Le plus grand iceberg du monde fait route vers la Géorgie du sud

Avec ses mille milliards de tonnes, cet iceberg aussi grand que le Luxembourg se dirige vers la Géorgie du Sud où il pourrait avoir des conséquences dramatiques pour la faune.

De Melissa Hobson
Publication 5 févr. 2025, 14:44 CET
Un drone immortalise la lente progression d'A23a sur l'océan Austral. Après s'être détaché de l'Antarctique en ...

Un drone immortalise la lente progression d'A23a sur l'océan Austral. Après s'être détaché de l'Antarctique en 1986, cet iceberg titanesque n'a entamé que tout récemment sa dérive vers la Géorgie du Sud.

PHOTOGRAPHIE DE Photographer Andrew Miller, Capture North Studios

Un immense iceberg baptisé A23a se dirige vers la Géorgie du Sud, une île perdue au beau milieu de l'océan Atlantique Sud où phoques et manchots vivent coupés du monde.

 Immobile dans l'océan depuis près de quarante ans, ce « mégaberg » et ses mille milliards de tonnes ont récemment décidé de lever l'ancre. Même si sa vitesse de croisière ne dépasse pas les 2 km/h, certains experts s'inquiètent de son impact potentiel sur l'île et la faune qu'elle accueille.

Comment l'iceberg s'est-il détaché ? Quel impact pourrait-il avoir sur les populations de phoques et de manchots ? Existe-t-il un lien avec le changement climatique ? Découvrez ci-dessous les réponses à toutes vos questions.

Observé par satellite le 28 novembre 2023, A23a était alors bloqué par le plancher océanique depuis des décennies. ...

Observé par satellite le 28 novembre 2023, A23a était alors bloqué par le plancher océanique depuis des décennies. L'énorme iceberg s'était échoué dans une zone de faible profondeur.

PHOTOGRAPHIE DE Wanmei Liang, Using MODIS data from NASA

 

D'OÙ VIENT A23A ?

C'est en 1986 que la plateforme de glace de Filchner-Ronne donne naissance à A23a, baptisé comme ses compères selon le quadrant de l'Antarctique dans lequel il est aperçu pour la première fois. Le vêlage d'icebergs est le processus naturel de séparation du front glaciaire, qui se produit régulièrement.

Dès ses premières brasses, A23a ne passe pas inaperçu : « plusieurs dizaines de kilomètres de longueur et quelques centaines de mètres de hauteur », indique Martin Siegert, scientifique spécialiste des régions polaires à l'université d'Exeter, au Royaume-Uni. « Le vêlage d'un iceberg n'a rien d'extraordinaire, mais celui-ci est particulier parce qu'il est vraiment, vraiment grand. »

Avec une superficie de 3 900 km², A23a pourrait actuellement remplir un pays comme le Luxembourg, en débordant un peu. En raison de ses dimensions généreuses, le colosse « s'est presque immédiatement échoué » sur le plancher du plateau continental, trop peu profond pour laisser passer sa quille, ajoute le scientifique.

« Il est resté à cet endroit jusqu'en 2020 », précise Andrew Meijers, directeur scientifique du programme des océans polaires au sein du British Antarctic Survey. Pendant cette longue attente, l'iceberg a fondu, malmené par les vents et les courants océaniques qui emportaient avec eux d'énormes blocs de glace, jusqu'à se libérer pour enfin atteindre l'océan profond.

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    PHOTOGRAPHIE DE Timothy Laman, Nat Geo Image Collection

    En avril 2024, son voyage s'est heurté à un nouvel obstacle : une colonne de Taylor, « un courant circulaire qui se forme à la verticale d'un mont sous-marin et empêche les objets d'avancer », selon la définition du British Antarctic Survey.

    Après s'être à nouveau libéré en décembre dernier, A23a navigue actuellement sur le courant circumpolaire antarctique. « C'est le courant le plus puissant de la planète », indique Meijers.

    « Il va se diriger plus ou moins directement vers la Géorgie du Sud », poursuit-il. L'île abrite des otaries à fourrure, des albatros, des manchots papous et bien plus, c'est un véritable refuge pour la faune de la région. 

    Sur sa trajectoire actuelle, A23a va bientôt atteindre un virage serré dans le courant. « L'iceberg pèse mille milliards de tonnes, il n'est donc pas taillé pour ce genre de manœuvre », ajoute le scientifique. S'il dépasse ce virage, il pourrait à nouveau s'échouer, puis repartir après s'être brisé ou avoir suffisamment fondu. « Difficile de prévoir ce qu'il fera », reconnaît-il.

     

    UN DANGER POUR LA GÉORGIE DU SUD ?

    Si l'iceberg s'immobilise sur le plateau continental aux abords de la Géorgie du Sud, il pourrait entraver la circulation des manchots et des phoques entre la zone où ils se reproduisent et celle où ils chassent. Comme nous l'explique Meijers, cet obstacle « forcerait les adultes à nager plus longtemps, à consommer plus d'énergie et donc à rapporter moins de nourriture », ce qui se traduirait par une augmentation de la mortalité et potentiellement une aggravation des conséquences de la grippe aviaire pour les manchots, mais aussi pour les phoques.

    La saison a également son importance. « En octobre, les manchots choisissent l'endroit où ils vont installer leur nid », indique Maria Vernet, biologiste marin pour l'Institut océanographique Scripps de l'université d'État de Californie à San Diego. Un iceberg aussi raide et imposant, « qui ressemble plutôt à un immeuble », est plus dangereux lorsque les œufs et les bébés sont dans leur nid et dépendent entièrement de leurs parents.

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    Un éléphant de mer se prélasse sur une touffe d'herbe, entouré par des manchots papous. La Géorgie du Sud est un havre de paix pour les mammifères et les oiseaux marins.

    PHOTOGRAPHIE DE Keenpress, Nat Geo Image Collection

    «En février par contre, tous ces nouveau-nés auront quitté leur nid » et devraient être en mesure de trouver leur propre nourriture, ajoute-t-elle. 

    Il existe cependant d'autres impacts potentiels. 

    En 2000, l'iceberg B15 s'est séparé de la barrière de Ross et s'est comporté « comme un bouclier », raconte Vernet, en réduisant la quantité de lumière reçue par l'océan et en limitant donc la croissance du phytoplanctonun organisme fondateur du réseau trophique marin.

     D'un autre côté, lorsqu'ils fondent, les icebergs libèrent le fer qu'ils ont accumulé en raclant le plancher océanique ; ils remuent également les profondeurs, ce qui enrichit les eaux de surface en nutriment. Cette abondance de nutriments favorise la prolifération du plancton, « ce qui attire le krill, autre pilier de la biodiversité dans l'océan Austral », indique Meijers.

    « Les icebergs à la dérive entraînent avec eux tout un écosystème », reprend Vernet. Si l'iceberg emporte le krill à proximité des côtes où vivent les colonies, ce serait un festin pour les manchots.

     

    UN AVENIR IMPRÉVISIBLE 

    « Le courant océanique est une série complexe de tourbillons interconnectés », résume Siegert. « Il y a bien un courant moyen dans une certaine direction, mais c'est très compliqué », ce qui rend presque impossible d'anticiper le parcours de l'iceberg. 

    Plusieurs icebergs ont suivi une trajectoire similaire : en 2004, A38 s'est échoué sur le plateau continental de la Géorgie du Sud avec des conséquences catastrophiques pour la faune ; A68 a fondu et a évité l'île de justesse en 2020-2021 ; puis en 2023, A76 s'est disloqué dans les eaux de l'île.

    Si A23a se brise, il représenterait un danger pour les navires qui s'aventurent sur les eaux agitées de l'océan Austral. « C'est l'océan le plus difficile à naviguer au monde, avec les tempêtes les plus féroces », témoigne Siegert. Il est facile de suivre une plaque de glace grande comme deux fois Londres, c'est une autre affaire pour une série d'icebergs plus petits. Qui plus est, ils peuvent se retourner à tout moment.

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    Un jeune albatros déploie ses ailes dans son nid. Un iceberg de la taille d'A23a pourrait séparer les animaux de leurs terrains de chasse. En pareille situation, les oisillons, incapables de chasser, seraient les premières victimes.

    PHOTOGRAPHIE DE John Eascott and Momaatiuk, YVA, Nat Geo Image Collection

     

    LE CHANGEMENT CLIMATIQUE EN CAUSE ?

    Cet iceberg en lui-même « n'est pas nécessairement le fruit de l'activité humaine ni une conséquence du changement climatique », affirme Siegert. « Le vêlage des icebergs est un phénomène normal et récurrent. »

    En revanche, il permet de mettre en lumière les enjeux climatiques auxquels fait face la région. « L'Antarctique subit des pertes massives dues au réchauffement climatique et à la combustion des énergies fossiles », poursuit-il. Les inlandsis du Groenland et de l'Antarctique perdent leur glace six fois plus rapidement qu'il y a trente ans.

    « Il y a une nette accélération de la perte de glace par le nombre d'icebergs », explique Meijers. « Le vêlage de grands icebergs est important, mais une grande partie de cette perte se produit sous la forme de fragments bien plus petits. »

    Il ne faut pas grand-chose pour bouleverser ces écosystèmes vulnérables et Siegert s'inquiète des conséquences de la perte de glace en Antarctique. « C'est un environnement fragile », déclare-t-il.

    La fonte de l'inlandsis de l'Antarctique entraîne des réactions en chaîne à travers le monde. L'océan Austral contribue à la régulation du climat mondial en absorbant à la fois la chaleur et le dioxyde de carbone, mais la hausse des températures perturbe ce processus. La fonte provoque également l'élévation du niveau de la mer. « On prévoit déjà deux mètres de montée des eaux, indique Meijers, contre lesquels on ne peut plus rien faire. »

    Pour la Géorgie du Sud, une chose est sûre : « L'iceberg aura un impact, assure Vernet. Il est encore trop tôt pour dire s'il sera positif ou négatif pour l'écosystème. »

    Et Stiegert de conclure : « D'un point purement scientifique, c'est un phénomène plutôt intéressant. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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