Entre pollution et infrastructures inadaptées, l'eau du robinet est-elle encore potable aux États-Unis ?
Des experts tentent de créer des réglementations fédérales pour protéger la population américaine des substances chimiques potentiellement nocives qui contaminent l'eau du robinet.
Un employé d'une infrastructure de traitement des eaux à San Diego analyse de l'eau pour déterminer si elle contient des polluants. Bien que la majorité de la population des États-Unis ait accès à de l'eau potable de bonne qualité, un petit pourcentage, qui représente tout de même des millions de personnes, est exposé chaque année à des eaux contaminées.
Bien que la majorité de la population des États-Unis n’ait pas à se préoccuper de la salubrité de l’eau qu’elle reçoit dans son robinet, des millions d’Américains sont tout de même exposés chaque année à des polluants.
En 2014, l’une des crises de l’eau les plus dévastatrices du pays a frappé la ville de Flint, dans le Michigan, lorsque les réserves d’eau potable ont été gravement contaminées au plomb. En janvier 2023, neuf ans après la contamination initiale, les habitants en subissaient encore les conséquences. En 2022, une autre crise de l’eau a touché la ville de Jackson, dans le Mississippi, privant ainsi d’eau potable une grande partie de ses 150 000 habitants.
Voici tout ce qu’il faut savoir sur la qualité de l’eau du robinet distribuée dans les millions de foyers qui composent les États-Unis, ainsi que sur les réglementations qui pourraient permettre de garantir un accès à de l’eau propre pour tous, d’après les experts américains de l’Agence de protection de l’environnement, de la sphère académique et des groupes de défense.
Des fonctionnaires visitent une station d'épuration à Maplewood, dans le Minnesota. Les États-Unis abritent plus de 50 000 stations d'épuration, dont la moitié ne desservent que quelques centaines de personnes. Selon les experts, l'une des solutions pour prévenir la contamination serait de regrouper les petites stations afin de créer une base de clientèle plus importante, ce qui permettrait de disposer de plus de financements et de personnel.
UN SYSTÈME DÉFAILLANT
Environ 90 % de la population américaine reçoit de l’eau du robinet gérée par des public water systems (littéralement « système d’eau publics »), ou PWS. L’eau récupérée dans des lacs, des réservoirs, des rivières ou des nappes phréatiques, est acheminée vers des stations d’épuration, qui la nettoient en y déversant des composés chimiques qui se lient aux polluants présents dans l’eau et qui peuvent ensuite être éliminés par tamisage. Certaines infrastructures utilisent également des rayons UV pour tuer les bactéries.
Des désinfectants chimiques, tels que le chlore ou les chloramines, sont ensuite ajoutés à l’eau afin de tuer tous les agents pathogènes qui ont survécu aux premières étapes de l’assainissement ainsi que ceux qui se cachent dans les tuyaux qui acheminent l’eau jusqu’aux robinets des Américains.
L’interaction de ces désinfectants chimiques avec l’eau, qui est elle-même une substance chimique, crée cependant des sous-produits qui peuvent être difficiles à identifier. Dans le cadre d’une étude publiée récemment, des chercheurs sont parvenus à isoler et définir « l’anion chloronitramide », un sous-produit des chloramines qui était présent depuis des années dans l’eau des robinets américains, mais difficile à distinguer des autres sous-produits. Rien n’indique que l’anion chloronitramide soit toxique à la consommation, mais cette étude permet d’illustrer toute la complexité du processus de contrôle d’une eau du robinet qui doit ensuite être distribuée à des millions de personnes.
Certaines infrastructures d’épuration, par manque de financements ou de vigilance, ne traitent pas leurs eaux usées aussi efficacement qu’elles le devraient. Ainsi, en 2015, environ 21 millions de personnes résidant aux États-Unis se sont retrouvées exposées à de l’eau du robinet qui ne respectait pas les directives fédérales, selon une étude publiée en 2018.
Jabari Omari, un employé de la ville de Jackson, dans le Mississippi, distribue des bouteilles d'eau sur le site de distribution de la Mississippi Rapid Response Coalition, le 31 août 2022. La ville a connu une crise de l'eau après que des inondations ont perturbé le système local de distribution d'eau.
Les principales infractions à la réglementation fédérale étaient liées à la présence de niveaux dangereux, et donc illégaux, d’agents pathogènes (bactéries et virus), de nitrates, d’arsenic et de sous-produits nocifs du processus d’épuration dans les eaux analysées, révèle Maura Allaire, autrice de l’étude et experte en qualité de l’eau à l’Université de Californie à Irvine.
COMMENT L’EAU EST-ELLE RÉGLEMENTÉE AUX ÉTATS-UNIS ?
En 1974, le Congrès américain a adopté la Safe Drinking Water Act, une loi sur la salubrité de l’eau potable qui a donné à l’Agence de protection de l’environnement (EPA) du pays le pouvoir d’établir des normes relatives à la qualité de l’eau du robinet.
Ainsi, lorsqu’il est démontré qu’un élément est nocif pour la santé humaine, comme le plomb par exemple, l’EPA peut fixer une teneur maximale autorisée de celui-ci dans les réserves d’eau potable. Ces limites se basent à la fois sur la quantité maximale de cet élément qu’un humain peut ingérer sans que cela soit dangereux pour sa santé et sur les capacités technologiques des infrastructures de traitement des eaux.
Ces limites ne permettent toutefois pas toujours de garantir l’absence totale de polluants dans l’eau.
« Il y a un décalage entre ce qui est légal et ce qui est réellement sans danger », affirme Sydney Evans, analyste scientifique à l’Environmental Working Group (EWG). De nombreuses réglementations sont en effet basées sur des données scientifiques vieilles de plusieurs décennies, ce qui, selon l’EWG, les rend obsolètes et insuffisantes.
Shanice Ollie lave sa vaisselle avec de l'eau bouillie, un processus qui peut prendre plus d'une heure, dans sa maison à Flint, dans le Michigan, en 2016. La contamination à l'origine de la crise de l'eau de Flint a été provoquée par l'utilisation d'une eau acide qui a corrodé les vieilles canalisations qui approvisionnaient toutes les habitations de la ville et qui contenaient encore du plomb.
L’EWG tient sa propre base de données relative à l’eau du robinet, dans laquelle il fixe des limites bien plus strictes que celles de l’EPA, sur la base de ce qu’il juge être sans danger pour la santé humaine. Ces limites reposent sur des études évaluées par des pairs, sur des recherches effectuées par des agences d’État ainsi que sur le travail de scientifiques salariés.
PFAS : DES POLLUANTS ÉTERNELS DANS L’EAU
Les substances per- et polyfluoroalkylées, mieux connues sous les noms de PFAS ou de « polluants éternels », sont une famille de milliers de molécules chimiques dotées d’une persistance exceptionnelle leur permettant de rester dans l’environnement sans se dégrader pendant de très longues périodes. Certains composés des PFAS ont été associés à de graves problèmes de santé, dont plusieurs types de cancer.
L’EPA a récemment proposé d’établir de nouvelles limites relatives à la présence de six de ces substances dans l’eau potable. Des études ont en effet démontré que de nombreuses sources d’approvisionnement en eau à travers les États-Unis contenaient des quantités non négligeables de PFAS et, par conséquent, des traces de ces substances toxiques ont été retrouvées dans le sang des Américains. Une situation similaire a récemment été signalée dans plusieurs régions de France.
Si elles sont approuvées, les réglementations proposées par l’EPA seront les premières à s’attaquer de manière significative à la pollution par les PFAS au niveau fédéral, et pourraient ainsi ouvrir la voie à l’élimination d’une toxine qui contamine l’eau potable depuis plusieurs décennies.
LES POLLUANTS EN ATTENTE DE RÉGLEMENTATION
L’élaboration de nouvelles lois relatives à des polluants qui ne sont pas encore réglementés prend du temps. Le danger que représentent les PFAS est par exemple connu depuis des années, mais il a fallu de nombreuses preuves et recherches avant qu’une réglementation puisse enfin être proposée.
« Le défi est de taille », admet Eric Burneson, directeur du bureau des Eaux souterraines et de l’Eau potable de l’EPA. « Il nous faut des informations scientifiques solides ainsi qu’une évaluation de ces informations par des pairs. Puis nous devons déterminer notre capacité à contrôler [la présence de ces polluants]. Pouvons-nous les mesurer ? Pouvons-nous les traiter ? »
Pouvoir répondre à ces questions permet à l’EPA de mieux défendre le potentiel coût de la réglementation d’un nouveau composé.
À ce jour, l’EPA a réglementé quatre-vingt-dix polluants et en a identifié des dizaines d’autres qui constituent une menace pour la santé et qui se trouvent dans l’eau du robinet : parmi eux, soixante-six substances chimiques, douze microbes, et la totalité des PFAS, soit bien plus que les six qu’elle a récemment proposé de réglementer.
« Il nous faut davantage d’informations pour pouvoir avancer », indique Burneson, mais « ils se trouvent peut-être dans l’eau potable, et ils représentent des risques. »
UN RISQUE PLUS ÉLEVÉ POUR CERTAINES POPULATIONS
Les communautés rurales et à faibles revenus sont les plus touchées par des difficultés d’accès à une eau du robinet de qualité, leurs infrastructures de traitement des eaux étant les plus susceptibles d’enfreindre les normes de l’EPA. La pollution agricole, les eaux souterraines contaminées, les financements insuffisants ainsi que le manque de personnel dans les infrastructures d’assainissement représentent de véritables menaces pour ces communautés.
Une analyse des normes relatives à l’eau potable aux États-Unis sur une période de trente ans a permis de révéler que certains États étaient également plus susceptibles que d’autres d’avoir accès à une eau de mauvaise qualité, les plus concernés étant les États qui abritent des centres d’activités agricoles.
En outre, certaines populations racisées sont plus souvent exposées à une eau de mauvaise qualité. Selon une étude portant sur la Californie et le Texas, les populations latinos et noires sont systématiquement confrontées à un risque plus élevé de cancer du fait de la qualité de l’eau à laquelle elles ont accès.
QUELLES SOLUTIONS POUR PURIFIER SON EAU ?
L’EPA exige de la part des fournisseurs d’eau la publication de rapports annuels identifiant tout risque potentiel pour la santé lié à l’approvisionnement en eau.
Lorsque de nouveaux risques apparaissent, obtenir une eau propre peut coûter très cher aux populations locales.
En cas d’urgence, comme lors d’un avis d’ébullition, l’eau en bouteille peut constituer une bonne solution à court terme.
L’eau en bouteille achetée et vendue aux États-Unis est en effet réglementée par la Food and Drug Administration (FDA) américaine sur la base des mêmes normes que l’eau du robinet par l’EPA. Des études menées sur l’eau en bouteille ont néanmoins prouvé que cette dernière n’est ni plus propre, ni plus sûre qu’une eau du robinet bien réglementée. Pourtant, elle est vendue bien plus cher que cette dernière et engendre un nombre important de déchets plastiques, qui représentent eux-mêmes une menace croissante pour la qualité de l’eau potable.
L’utilisation de filtres peut constituer une autre solution intéressante : des filtres peu coûteux à mettre dans le réfrigérateur aux systèmes de filtration à plusieurs milliers d’euros raccordés à la plomberie du domicile, de nombreuses options existent.
COMMENT GARANTIR UNE EAU DE QUALITÉ POUR TOUS ?
Les États-Unis comptent environ 3 000 fournisseurs d’électricité, contre plus de 50 000 fournisseurs d’eau. Si certains desservent jusqu’à 8 millions de personnes, environ la moitié d’entre eux en desservent moins de 500. Ces plus petits fournisseurs ont moins de chances d’avoir accès à des opérateurs à temps plein ou d’avoir suffisamment de clients pour financer l’entretien de ses infrastructures.
Néanmoins, selon les experts, avec des politiques et des financements adaptés, il est tout à fait possible de garantir un accès à de l’eau du robinet de qualité à toute la population.
« Nous avons le savoir-faire technique nécessaire pour fournir une eau potable qui ne représente aucun danger », affirme Allaire. « Le problème est plutôt d’ordre politique : comment faire en sorte que cela devienne une réalité ? »
Regrouper ces petits fournisseurs, créer des contrats permettant à des communautés d’acheter leur eau à des fournisseurs plus importants, et financer une formation adaptée pour avoir des gestionnaires d’infrastructures plus compétents sont autant de solutions qui pourraient permettre d’offrir de l’eau de bonne qualité à davantage de communautés à travers les États-Unis.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.