Le bilan carbone des jets privés explose… à cause des ultrariches

Les ultrariches utilisent de plus en plus souvent des jets privés, dont certains modèles émettent plus de CO2 en une heure qu'une personne moyenne en une année.

De Olivia Ferrari
Publication 9 nov. 2024, 14:15 CET
Des jets privés sont posés sur les pistes de l'aéroport Friedman Memorial de Hailey, dans l'Idaho, le ...

Des jets privés sont posés sur les pistes de l'aéroport Friedman Memorial de Hailey, dans l'Idaho, le 29 juin 2022. Chaque année, au mois de juillet, lors du coup d'envoi de la conférence Sun Valley, un homme doit gérer l'arrivée dans le petit aéroport de centaines de jets privés, d'une valeur de plusieurs millions de dollars, appartenant à certaines des personnes les plus puissantes du monde.

PHOTOGRAPHIE DE Ellen Hansen, The New York Times, Redux

L’utilisation des jets privés et les émissions qu’ils entraînent sont en pleine augmentation, principalement du fait des ultrariches.

Selon une nouvelle étude parue dans la revue scientifique Communications Earth & Environment, près de la moitié des vols privés entre 2019 et 2023 ont été effectués pour des trajets de courte durée, de parfois moins de 150 km, qui auraient facilement pu être réalisés en voiture.

Bien que seulement 0,003 % de la population mondiale ait accès à des jets privés, ce mode de transport très énergivore émet beaucoup plus de carbone par passager que les vols commerciaux. C’est pourquoi les célébrités sont de plus en plus souvent critiquées lorsqu’elles y ont recours.

Certains modèles de jets privés émettent en effet plus de carbone en une heure qu’une personne moyenne n’en émet en une année entière. L’empreinte carbone annuelle des individus qui les utilisent régulièrement serait ainsi, selon l’étude, jusqu’à 500 fois plus importante que la moyenne annuelle mondiale par habitant.

C’est la première fois qu’une étude analyse les émissions mondiales de carbone de l’aviation privée, et les révélations ne s’arrêtent pas là.

 

UNE IMMENSE EMPREINTE CARBONE

Les chercheurs ont analysé les données de suivi relatives à plus de 18,7 millions de vols privés réalisés par près de 26 000 jets privés entre 2019 et 2023, puis ont calculé leurs émissions en fonction de la durée et de la trajectoire des vols, ainsi que du taux de consommation de carburant de chaque modèle d’avion.

Les résultats ont montré que l’aviation privée avait engendré l’émission d’environ 15,6 millions de tonnes de CO2 en 2023, soit une moyenne d’environ 3,6 tonnes par vol. Cela équivaut à environ 1,8 % du total des émissions produites par l’aviation commerciale en 2023.

« Les émissions totales de l’aviation privée sont bien inférieures à celles de l’aviation commerciale », commente Lynnette Dray, climatologue à l’University College de Londres, qui n’était pas impliquée dans la nouvelle étude. « Cependant, les émissions sont beaucoup plus importantes par passager, et les émissions de l’aviation privée augmentent plus rapidement que celles de l’aviation commerciale. »

En outre, l’étude n’ayant évalué que les émissions directes liées à la consommation de carburant pendant le vol, l’empreinte carbone totale de l’aviation privée pourrait être encore plus importante, notamment si l’on tient compte du temps que les avions passent à rouler sur les pistes ou de l’utilisation d’autres véhicules, tels que les hélicoptères, pour atteindre la destination finale après l’atterrissage du jet. Par ailleurs, selon Dray, les émissions de carbone ne sont pas les seules et uniques conséquences des avions sur l’environnement : ces derniers relâchent également des oxydes d’azote et engendrent une pollution particulaire et sonore dans leurs zones de décollage et d’atterrissage.

 

DE TROP COURTES DISTANCES

La plupart des vols analysés couvraient des distances qui auraient facilement pu être parcourues en voiture. D’après les auteurs de l’étude, les propriétaires de jets privés privilégieraient l’avion à d’autres modes de transports moins énergivores pour des raisons de commodité ou de gain du temps.

Près de la moitié des vols étudiés (47,4 %) ont ainsi parcouru moins de 500 km, et 18,9 % moins de 200 km. De plus, nombre d’entre eux étaient des vols à vide, envoyés pour des livraisons ou pour récupérer des individus.

Les trajets très courts, inférieurs à 50 km, représentent quant à eux 4,7 % des vols privés analysés.

 

DES PICS LORS DES GRANDS ÉVÉNEMENTS

De grands événements, tels que le Super Bowl 2023 en Arizona, le Festival de Cannes 2023 en France, la COP28 à Dubaï et la Coupe du monde de football 2022 au Qatar ont été associés à d’importants pics d’émissions issues de l’aviation privée.

L’analyse montre que la Coupe du monde de football 2022 a mobilisé plus de vols privés que les autres événements mentionnés, avec 1 846 vols réalisés pour une production totale de 14 700 tonnes de carbone. La COP28, conférence des Nations unies sur le changement climatique, a quant à elle mobilisé 291 vols privés et produit 3 800 tonnes de carbone.

Les chercheurs ont également constaté une tendance saisonnière culminant en été, et tout particulièrement durant les week-ends, vers des destinations comme Ibiza, l’Espagne, et Nice, ce qui indique que l’aviation privée est majoritairement utilisée pour les voyages liés aux loisirs.

 

DE PLUS EN PLUS DE VOLS PRIVÉS

L’étude révèle également que les émissions globales des jets privés ont augmenté de 46 % entre 2019 et 2023. Selon Stefan Gössling, géographe à l’Université Linné en Suède et auteur de l’étude, une partie de cette croissance pourrait être liée à la pandémie de COVID-19.

En effet, les jets privés ont probablement été utilisés comme alternative aux vols commerciaux largement interrompus au début de la pandémie.

Dans les dernières années, une diminution des vols en classe affaires et en première classe a également été observée sur les vols commerciaux au profit des jets privés, probablement dans l’objectif de limiter le risque d’infection au virus, ajoute Dray.

En outre, la pandémie aurait permis, selon Gössling, à certains individus ultrariches de devenir encore plus riches. Cette accumulation d’argent au sein d’un petit groupe déjà très fortuné pourrait avoir favorisé l’accès et l’intérêt pour ce mode de transport, suppose le chercheur.

Désormais, les projections suggèrent que cette croissance se poursuivra dans les prochaines décennies, et ce même si la pandémie, qui semble avoir donné un coup de fouet à l’aviation privée, n’empêche plus le bon fonctionnement des vols commerciaux.

 

UNE MEILLEURE RÉGLEMENTATION

Selon les chercheurs, une meilleure réglementation relative à l’aviation privée est essentielle si l’on souhaite limiter le changement climatique.

Aujourd’hui, la majeure partie du trafic aérien privé et environ 68,7 % de tous les jets privés proviennent des États-Unis, qui n’abritent pourtant que 4 % de la population mondiale.

« Si nous ne commençons pas à réduire les émissions au sommet, où des individus émettent beaucoup, beaucoup plus qu’un humain moyen, alors personne ne sera incité à limiter ses propres émissions », affirme Gössling.

En effet, les personnes les plus riches du monde sont celles qui contribuent le plus aux émissions à l’origine de l’aggravation du changement climatique. En moyenne, 50 des milliardaires les plus riches du monde ont pris 184 vols en une seule année, et ont ainsi émis autant de carbone qu’une personne moyenne pourrait en émettre en 300 ans.

Cette étude a de nombreuses implications, dont la plus importante est « de nous donner l’opportunité de faire payer les riches à la hauteur des dégâts qu’ils provoquent, car oui, il est tout à fait possible de mettre un prix sur ces émissions », conclut Gössling.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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