La disparition des étoiles de mer en Amérique du Nord menace tout l'écosystème marin

Après une disparition soudaine des étoiles de mer, le nombre d’oursins a explosé. Ils déséquilibrent l’écosystème, ravageant les forêts de varech. Les scientifiques se pressent désormais pour élever une nouvelle génération de leur prédateur.

De Chris Iovenko
Photographies de Ralph Pace
1- sea star on kelp

Pisaster ochraceus, une espèce d’étoile de mer, tente de se fondre dans une forêt de varech au large de Point Loma, en Californie. L’ensemble des vingt espèces de la région ont souffert de l’extinction massive qui a commencé en 2013.

PHOTOGRAPHIE DE Ralph Pace

FRIDAY HARBOR, WASHINGTON – Sur un ponton surplombant les eaux calmes et cristallines de la mer des Salish à Washington, Jason Hodin tire une corde. En remonte une cage perforée de la taille d’une brique de lait qui reposait à quelques mètres de profondeur.

En jetant un coup d’œil à l’intérieur, le biologiste marin confirme la présence d’une évolution prometteuse. Après trois mois submergés dans l’eau salée, ses petits soleils de mer (Pycnopodia helianthoides) sont toujours en vie.

« Étonnement, ils se portent plutôt bien », déclare M. Hodin, chercheur scientifique aux Friday Harbor Laboratories de l’université de Washington. Cette station de recherche est située le long d’une falaise bordée de pins sur les îles San Juan. « C’est la première étape qui nous permettra de savoir si les étoiles de mer nées au laboratoire pourront survivre dans la nature. »

sea star babies

Ces larves de soleils de mer ont été cultivées aux Friday Harbor Laboratories. Elles font partie des premières à avoir été élevées en captivité.

PHOTOGRAPHIE DE Ralph Pace

Les soleils de mer, la deuxième plus grande espèce d’étoile de mer, peuvent mesurer près d’un mètre et peser jusqu’à 5,8 kg. Les adultes affichent de nombreuses couleurs, possèdent jusqu’à vingt-quatre bras et plus de quinze-mille podia, ou pieds ambulacraires, qui leur permettent de filer sur le sol marin. Prédatrices agiles et douées, les étoiles de mer avalent leurs proies et recrachent les coquilles ou les autres parties indigestes. Il s’agit principalement d’oursins ou de bivalves (Bivalvia), comme les moules.

Seulement, les soleils de mer sont victimes d’une extinction de masse qui a commencé en 2013. Elle affecte les vingt espèces connues d’étoiles de mer endémique de la côte Ouest de l’Amérique du Nord. Soudainement, les étoiles de mer de l’Alaska au Mexique ont manifesté des lésions, ont développé de la matière visqueuse et sont mortes en quelques jours.

Les soleils de mer ont été particulièrement touchés. Une étude a démontré jusqu’à 100 % de déclin sur son aire de répartition s’étendant sur plus de 3 200 km. Le coupable : le syndrome du dépérissement de l’étoile de mer. Cette affection est encore mal connue. Par exemple, les scientifiques ne savent pas si elle se transmet à cause des eaux en réchauffement ou s’il s’agit d’un syndrome engendré par le stress, lui-même provoqué par ces températures plus hautes.

Pour contrer ce désastre, M. Hodin, directeur scientifique, et son équipe des Friday Harbor Laboratories ont commencé un élevage en captivité de ces soleils de mer en danger critique d’extinction. La viabilité du projet repose sur la bonne santé de ces étoiles de mer. En effet, de nombreuses autres populations d’étoiles de mer captives avaient déjà succombé au syndrome du dépérissement.

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    sea star friday harbor

    Naomi Scott, du projet Salish Sea Sciences, filme un soleil de mer adulte en train de se nourrir. Les comportements alimentaires des adultes dans la nature sont peu étudiés. Les chercheurs profitent donc de la captivité pour les documenter.

    PHOTOGRAPHIE DE Ralph Pace

    En 2020, malgré toutes les difficultés qu’a apportées la pandémie, leur projet a été fructueux. Les étoiles de mer élevées en captivité ont gardé une bonne santé. En étudiant leurs habitudes de reproduction et leur cycle de vie, M. Hodin et ses collègues ont pu faire de nombreux progrès. Par exemple, ils ont réussi à mieux comprendre certaines des étapes les plus importantes de leur développement.

    « Nous savons que les soleils de mer grandissent très rapidement », indique M. Hodin. « Nous pouvons comparer les sauvages à ceux élevés en captivité et ainsi déterminer leur âge. Nous n’avions jamais pu le faire auparavant. »

    kelp forest coast

    Vue aérienne d’une forêt de Macrocystis pyrifera, une algue géante, au large de Point Sur, en Californie. Cette espèce peut mesurer jusqu’à 45 mètres de hauteur.

    PHOTOGRAPHIE DE Ralph Pace

    Les étoiles de mer sont des superprédateurs et représentent des espèces clés de voûte. Leur effondrement généralisé a eu des conséquences désastreuses sur les écosystèmes marins de la côte Ouest. À titre d’exemple, l’extinction locale des soleils de mer, qui peuvent vivre jusqu’à 65 ans, a engendré une explosion du nombre de leur principale proie : l’oursin pourpre (Strongylocentrotus purpuratus). Dans un même récif en Oregon, la population de ces animaux a été multipliée par 10 000 entre 2014 et 2019, culminant à plus de 350 millions d’individus.

    En Californie du Nord, les oursins pourpres ont dévoré plus de 320 km de forêt de néréocyste (Nereocystis luetkeana), laissant les sols tapissés uniquement de ces invertébrés épineux. Le néréocyste, l’espèce d’algue la plus commune de la Californie du Nord jusqu’à l’Alaska, est un cousin du Macrocystis pyrifera, cette immense algue aux allures d’arbre qui prolifère plus au sud.

    Jusqu’à 95 % des forêts de néréocyste en Californie du Nord ont disparu. Englouties par les oursins, elles ont également subi du stress provoqué par le réchauffement des eaux, lui-même engendré par le changement climatique. Les espèces dépendantes de ce type de forêts, comme les oursins rouges géants (Strongylocentrotus franciscanus) ou les ormeaux rouges (Haliotis rufescens), ont proliféré. C’est l’une des conséquences de la cascade trophique causée par l’extinction des étoiles de mer.

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    Les oursins pourpres tapissent le sol au large de Monterey, en Californie.

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    « C’est comme si une maladie frappait tous les mammifères de la côte Ouest », explique M. Hodin. « Ce serait la plus grande nouvelle scientifique de tous les temps. Pourtant, c’est ce qu’il se passe avec les étoiles de mer, et les gens l’acceptent en quelque sorte. Mais pour un biologiste spécialiste de ces animaux, ce n’est pas anodin. C’est sans précédent. »

    C’est la raison pour laquelle M. Hodin passe énormément de temps dans son laboratoire lumineux, entouré de réservoirs d’eau salée remplis de soleils de mer juvéniles rose pâle et de la taille de la paume de la main. On y retrouve aussi leurs précurseurs, des larves de la taille d’une tête d’épingle. Sous un microscope, ces larves molles ressemblent davantage à de petites arabesques transparentes qu’à des étoiles de mer.

    Bien que le syndrome du dépérissement ait décimé les populations de soleils de mer des îles San Juan, les chercheurs ont tout de même pu récupérer trente individus adultes. Ils ont été désignés parents des larves pour le programme d’élevage en captivité. Il s’est accéléré en 2019, grâce à une subvention de l’organisation de protection de l’environnement The Nature Conservancy.

    Depuis, M. Hodin et son équipe ont fait de sérieux progrès dans l’élevage de ces mystérieux animaux. Ils ont pu en apprendre davantage sur les habitudes alimentaires et de reproduction des soleils de mer. Notamment, les jeunes et petites étoiles de mer peuvent être mangées par les plus grandes. Ils ont donc dû séparer les individus en fonction de leur taille. Les grandes étoiles de mer adultes n’ont pas pour habitude d’être agressives les unes envers les autres. Elles peuvent donc être élevées dans le même aquarium.

    Enfin, ils espèrent pouvoir donner naissance à une réserve de soleils de mer adultes et en bonne santé afin de repeupler les régions au large des côtes et de restaurer les écosystèmes marins gravement endommagés.

    C’est une mission urgente. Les forêts de varech peuvent s’avérer 20 fois plus efficaces pour séquestrer le dioxyde de carbone que les forêts en surface. Elles sont essentielles dans la lutte contre les conséquences du changement climatique qui s’aggravent rapidement.

     

    LE RÉTABLISSEMENT DES ÉTOILES DE MER ET DES FORÊTS DE VARECH : UN VÉRITABLE DÉFI

    L’étude des larves d’étoiles de mer est l’un des principaux aspects de la recherche menée par les Friday Harbor Laboratories. Après que les mâles et les femelles ont relâché leurs gamètes, les œufs, fécondés au hasard, se développent en de petites larves. Elles se dispersent grâce au courant océanique, dérivant ainsi entre deux et dix semaines. Par la suite, elles s’accrochent au sol marin et grandissent pour former de jeunes étoiles de mer.

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    Tristin McHugh, directrice des programmes liés au varech pour The Nature Conservancy, examine la santé des oursins remontés par des pêcheurs à Fort Bragg, en Californie. De telles données permettent d’élaborer de futurs plans de restauration des forêts de varech.

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    La compréhension de ce procédé complexe pourrait largement profiter au projet de repopulation. Disperser des larves dans des zones ciblées pourrait former une approche bien plus pratique et économique que de réintroduire des étoiles de mer adultes.

    Malgré tout, remplacer les millions de soleils de mer morts suite au syndrome du dépérissement et restaurer l’équilibre des écosystèmes marins affaiblis représente un énorme défi.

    La Californie a mis en place un programme sur cinq ans pour restaurer les forêts de varech. Des organisations à but non lucratif comme The Nature Conservancy et la Reef Check Foundation se concentrent sur la conservation et la protection des quelques étendues de forêts de néréocyste restantes. Elles souhaitent s’en servir comme des réserves sur lesquelles de nouvelles forêts pourraient se développer. Ces parcelles ont tendance à se situer près du littoral, où les vagues tiennent les oursins pourpres à distance. (À lire : La disparition progressive des forêts de varech menace l’écosystème californien.)

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    Des employés de Pacific Rim, Inc, s’attellent à la séparation des oursins rouges et pourpres collectés au large de Mendocino. Les sushis d’oursin, appelés uni, sont préparés avec la partie comestible des animaux.

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    Certains pêcheurs d’ormeaux ont perdu leur emploi suite à l’effondrement des populations de ces mollusques. Jan Freiwald, directeur général de Reef Check, les emploie afin d’éliminer les oursins qui bordent les forêts de varech encore en vie dans le comté de Mendocino en Californie du Nord. En 2020, les pêcheurs ont débarrassé plus de 11,3 tonnes d’oursins du site de la fondation, dépassant les 4 hectares.

    « Sur ce terrain, le varech est revenu plus fort cette année et les oursins n’ont pas envahi de nouveau la région », souligne M. Freiwald. « Il est encore tôt mais pour le moment c’est très prometteur. »

    The Nature Conservancy s’est également associée avec des entreprises privées comme Urchinomics, une entreprise norvégienne spécialisée dans la collecte des oursins envahissants. Elle les revend ensuite aux restaurants en quête d’un mets gastronomique de haute qualité. Les scientifiques cherchent à déterminer d’autres utilisations pour réutiliser ces oursins, par exemple en tant qu’engrais ou nourriture pour volailles.

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    Une raie étoilée (Raja asterias) est camouflée au milieu des oursins près de Fort Bragg. Puisque les oursins ont envahi les récifs, il est de plus en plus difficile pour les raies de trouver un endroit pour se reposer ou de trouver de la nourriture.

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    LES ÉTOILES DE MER, OU DE VÉRITABLES SURVIVANTES

    C’est sûrement le changement climatique qui représentera le plus grand défi du rétablissement de l’écosystème du Pacifique. Il engendre de plus en plus vagues de chaleur océaniques dans cet océan. Par exemple, un réchauffement inhabituel a été observé en 2013 sur la côte Ouest. Surnommé le Blob, il a eu lieu en même temps que la soudaine extinction des étoiles de mer.

    À l’origine, les scientifiques pensaient que le Blob avait activé et suralimenté un virus déjà existant, qui aurait par la suite libéré un agent pathogène dangereux pour les étoiles de mer, appelé densovirus. Cette théorie faisait sens. Même les étoiles de mer en captivité détenues dans les aquariums publics utilisant de l’eau de mer directement pompée dans l’océan mourraient. Ce phénomène venait constituer une nouvelle preuve d’une potentielle contamination dans l’eau elle-même.

    Ian Hewson, microbiologiste à l’université Cornell, est l’un des fondateurs de la théorie de l’agent pathogène. Néanmoins, il a changé d’avis. Lui et d’autres scientifiques pensent désormais que les épisodes d’eau anormalement chaude, comme le Blob, ont réduit le taux d’oxygène contenu dans l’eau de mer en plus de renforcer sa teneur en éléments nutritifs.

    La multiplication des nutriments signifie que davantage de bactéries ont pu élir domicile sur la peau des étoiles de mer. Ces deux facteurs se sont combinés et ont rendu les étoiles de mer malades, les asphyxiant alors qu’elles respirent grâce à des branchies sur leur peau, explique M. Hewson par e-mail.

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    Des oursins recouvrent un piège à Fort Bragg. The Nature Conservancy tente de piéger les oursins pour contrôler ces espèces envahissantes.

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    Tous les spécialistes n’appuient pas cette théorie. Certains pensent encore qu’il s’agit d’un agent pathogène non identifié ou d’une combinaison de facteurs.

    Bien que M. Hodin ne soit pas totalement convaincu par l’hypothèse susmentionnée, il reconnaît qu’elle fait sens. Selon lui, l’une des caractéristiques satisfaisantes, c’est « le fait qu’elle propose un élément propre à la physiologie des étoiles de mer. ... Ça expliquerait pourquoi [l’incident] a affecté toutes les étoiles de mer et quasiment rien d’autre. C’est l’un des paramètres que nous devons expliquer. »

    Dans l’ensemble, M. Hewson reste optimiste quant à la prochaine prolifération des soleils de mer. « Je doute fortement que les étoiles de mer disparaissent complètement un jour. La nature leur a imposé des conditions extrêmes depuis leur apparition il y a plusieurs millions d’années. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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