Climat : comment rafraîchir les villes ?
À cause du changement climatique, les canicules vont se multiplier. Les villes, beaucoup plus vulnérables que les campagnes à ces pics de chaleur, peuvent toutefois s’adapter.
Plan nature de la Métropole Grand Lyon : le mail, le jardin paysagé et les jeux d'enfants au cartier la ZAC Castellane, Sathonay-Camp.
À chaque vague de chaleur, la canicule de 2003 revient hanter les esprits. Ce mois d’août fut particulièrement meurtrier en France, notamment pour les citadins. La surmortalité fut de 141% à Paris alors qu’elle était de 40% en zone rurale. Une différence directement liée à la température généralement plus élevée en ville qu’à la campagne. Ce phénomène d’« îlots de chaleur » peut être atténué, à condition d’adapter les villes et de lutter contre le changement climatique. Cette question de santé publique va devenir de plus en plus présente au fil des ans : les canicules seront deux fois plus fréquentes en France d’ici 2050, selon Météo France, ainsi que plus longues et plus intenses.
GOUDRON PARTOUT, FRAÎCHEUR NULLE PART
Entre le centre de Paris et les Yvelines, on peut parfois observer des écarts de température de 4°C. Comment l’expliquer ? « Plus une surface est sombre, et surtout minérale et non poreuse, plus elle absorbe le rayonnement du soleil et accumule la chaleur le jour. Ces matériaux omniprésents en ville restituent cette chaleur pendant la nuit et empêchent un refroidissement de la zone » explique Laurence Eymard, directrice de recherche émérite au CNRS et membre du groupe d’urbanisme écologique de Sorbonne Université.
À cela, il faut ajouter que l’air circule difficilement dans les villes denses. De plus, les activités humaines contribuent à faire grimper le mercure, avec par exemple la présence des moteurs de voitures ou bien de climatiseurs qui rejettent de l’air chaud…
« Avec tous ces facteurs combinés, c’est comme si la ville créait son propre climat » indique Elodie Briche, coordinatrice R&D en Urbanisme Durable à l’Agence de la transition écologique (Ademe).
« MIEUX VAUT PLANTER DES ARBRES QUE DES CLIMATISEURS »
Une première solution aux « îlots de chaleur » consiste à avoir la main verte.
« L’arbre est le meilleur ami de la lutte contre la chaleur. D’une part il apporte de l’ombre et d’autre part il pompe l’humidité présente dans les sols pour ensuite l’évacuer par évaporation. Ce faisant, il rafraîchit l’atmosphère. Mieux vaut planter des arbres que des climatiseurs, qui sont inégalitaires, évacuent l’air chaud en ville et émettent des gaz à effet de serre » indique Laurence Eymard.
La thermographie infrarouge prise en été 2010 par le satellite LANDSAT fait ressortir les contrastes climatiques du territoire métropolitain. Les zones industrielles, les emprises ferroviaires ou les quartiers résidentiels très denses chauffent très vite en été et emmagasinent la chaleur du soleil toute la journée. Ils composent un îlot de chaleur urbain caractéristique des grandes agglomérations. Inversement les lieux marqués par la présence d’eau et de végétaux sont les seules véritables zones de frais en ville.
À Göteborg, en Suède, la différence de température maximale entre un parc et son environnement construit a été mesurée à 5,9 °C. « Pour agir à l’échelle de la ville, il ne suffit pas d’avoir un ou deux arbres ponctuellement, mais plutôt des espaces verts plus conséquents, avec du sol naturel » poursuit la spécialiste. Car si un arbre dans une cour d’école peut permettre aux élèves de trouver un coin d’ombre et de faire baisser la température localement, parfois jusqu’à 2 à 3° de moins, il ne fera pas de différence à l’échelle de la ville.
Même réflexion pour les murs végétalisés : ils protègent les bâtiments du rayonnement solaire, réduisent la température de surface des murs et celle de l’air à proximité de la façade, mais leurs effets deviennent insignifiant à un mètre. Un parc, à l’inverse, peut avoir des bénéfices plus globaux. À Mexico, l’effet de rafraîchissement d’un parc a ainsi été observé jusqu’à 2 kilomètres.
Autre atout précieux pour faire baisser le mercure : les fontaines et les cours d’eau. Le fleuve qui traverse Lisbonne, le Tage, permet de diminuer la température de 6° à 7°C aux moments les plus chauds. L’effet est ressenti jusqu’à plusieurs centaines de mètres de la rive.
Certaines villes se sont donc mis en tête de sortir certaines cours d’eau de terre. À Paris, des élus écologistes veulent ainsi redécouvrir la Bièvre, une rivière enfouie depuis près d’un siècle sous le béton des 13e et 5e arrondissements pour cause de pollutions. Depuis les années 2000, des portions de ce cours d’eau réapparaissent progressivement à la surface en Ile-de-France : en 2003, à Fresnes, en 2016 à l’Haÿ-les-Roses et des travaux sont actuellement en cours à Arcueil et à Gentilly.
L’eau en ville peut aussi prendre plus localement la forme de fontaines, qui permettent d’abaisser la température de 1 °C, de brumisations (- 4 °C) ou de piscines et de bassins (-0,1 à -1,9 °C en moyenne).
Réalisée autour de 1914, la cité-jardin Lorraine Dietricht à Argenteuil (Val d'Oise) possède la typologie urbaine des cités patronales.
DES SAVOIRS ANCESTRAUX
Mais toutes les villes du monde ne disposent pas de ressources en eaux suffisantes pour alimenter fontaines et bassins, ni faire pousser des plantes rafraîchissantes. C’est le cas par exemple dans les pays méditerranéens. «Et malheureusement on ne peut pas faire diminuer la température des villes avec des plantes grasses » souligne Elodie Briche.
D’autres systèmes d’adaptation sont possibles. Par exemple, les maisons blanches des îles grecques ont été conçues ainsi pour éviter d’absorber les rayons du soleil grâce à leur couleur dotée d’un fort pouvoir réfléchissant. Les rues sinueuses de ces villages permettent aussi de créer de l’ombre et donc de les protéger encore un peu plus de la chaleur. «En se penchant sur ces questions d’îlots de chaleur urbains, on revient souvent aux savoirs ancestraux – les habitants mettaient déjà en place des solutions pour rafraîchir la ville il y a des centaines d’années. Néanmoins, on ne peut pas simplement reproduire partout ce qui est fait dans ces villages grecs. Chaque solution doit être pensée et adaptée au contexte climatique de la ville. Ainsi peindre un bâtiment en blanc au milieu d’une autre ville déjà existante n’aurait pas forcément de sens de manière isolée. Il pourrait éblouir les usagers en réfléchissant les rayons solaires» explique Elodie Briche.
REPENSER LES MÉTROPOLES
Une rénovation en profondeur du tissu urbain est donc souvent nécessaire pour durablement rafraîchir les villes. Mais le risque de canicule n’est pas systématiquement pris en compte dans les politiques d’urbanisme. Ainsi, le schéma directeur de l’Île-de-France -document clé d’urbanisme de la région – entend densifier fortement la petite couronne et plus modérément la grande couronne, au nom de la lutte contre l’artificialisation des sols.
Plan nature de la Métropole Grand Lyon : l’îloz’ dans le Parc de Miribel Jonage à Meyzieu.
« Sur le papier c’est très bien de ne pas bétonner plus d’espaces agricoles et naturels. Mais cette politique n’a pas été pensée en fonction des conséquences sur la chaleur. Densifier plus fortement la petite couronne aura pour effet d’amplifier la surface du dôme de l’îlot de chaleur, et très probablement son amplitude au centre, puisque la circulation de l’air sera bloquée sur toute la banlieue. Les scientifiques ont pourtant des outils pour dire comment et où précisément il faudrait densifier sans que cela n’ait trop d’impacts sur la température des zones concernées. Il faut penser l’urbanisme (ou son évolution) à toutes les échelles, de la région jusqu’à l’îlot d’habitation, pour lutter le plus efficacement possible contre la chaleur» souligne Laurence Eymard.
Elle préconise également de continuer à développer le télétravail et les transports en commun pour déplacer les populations des métropoles dans les villes moyennes et peu denses où les îlots de chaleur sont très modérés. Cette tendance, accélérée par les confinements, pourrait contribuer à réduire le risque de revivre des mois d’août comme celui de 2003.