Ce robinier est le plus vieil arbre de Paris

Arrivé en France des Appalaches, cet arbre témoigne de la prolifération des espèces invasives, qui n’épargnent nul lieu, pas même les environs de Notre-Dame de Paris.

De Robert Kunzig
Publication 18 juil. 2021, 14:00 CEST
Soutenu par une structure en béton, le plus vieil arbre de Paris, un robinier faux-acacia (Robinia ...

Soutenu par une structure en béton, le plus vieil arbre de Paris, un robinier faux-acacia (Robinia pseudoacacia) domine le square Viviani.

PHOTOGRAPHIE DE KEYSTONE/GETTY IMAGES

J’aperçois, depuis la fenêtre de l’appartement dans lequel je séjourne, la cime d’un arbre pas très grand, mais fort remarquable. Un arbre qui détourne occasionnellement mon attention de l’écriture d’un article pour lequel je suis venu à Paris. C’est un robinier faux-acacia (Robinia pseudoacacia) originaire des Appalaches, aux États-Unis.

Nul ne connaît la date exacte de son arrivée sur le sol français, mais l'on s'accorde sur l'année 1601. L’arbre aurait cependant été planté au début du 17e siècle par Jean Robin, jardinier de plusieurs rois de France. Il a survécu aux guerres et aux révolutions, et cet été, son sommet s’est paré d’un feuillage luxuriant. Ce vieux soldat blessé, dont le tronc balafré est soutenu par des béquilles en béton, est le fer de lance d’une armée invasive : depuis le 17e siècle, les robiniers faux-acacia d’Amérique se sont implantés dans toute l’Europe, mais aussi le monde.

Cette essence a rapidement conquis le cœur des forestiers d’Europe centrale notamment. Les robiniers faux-acacia poussaient rapidement sur les terres déboisées pour faire du bois de chauffage, empêchant ainsi l’érosion des sols. Plus récemment, 10 millions d’hectares de robiniers ont été plantés sur le plateau de Lœss dans le nord-ouest de la Chine pour lutter contre l’un des pires phénomènes d’érosion du sol au monde. Le bois de cette essence a de la valeur : dur et durable, il ne se destine pas seulement au chauffage. Quatre siècles après que Jean Robin a planté le spécimen venu d’Amérique dans son jardin, Robinia est vanté comme le seul bois « européen » pouvant être utilisé pour la confection de mobilier de jardin sans traitement à base de pesticides ; il constitue donc une alternative durable au teck, essence tropicale importée.

Mais il y a un problème : le robinier faux-acacia ne reste pas là où il est planté. C’est une espèce invasive incroyable, qui prolifère grâce à des stolons souterrains. Une caractéristique que Robinia partage avec un autre pionnier résistant, Ailanthus altissima, surnommé « arbre du paradis » en anglais.

Celui-ci a également bénéficié de l’aide de botanistes parisiens, voyageant dans le sens inverse, quittant la Chine pour l’Amérique au 18e siècle. Les jardiniers américains furent séduits par ce bel arbre qui pousse n’importe où, même entre les fissures des trottoirs (il est le personnage central du roman Le Lys de Brooklyn).

Mais, comme l’a récemment confié Troy Farrah à National Geographic, les scientifiques sont désormais à la recherche d’une solution pour éradiquer cet « arbre de l’enfer » néfaste à la biodiversité, et placent tous leurs espoirs dans un champignon découvert il y a peu.

La planète est un souk, notre souk. Des scientifiques tchèques qui ont récemment étudié la prolifération des robiniers faux-acacia dans le sud de l’Europe ont ainsi conclu : « Nos résultats confirment qu’il est difficile de répondre à une question de cette importance, à savoir si nous devrions cultiver et faire la publicité de Robinia, le tolérer ou l’éradiquer en tant qu’espèce exotique invasive dangereuse ». Ils préconisent une réponse sur le plan local et au cas par cas.

À 150 mètres au nord du vieil arbre se trouve la ruine pour laquelle je suis venu à Paris : la cathédrale Notre-Dame, fenêtre ouverte sur les 12e et 13e siècles, mais aussi le 19e siècle, période à laquelle elle a fait l’objet d’importants travaux de construction. Aujourd’hui, l’équipe chargée de la reconstruction de la cathédrale à la suite du terrible incendie qui l’a frappée en 2019, au cours duquel la charpente de l'édifice s’est effondrée entre ses voûtes vertigineuses, tente de recréer ces chapitres d’Histoire. Le robinier faux-acacia négligé que peu de monde remarque dans ce petit parc au beau milieu de la Seine nous rappelle que dans le monde naturel aussi, nous parvenons rarement à remédier aux situations complexes que nous avons créées. Nous ne pouvons qu’essayer de mieux les gérer.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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