COP26 : les États sont encore loin de leurs objectifs climatiques
Alors que les nations se préparent à annoncer leurs nouveaux objectifs de réduction des émissions carbone, un carnet de notes climatique fait le point sur les mauvais élèves.
Une centrale géothermique du Costa Rica, l'un des rares pays en conformité avec leurs obligations climatiques.
Alors que le sommet international qui pourrait bien décider de la capacité du monde à reprendre le contrôle sur le changement climatique vient de commencer, une évaluation de la trajectoire prise par les plus grands pays émetteurs de carbone se montre plutôt révélatrice.
Plusieurs pays s'apprêtent à annoncer de nouveaux objectifs, une première depuis que le monde s'est engagé à réduire ses émissions carbone lors de l'Accord de Paris sur le climat en 2015. Cependant, la plupart de ces pays ont déjà bien du mal à respecter leurs objectifs actuels, notamment les cinq plus gros pollueurs de la planète : la Chine, les États-Unis, l'Inde, la Russie et le Japon qui comptabilisent à eux seuls près de 60 % du total des émissions.
Selon le rapport 2021 sur l'écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions, le G20, un groupe de pays industrialisés, n'est pas en bonne voie pour honorer ses engagements, ce qui « explique en grande partie pourquoi le monde se dirige vers une aggravation des catastrophes climatiques, » indique le rapport.
Parallèlement, le consensus scientifique a évolué et affirme que le seuil de 2 °C de réchauffement global fixé par l'Accord de Paris est insuffisant pour nous éviter les conséquences les plus dramatiques. Les experts recommandent désormais de fixer cette limite à 1,5 °C.
« Les règles du jeu ont changé, » a récemment déclaré Todd Stern, négociateur en chef de l'administration Obama pour l'Accord de Paris, à la chaîne américaine d'information en continu CBS News. « Le seuil de 2 °C était déjà très difficile, 1,5 °C l'est encore plus. »
Du 31 octobre au 12 novembre, les dirigeants des pays signataires de l'Accord de Paris sur le climat se réuniront à Glasgow, en Écosse, pour une conférence appelée COP26. L'agenda de la conférence prévoit l'annonce de nouveaux objectifs de réduction des gaz à effet de serre, ainsi que les échéances associées, autant de données qui n'ont pas évolué en six ans.
À quelques jours de la conférence, National Geographic vous propose une analyse des efforts fournis par les plus grands pays émetteurs, de leur part de responsabilité dans les émissions mondiales et de la probabilité avec laquelle leurs actions, si elles étaient suivies par d'autres, pourraient maintenir le monde sous la barre des 1,5 °C de réchauffement. Notre résumé s'appuie sur le rapport détaillé publié par Climate Action Tracker (CAT), un consortium engagé dans la quantification et l'évaluation des objectifs, des politiques et des actions visant à atténuer le changement climatique.
LE TOP 5
Contribution aux émissions mondiales : 58 %
1. LA CHINE
Contribution aux émissions mondiales : 28 %
Note attribuée par Climate Action Tracker : Très Insuffisant
Un site de stockage du charbon à Taicang, dans la province du Jiangsu, en Chine. Malgré ses engagements, la Chine continue de recourir aux énergies fossiles à travers la production de charbon et la création de nouvelles centrales à charbon.
En septembre 2020, la Chine créait la sensation avec l'annonce de son engagement à atteindre la « neutralité carbone avant 2060. » Selon Climate Action Tracker, cette promesse, si elle est tenue, « contribuerait à réduire de 0,2 à 0,3 °C les projections de réchauffement global. »
Cependant, la promesse manque cruellement de détails et l'Institut des ressources mondiales rappelle que malgré son caractère significatif, « elle accuse un retard de 16 ans sur la date recommandée par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat pour respecter le seuil de 1,5 °C. » Trois mois plus tard, la Chine révélait son intention de soumettre un nouvel ensemble d'objectifs qui impliquerait, entre autres, d'atteindre son pic des émissions de dioxyde de carbone avant 2030. Ces objectifs n'ont pas été officiellement présentés à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et personne ne sait s'ils feront l'objet d'une annonce officielle avant ou pendant la conférence de Glasgow.
En septembre 2021, la Chine a annoncé qu'elle ne financerait plus la construction de centrales à charbon à l'étranger. L'envoyé spécial des États-Unis sur le climat, John Kerry, s'est dit « absolument ravi » de la nouvelle, bien que le correspondant de la BBC à Shanghai l'ait qualifiée de « demi-mesure à côté de l'addiction de la Chine au charbon, » en précisant que la moitié du charbon consommé dans le monde l'était en Chine et que le pays construisait encore des centrales à charbon sur ses terres.
La Chine a effectivement ajouté 38,4 gigawatts de centrales à charbon à l'intérieur de ses frontières en 2020, ce qui représente 76 % des commandes de nouvelle centrale à travers le monde. Au mois d'avril, le président Xi Jinping déclarait que la consommation de charbon en Chine atteindrait son pic en 2025 avant de reculer. Reste à voir s'il profitera de la COP26 pour officialiser cet engagement.
2. LES ÉTATS-UNIS
Contribution aux émissions mondiales : 15 %
Note attribuée par Climate Action Tracker : Insuffisant
La politique de l'administration Biden en matière de changement climatique se démarque fortement de celle menée par son prédécesseur, notamment par le fait que les États-Unis participeront à nouveau à une Conférence des Parties en qualité de signataire de l'Accord de Paris. L'un des premiers décrets du président Joe Biden a été de réaffirmer l'objectif de neutralité des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2050 et de réintégrer les initiatives climatiques à l'agenda des différents départements du gouvernement fédéral.
L'administration a immédiatement suspendu les concessions de forages gaziers et pétroliers au cœur du refuge faunique national Arctique (tout en autorisant la poursuite d'autres projets de forage dans l'Arctique) et révoqué les permis de l'oléoduc Kestyone XL. CAT note « presque suffisant » l'objectif des États-Unis de réduire de moitié les émissions carbone par rapport à 2005 d'ici 2030 afin de limiter le réchauffement global à 1,5 °C. Néanmoins, la principale proposition pour atteindre cet objectif, un programme qui récompenserait financièrement les services publics qui opèrent la transition vers les énergies renouvelables et les puniraient dans le cas contraire, rencontre actuellement un obstacle sous la forme de l'opposition du sénateur de Virginie-Occidentale, Joe Manchin.
Cependant, CAT soutient que les États-Unis devraient plutôt viser une réduction des émissions de 57 à 63 % à l'horizon 2030 tout en intensifiant les efforts fournis pour réduire les émissions liées aux secteurs des transports et du bâtiment. D'après le consortium, le point faible des États-Unis réside dans le peu de soutien financier accordé aux autres pays pour réduire leurs émissions, bien que le gouvernement ait promis une amélioration à cet égard.
3. L'INDE
Contribution aux émissions mondiales : 7 %
Note attribuée par Climate Action Tracker : Très Insuffisant
L'Inde est en passe de dépasser confortablement ses objectifs officiels de l'Accord de Paris. Le pays a déjà réduit de 21 % l'intensité de ses émissions, conformément à son objectif de 33 à 35 % de réduction pour 2030 ; et seuls 2 points de pourcentage le séparent de son engagement à générer 40 % de l'électricité nationale par des sources autres que les énergies fossiles d'ici 2030. Cependant, ces nouvelles ne sont pas tant des motifs de célébration que des signes révélateurs de la faiblesse des objectifs fixés.
Après avoir manqué l'échéance du 12 octobre pour soumettre ses objectifs révisés avant la COP, le gouvernement pourrait choisir de les annoncer pendant la conférence, avec notamment un engagement à augmenter la part des sources d'énergies non fossiles dans sa capacité de génération d'énergie à un minimum de 60 %, avec la possibilité de l'élever à 65 %, d'ici 2030. L'Inde offre de généreuses subventions pour les énergies renouvelables et un plan de relance post-COVID consacre environ 3 milliards de dollars au développement des batteries et de l'énergie solaire photovoltaïque.
Cependant, les financements accordés par le gouvernement indien privilégient encore le charbon aux énergies renouvelables. L'Inde est le deuxième plus grand propriétaire de centrales à charbon en développement et figure parmi les seuls pays où ce nombre est toujours à la hausse. Selon le programme actuel, la capacité de 200 GW de production d'électricité au charbon devrait atteindre les 266 GW d'ici 2029-30. Cet engagement continu envers le charbon ainsi que l'incapacité du pays à se fixer des objectifs plus significatifs sont en grande partie responsables de la mauvaise note attribuée par Climate Action Tracker.
4. LA FÉDÉRATION DE RUSSIE
Contribution aux émissions mondiales : 5 %
Note attribuée par Climate Action Tracker : Insuffisance critique
Il semblerait que la stratégie adoptée par la Russie soit de faire partie des derniers grands producteurs d'énergies fossiles, séduite par les opportunités économiques que représente la fonte du cercle polaire en matière de forage et de transport pour augmenter sa production.
Le président Vladimir Poutine a flirté avec le climatoscepticisme et affiché ouvertement sa méprise des sources d'énergie alternatives, notamment les éoliennes. Il a fallu attendre septembre 2019 pour que la Russie rejoigne les signataires de l'Accord de Paris et avril dernier pour voir apparaître ses premières lois sur le climat. Malgré son intention de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 30 % par rapport à 1990 à l'horizon 2030, les émissions vont encore légèrement augmenter au cours des dix prochaines années avant de diminuer ; en 2050, les émissions seront encore supérieures aux niveaux de 2017.
Les données les plus récentes montrent que la Russie appelle à une augmentation de la consommation nationale des énergies fossiles et à une production accrue destinée à l'exportation. Les efforts visant à augmenter l'efficacité énergétique dans des secteurs tels que l'industrie et les transports restent minimes. À ce jour, CAT ne relève aucune contribution majeure de la Russie au financement de l'action climatique internationale.
En conclusion, le rapport indique que si d'autres pays adoptaient une approche similaire à la Russie, le monde se dirigerait vers un réchauffement de 4 °C d'ici la fin du siècle.
5. LE JAPON
Contribution aux émissions mondiales : 3 %
Note attribuée par Climate Action Tracker : Insuffisant
Les engagements récemment pris par le Japon ont tout pour plaire. En avril 2021, le gouvernement annonçait son nouvel objectif de réduire les émissions de 46 % à l'horizon 2030 par rapport aux niveaux de 2013, avec d'éventuelles mesures supplémentaires pouvant aller jusque 50 %. Le Japon s'est en outre fixé pour objectif de parvenir à la neutralité carbone d'ici 2050. Cette nouvelle stratégie dépasse largement les objectifs précédents de réduction des émissions de 26 % pour 2030, mais CAT estime que les politiques actuelles du Japon ne lui permettront pas d'atteindre de telles cibles.
Le premier problème vient du rôle de l'énergie nucléaire dans la réalisation de ces objectifs. Le Japon souhaite produire 60 % de son électricité à partir de sources d'énergie non fossiles : 38 % d'énergies renouvelables et 22 % d'énergie nucléaire. Cependant, cette part de l'énergie nucléaire nécessiterait de relancer la grande majorité des 33 centrales nucléaires du pays, alors que seules 10 d'entre elles ont repris la production depuis la catastrophe de Fukushima en 2011 et que l'opposition locale risque fortement de retarder les futurs plans. En outre, selon ce programme, la contribution des centrales à charbon dans la production d'électricité serait toujours de 19 %.
Pour atteindre les réductions conformes aux objectifs fixés par l'Accord de Paris, le rapport indique que le Japon devra quasiment réduire à néant sa production d'énergie au charbon d'ici 2030.
LES QUINZE SUIVANTS
Contribution aux émissions mondiales : 21 %
L'Allemagne, l'Iran, la Corée du Sud, l'Arabie Saoudite, l'Indonésie et le Canada contribuent respectivement à hauteur de 2 % ; le Mexique, l'Afrique du Sud, le Brésil, la Turquie, l'Australie, le Royaume-Uni, la Pologne, l'Italie, la France contribuent respectivement à hauteur de 1 %.
D'un côté, il y a l'Australie, cinquième producteur mondial de charbon, aucune mise à jour des objectifs nationaux pour 2030 et a priori activement opposée à toute forme d'action climatique impliquant des énergies renouvelables, leur préférant une « relance propulsée au gaz. » Pour reprendre les mots du rapport, cela signifie « remplacer des énergies fossiles par des énergies fossiles. »
L'engagement du Brésil envers une neutralité carbone à l'horizon 2060 fait l'objet de vives critiques en raison d'un « manque de crédibilité » ; l'agriculture et la déforestation accrues contribuent à des émissions vouées à augmenter jusqu'en 2030 au bas mot.
Le programme de l'Arabie Saoudite reste vague ; ce royaume du désert a explicitement indiqué que ses objectifs actuels étaient conditionnés par sa capacité à poursuivre ses exportations de pétrole en grands volumes. En d'autres termes, si le gouvernement percevait une menace pour l'économie du pays liée à la réduction des exportations de pétrole, il reverrait probablement à la baisse ses engagements climatiques.
D'un autre côté, il y a l'Allemagne, dont les objectifs de réduction des émissions de 65 % d'ici 2030 par rapport à 1990 et de 88 % à l'horizon 2040 sont inscrits dans la loi et obligent le pays à atteindre la neutralité carbone en 2045 au plus tard. La part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique du pays est passée de 10 % à 40 % et les émissions carbone ont diminué de 20 % entre 1990 et 2010, puis de 20 % à nouveau depuis.
Avant d'accueillir la COP, le Royaume-Uni a revu à la hausse ses engagements climatiques et établi des objectifs ambitieux de réduction des émissions pour 2030 et 2035, respectivement de 68 % et 78 %. Le rapport estime que les politiques et les objectifs du Royaume-Uni sont « presque suffisants » pour limiter le réchauffement à 1,5 °C, même s'il note un écart encore important entre ses ambitions et les mesures prises pour les atteindre.
LE RESTE DU MONDE
Contribution aux émissions mondiales : 21 %
En ce qui concerne les 172 autres signataires de l'Accord de Paris sur le climat, l'engagement en faveur de l'action climatique varie fortement d'un pays à l'autre. Parmi les pays méritant une attention particulière pour leurs efforts figure le Costa Rica, dont les politiques et l'action paraissent en adéquation avec une limitation du réchauffement à 1,5 °C et qui, s'il suivait toutes les étapes décrites dans son plan national de décarbonation, serait en passe d'atteindre la neutralité carbone d'ici 2050.
Le Maroc souhaitait étendre la part des énergies renouvelables dans sa production d'électricité à 42 % en 2020 et 52 % en 2030. La Gambie est la seule des 39 nations surveillées par Climate Action Tracker dont les objectifs, les politiques et les actions sont jugés pleinement compatibles avec le seuil de 1,50 °C.
Les 27 membres de l'Union européenne représentent collectivement 8 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit une réduction de 15 % par rapport à 1990. L'Allemagne, la Pologne, l'Italie et la France figurent toutes dans le top 20 des émetteurs et contribuent ensemble à environ 5 % des émissions.
Sans grande surprise pour un bloc composé de pays aussi disparates en termes de taille, d'économie et de culture politique, la mise en œuvre de stratégies climatiques varie fortement au sein de l'Union européenne. Là où certains États membres disposent d'un calendrier pour la sortie du charbon, d'autres en sont encore loin. Toutefois, bien que le rapport juge « Insuffisant » les efforts fournis de manière générale, il note que l'Union européenne a « réalisé d'importants progrès dans la lutte contre le changement climatique au cours de l'année qui vient de s'écouler. »
Parmi ces progrès, citons notamment l'adoption en juillet d'une Loi européenne sur le climat qui oblige la société et l'économie de l'Europe à devenir neutres pour le climat à l'horizon 2050 et fixe un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre d'au moins 55 % d'ici à 2030, par rapport aux niveaux de 1990.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.