉSILIENCE DE LA NATURE

    Surveiller la santé du corail, c'est prendre le pouls de l'océan. Le blanchissement des coraux est un signe de détresse évident, mais des signatures chimiques plus subtiles peuvent donner des avertissements précoces du mauvais état de santé du corail. Les scientifiques développent des technologies afin de détecter ces signaux plus tôt et pouvoir intervenir avant que le blanchissement visible ne se produise.

    Juszkiewicz note que même une légère augmentation de la température de 1 à 2 °C peut stresser les coraux. Ces événements de plus en plus fréquents contribuent à des changements dramatiques dans les récifs coralliens, augmentant le risque d'extinctions silencieuses et la disparition d'espèces avant qu'elles ne puissent être documentées et étudiées.

    Dans un dernier effort pour enregistrer les espèces avant qu'elles ne disparaissent, il localise et photographie les porites massifs, qui forment de grandes colonies ressemblant à des rochers. Après avoir enregistré des informations essentielles sur leur taille, leur couleur, leur forme et leur habitat, il prélève de petits échantillons sur les colonies, qu'il analyse en laboratoire. Un échantillon est blanchi pour étudier le squelette du corail, un autre est conservé dans de l'éthanol pour l'analyse de l'ADN, et un troisième est fixé dans une solution de formaldéhyde pour déterminer le sexe du corail et sa capacité à se reproduire, ce qui permet d'identifier de nouvelles espèces et de comprendre l'aire de répartition des espèces existantes.

    « Il y a encore tant de choses à découvrir », déclare Juszkiewicz. « Et nos récifs changent considérablement. Sur la base de la trajectoire actuelle, nous n'aurons des récifs que pour un petit moment encore. »

    C'est ce qui fait de cette lutte pour sauver les récifs coralliens une course-contre-la-montre. « Nous disposons d'un laps de temps très court avant que les dommages ne soient irréversibles, c'est-à-dire une dizaine d'années. »

    Les modèles climatiques révèlent une dure réalité : « D'abord, même si nous arrêtons les émissions demain, il y aura toujours une certaine quantité de chaleur enfermée dans les écosystèmes océaniques. Alors, il y aura un délai pendant lequel les récifs souffriront encore de stress. »

    Les chercheurs soulignent que, alors que les recherches scientifiques peuvent conduire à des solutions innovatrices, il s'agit en fin de compte d'un pansement pour un problème mondial. Une véritable protection des coraux nécessite une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre.

    « J'ai une lueur d'espoir, il le faut », déclare Juszkiewicz. « Si nous voulons sauver nos récifs, nous devons freiner le changement rapide du climat. »

    Lindsey Kraemer cherche une colonie d'acroporas où elle prévoit de prélever un échantillon. Les scientifiques sont convaincus que limiter les émissions de gaz à effet de serre est la seule solution à long terme pour protéger les récifs, mais ils espèrent qu'une modification de leur biologie pourrait contribuer à réduire les dommages causés à l'écosystème.

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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