L'Inde réinvente sa stratégie énergétique - et le climat mondial pourrait en bénéficier
Le pays peut-il répondre aux demandes d'une classe moyenne en augmentation constante, tout en réduisant ses émissions de carbone ? L'avenir de la planète pourrait dépendre de la réponse.
Mumbai illuminée s’étend à perte de vue sur cette image prise depuis l’immeuble d’habitation le plus haut d’Inde, une tour de luxe de 76 étages. Cette ville dynamique reflète les ambitions d’une classe moyenne croissante, sollicitant de plus en plus le réseau électrique du pays.
Par une chaude et humide matinée de ce mois de septembre 2021, dans l’État du Madhya Pradesh, au centre de l’Inde, Chetan Singh Solanki descend du bus dans lequel il a élu domicile depuis dix mois. Il pénètre ensuite dans l’amphithéâtre d’un lycée de la petite commune de Raisen, où 200 étudiants, enseignants et fonctionnaires sont venus l’écouter.
Professeur en énergie solaire à l’Institut indien de technologie (IIT) de Mumbai, Chetan Singh Solanki, la quarantaine, a pris un congé fin 2020 pour un périple de onze ans à travers l’Inde. Objectif : inciter à l’action contre le changement climatique. Son véhicule est, en lui-même, une démonstration de l’utilité de l’énergie renouvelable : les panneaux solaires produisent assez d’électricité pour faire fonctionner l’éclairage, les ventilateurs, les ordinateurs, le réchaud et la télévision installés à bord. Après avoir été chaleureusement accueilli sur scène, Chetan Singh Solanki formule une requête peu commune : « Je vois quinze ventilateurs dans cette salle. Nous sommes à la mi-journée, le soleil brille et il y a beaucoup de lampes allumées, note-t-il. A-t-on vraiment besoin de toute cette lumière et de tous ces ventilateurs ? Éteignons-en quelques-uns et voyons si nous survivons.»
Une fois la moitié des lampes et des ventilateurs éteints, il semble faire plus chaud et plus sombre. Mais, demande Chetan Singh Solanki, est-ce si important ? « Nous pouvons très bien nous voir, il y a donc assez d’éclairage. Quelqu’un se sent-il oppressé parce que des, ventilateurs nont été éteints ? Au point de se dire : “Mon Dieu, comment je vais faire ?” » L’assistance rit.
C’est l’un des deux points qui, espère le professeur, persuaderont les Indiens d’atteindre l’autonomie énergétique. La première idée, c’est d’économiser l’énergie à la fois en réduisant son utilisation et en consommant moins. La seconde consiste à produire localement de l’électricité à npartir de ressources renouvelables pour que chaque ville devienne autosuffisante. Au cours des dix prochaines années, les émissions de gaz à effet de serre de l’Inde devraient croître avec le développement économique et l’augmentation de la population – qui doit atteindre 1,5 milliard de personnes.
Piétons, taxis et motos affluent dans une rue de Mumbai. La ville et son agglomération comptent environ 21 millions d’habitants. L’Inde s’apprête à dépasser la Chine au rang de pays le plus peuplé – un réel problème alors qu’elle tente de réduire ses émissions de gaz à effet de serre.
« L’arrogance des humains leur laisse penser qu’ils peuvent continuer à augmenter leur consommation en toute impunité, avertit-il. Mais les ressources du monde sont limitées. À moins de changer nos habitudes, les générations futures connaîtront de grandes souffrances. »
À l’IIT, Chetan Singh Solanki a fondé un centre de technologie des cellules photovoltaïques. Avec l’ambition de lancer une révolution solaire populaire, il a créé une organisation à but non lucratif, Energy Swaraj Foundation, qui forme des femmes en milieu rural à assembler et à vendre des lampes et des panneaux solaires. Il y a trois ans, il a commencé à penser à la façon dont Mohandas Gandhi aurait réagi à la crise climatique. Ainsi lui est venue l’idée de son périple : il espère déclencher un mouvement de masse, comme Gandhi avec sa marche lors de la lutte pour l’indépendance de l’Inde.
Son appel à vivre simplement peut sembler surprenant dans un pays ayant une consommation par habitant aussi faible. En moyenne, les Indiens utilisent des biens et des services d’une valeur d’environ 950 euros par an. Au rythme actuel de la croissance économique du pays, la classe moyenne devrait doubler d’ici à 2030, pour s’élever à 800 millions de personnes. Ce serait une étape importante pour l’Inde. Mais cela signifierait aussi un tsunami de nouveaux consommateurs et augmenterait considérablement l’empreinte carbone du pays.
Au 15 août de cette année, l’Inde fête soixante-quinze ans d’indépendance. Au cours de cette période, le pays a réalisé des progrès monumentaux : atteindre l’autosuffisance alimentaire, se transformer en une puissance technologique et devenir la sixième économie mondiale.
Transformer la lumière du soleil en électricité est la clé de l’avenir des énergies alternatives de l’Inde. Le parc solaire de Bhadla, au Rajasthan, est l’un des plus grands du monde. D’une superficie de 57 km², il peut alimenter 1 million de foyers.
Aujourd’hui, le pays se mobilise pour faire face au changement climatique avec la création de quarante-cinq parcs solaires et un programme pour faire passer à l’électricité 40 % des autobus, 30 % des voitures particulières et 80 % des véhicules à deux et trois roues d’ici à 2030. Mais aussi avec l’objectif de devenir un leader mondial dans la production d’hydrogène comme alternative aux énergies fossiles.
Pourtant, l’expansion rapide de sa classe moyenne fera augmenter la consommation d’énergie au cours des deux prochaines décennies plus que partout ailleurs. Pour répondre à la demande, l’Inde restera probablement fortement dépendante du charbon pendant encore de nombreuses années, tout en continuant à accroître ses importations de pétrole. L’avenir de la planète dépend, à bien des égards, de la voie que choisira d’emprunter le pays, entre la poursuite de sa croissance économique et la nécessité de ralentir ses émissions.
L’Inde est le quatrième plus gros émetteur de gaz à effet de serre, derrière la Chine, les États-Unis et l’Union européenne. Le Premier ministre Narendra Modi s’est engagé à atteindre le zéro émission nette d’ici à 2070, soit vingt ans après l’échéance que se sont fixée les États-Unis et dix ans après celle de la Chine. L’Inde a également promis de réduire l’intensité de ses émissions – c’est-à-dire le volume d’émissions par unité de produit intérieur brut – avant la fin de la décennie à 45 % de moins qu’en 2005. Cependant, les émissions totales du pays devraient continuer à augmenter jusqu’en 2045 environ.
L’horizon lointain du zéro émission nette, de même que l’obstination à utiliser l’intensité des émissions plutôt que les émissions elles-mêmes pour mesurer les progrès ont déçu certains écologistes. Les autorités indiennes affirment cependant que le pays fait plus que sa part dans les limites d’une nation en développement. Jusqu’à il y a une quinzaine d’années, la position de l’Inde consistait à dire qu’il revenait aux nations industrialisées de résoudre le problème du changement climatique, parce qu’elles avaient rejeté du CO2 dans l’atmosphère bien avant que l’empreinte carbone de l’Inde se montre aussi importante.
Au milieu des années 2000, le problème du climat suscitant une inquiétude grandissante, l’Inde s’est montrée plus disposée à chercher des solutions. « Le sentiment de ne plus pouvoir se contenter de trouver un bouc émissaire grandissait », relate R.R. Rashmi, représentant de l’Inde dans les négociations sur le climat durant de nombreuses années et désormais membre de l’Institut de l’énergie et des ressources (TERI) de New Delhi. « Le problème est mondial ; tout le monde doit partager le fardeau. »
Pour l’Inde, les raisons de s’inquiéter sont nombreuses. L’élévation du niveau de la mer menace les 7 520 km du littoral indien et, de fait, des dizaines de millions de personnes. Ce printemps, une vague de chaleur prolongée a fait grimper les températures au-dessus de 45 °C dans une grande partie du pays, flétrissant les cultures dans les champs. Les sécheresses sont de plus en plus intenses et les cyclones frappent les côtes de plus en plus violemment, inondant les zones urbaines.
Chetan Singh Solanki, professeur en énergie solaire, diffuse son message selon lequel cette ressource peut permettre au pays d’être autonome sur le plan énergétique. Il s’est inspiré de la marche de Gandhi en 1930, demandant l’indépendance du pays.
La vulnérabilité de l’Inde au changement climatique est la principale motivation des décideurs. Mais les craintes concernant la sécurité énergétique de l’Inde – le pays dépensera cette année 95 milliards d’euros en importations de pétrole – sont aussi un facteur déterminant.
« L’Inde commence vraiment bien », note Niklas Höhne, chercheur au NewClimate Institute, en Allemagne, citant par exemple l’expansion des énergies renouvelables et le développement de systèmes de transport ne dépendant pas des combustibles fossiles. Toutefois, note-t-il, les mesures prises ne vont pas toutes dans le bon sens : le pays s’appuie sur 285 centrales à charbon et 48 autres devraient être construites d’ici à la fin de la décennie.
Pour tenter de comprendre la dépendance de l’Inde à l’égard du charbon, je suis allé à Jharia, dans l’État oriental du Jharkhand, riche en charbon. Debout au bord d’une fosse de 10 m de profondeur et de la taille de plusieurs terrains de football, je regarde des ouvriers placer des explosifs dans des trous. On me tend un casque, et un responsable donne l’ordre de faire exploser les charges. Le fracas résonne dans toute la mine. Un nuage de poussière s’élève au-dessus du site.
Pour répondre à ses besoins croissants, l’Inde ouvre davantage de mines comme celle-ci. Si le pays a choisi de continuer à brûler du charbon, plutôt que de passer à des combustibles plus propres, c’est tout simplement parce qu’il dispose d’énormes réserves de charbon – près d’un dixième du total mondial. Pourtant, sa capacité de production d’environ 780 millions de tonnes par an n’est pas suffisante. Le pays importe environ 200 millions de tonnes chaque année.
Après l’explosion, je me dirige vers un hangar où se réunissent les ouvriers et je parle avec Ram Madhab Bhattacharjee, professeur d’exploitation minière à l’Institut indien de technologie à Dhanbad, et membre d’une commission gouvernementale étudiant l’avenir du charbon en Inde. Selon les prévisions de la commission, la demande en charbon du pays devrait atteindre environ 1,4 milliard de tonnes d’ici à 2035. « Nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas augmenter notre production, m’indique-t-il. Une fois que nous aurons atteint 1,4 milliard de tonnes, cela pourra rester stable pendant cinq à dix ans, puis nous pourrons commencer à diminuer. Mais ce sera autour de 2050. » Il me rapporte une conversation qu’il a eue quelques jours plus tôt avec un cadre supérieur de Coal India, le plus grand producteur de charbon au monde, lui disant : « Je n’arrête pas de recevoir des appels, que ce soit du secrétaire d’État au Charbon, du ministre du Charbon ou de centrales électriques... Tout le monde demande du charbon, du charbon et encore du charbon. »
Un tunnel sous Gujarat International Finance Tec-City près d’Ahmedabad, dans l’ouest de l’Inde, abrite des équipements contribuant à en faire une « ville intelligente », respectueuse de l’environnement. Parmi ceux-ci figurent la climatisation centralisée, l’utilisation rationnelle de l’eau et le recyclage des eaux usées.
Éliminer progressivement ce combustible constitue également un défi, car il fait vivre près de 4 millions d’Indiens. Outre les mineurs, des milliers de personnes gagnent leur vie en récupérant des morceaux dans les mines et en transportant des sacs de charbon volé qui seront vendus au marché noir. «Il y a déjà beaucoup de chômage, ici, me fait remarquer Jitender Singh, un mineur. Si la production de charbon s’arrête, ça aggravera les choses dans la région. »
Aucun des ouvriers avec qui j’ai parlé ne sait grand-chose du changement climatique. « Je n’ai pas le temps de regarder les informations à la télévision, me dit ainsi Rajesh Chauhan, un contremaître. Je fais mes heures de travail ici, puis je rentre chez moi et je m’occupe de ma famille. » Parler avec les ouvriers du réchauffement climatique paraît indécent et très éloigné de leurs préoccupations quotidiennes. Certains se demandent comment ils survivront si les mines ferment. D’autres sont plus optimistes.
Le pays doit se préparer à sortir du charbon, affirme Sandeep Pai. Ce chercheur au Centre d’études stratégiques et internationales (CSIS), qui se situe à Washington D.C., participe à la conception de projets avec des décideurs politiques. Un des impératifs est d’optimiser la consommation de charbon en extrayant plus d’énergie par unité. Du fait de leur proximité avec les mines et des accords avec les sociétés de production de charbon indiennes, les anciennes centrales électriques ont un meilleur accès à la matière première que les nouvelles, qui l’utilisent pourtant plus efficacement.
« Si vous fermez quelques-unes de ces vieilles centrales, votre demande globale en charbon diminue », fait valoir Sandeep Pai. Les régions dépendant de son exploitation, comme le Jharkhand, devront créer des sources d’emplois alternatives. « Certains de ces États ont un fort potentiel touristique », note le chercheur. Autre possibilité : récupérer les mines abandonnées à des fins agricoles, par exemple.
L’Inde s’avance déjà vers un avenir dans lequel une grande partie de son énergie proviendra du soleil, du vent et de l’eau. Depuis 2010, date à laquelle le gouvernement indien s’est fixé un modeste objectif de 20 gigawatts (GW) de capacité solaire d’ici à 2022, cette quantité a considérablement augmenté. Notamment grâce à la baisse spectaculaire du coût des cellules photovoltaïques et à une initiative gouvernementale visant à créer de grands parcs où les entreprises de services publics sont incitées à construire des centrales solaires. L’Inde a dépassé l’objectif initial de 20 GW quatre ans avant l’échéance et est en bonne voie pour atteindre un objectif révisé de 100 GW avant la fin de l’année. Sa capacité actuelle d’énergie renouvelable est d’environ 151 GW, provenant du solaire, de l’éolien, de la biomasse et de l’hydroélectricité. Mais, l’année dernière, Narendra Modi a annoncé que le pays produirait 500 GW d’ici à 2030.
Les centrales à charbon de Chennai, dans le sud-est de l’Inde, sont accusées d’avoir pollué l’Ennore Creek et ses communautés de pêcheurs. Le pays s’est engagé à atteindre le zéro émission nette d’ici à 2070, mais prévoit d’utiliser le charbon pendant plusieurs décennies encore.
Pour atteindre cet objectif ambitieux, l’Inde compte sur le développement de projets solaires et éoliens dans des États comme le Rajasthan, dont les deux tiers sont constitués de désert. En été, les températures peuvent dépasser 45 °C. Les conditions sont tellement inhospitalières que d’immenses étendues sont dépourvues d’habitations. Jusqu’à récemment, ce paysage était considéré comme une vaste étendue de terres désolées. Mais certaines ont commencé à subir une transformation remarquable. À Bhadla, une zone de 57 km² a été transformée en un océan de bleu par des rangées et des rangées de panneaux solaires. « C’est une couleur que les gens n’ont pas l’habitude de voir dans le désert », déclare Subodh Agarwal, qui était à la tête d’un district de la région dans les années 1990 et qui a dirigé la Rajasthan Renewable Energy Corporation, un organisme gouvernemental réservant des terres et cherchant des investisseurs pour des projets solaires et éoliens.
Le parc solaire de Bhadla est l’un des plus grands du monde, doté d’une capacité de production d’environ 2,25 GW d’électricité – suffisamment pour alimenter 1 million de foyers. Plusieurs autres ont été commandés au Rajasthan ou sont en cours de développement. J’en ai visité un près de Jaisalmer, une ville proche de la frontière avec le Pakistan, surtout connue pour sa magnifique cité médiévale.
En entrant dans le parc, nous passons devant des milliers de caisses empilées contenant des panneaux solaires attendant d’être déballés et montés. Des panneaux sont déjà installés sur plusieurs hectares. Tous les deux ou trois jours, les panneaux doivent être arrosés pour éliminer l’épaisse couche de poussière qui s’accumule à la surface. En marchant entre les rangées, j’entends le ronronnement d’un moteur faisant pivoter les panneaux de façon à ce qu’ils s’ajustent à l’angle des rayons du soleil tout au long de la journée. À l’intérieur d’un bâtiment voisin, une demi-douzaine d’ingénieurs, assis devant des écrans d’ordinateur, repèrent les modules nécessitant un dépannage. « En ce moment même, nous produisons 167 mégawatts (MW) d’électricité, me dit un ingénieur en indiquant un graphique sur son écran. On atteindra le pic entre midi et une heure, puis on ralentira jusqu’au coucher du soleil. »
Un des obstacles auxquels se heurte l’Inde est le manque de fabrication de cellules photovoltaïques sur le territoire national. Celles du site que j’ai visité ont été produites en Inde, mais la plupart des installations solaires dépendent des importations de Chine. Un peu plus tôt cette année, le gouvernement indien a annoncé un programme de 2,5 milliards d’euros pour accélérer la fabrication d’équipements solaires.
Des habitants des tours de Palava se promènent, le soir, sur des pelouses soigneusement entretenues. Avec l’accroissement de la classe moyenne, les lotissements hauts de gamme se multiplient. Palava offre un style de vie plus abordable que Mumbai.
L’Inde compte sur des projets à grande échelle, mais il y a aussi l’espoir, incarné par Chetan Singh Solanki, que les Indiens se joindront à la révolution solaire. Ainsi, les agriculteurs peuvent profiter d’un nouveau programme gouvernemental leur permettant de louer leurs terres pour accueillir des centrales et des pompes solaires. Dans les États à fort ensoleillement, propriétaires et hommes d’affaires installent des modules solaires sur leurs toits. Et les femmes des régions rurales du Rajasthan et du Maharashtra créent des entreprises produisant des équipements solaires avec l’aide de l’Energy Swaraj Foundation, créée par Solanki.
Un peu plus tôt cette année, le ministre des Transports indien, Nitin Gadkari, est arrivé au Parlement, à New Delhi, dans une voiture à hydrogène. Il a alors déclaré aux journalistes que le gouvernement entendait faire du pays un producteur leader d’hydrogène vert.
La majeur partie de l’hydrogène produit aujourd’hui est issu de combustibles fossiles. L’hydrogène vert est fabriqué par électrolyse de l’eau en utilisant de l’énergie renouvelable. Comme carburant pour les transports, il réduirait les émissions puisque la combustion de l’hydrogène ne produit aucun gaz à effet de serre. Cela réduirait aussi l’empreinte carbone de secteurs ayant besoin d’hydrogène pour leur production, comme celle d’engrais et d’acier. Et, contrairement à l’éolien et au solaire, qui sont intermittents, l’hydrogène vert peut être stocké pour une utilisation future.
Avec la diminution des coûts des énergies renouvelables et des électrolyseurs, le prix de l’hydrogène vert devrait lui aussi baisser. L’Inde souhaite réduire ses coûts de 75 % d’ici à 2030, déclare Shri Amitabh Kant, directeur général de NITI Aayog, le principal organisme de planification du pays. « L’Inde a été une championne des énergies renouvelables. Le défi est maintenant de devenir une championne de la molécule propre, c’est-à-dire de l’hydrogène vert », dit-il. Grâce à la baisse du prix obtenue par une augmentation de la production, il pourrait en effet devenir une alternative viable au pétrole.
Près d’un quart des émissions de l’Inde proviennent des industries, qui sont soumises à une pression croissante de la réglementation pour passer à des carburants plus propres et être plus économes en énergie. Dans le pays, l’industrie du ciment – qui, avec 8 % des émissions de CO2, vient juste après l’industrie sidérurgique – est devenue plus écologique. Ainsi, 1 t de ciment produite en Inde affiche une empreinte carbone inférieure à la moyenne mondiale. Cela résulte de la récupération de davantage de chaleur résiduelle des gaz de combustion, du mélange de ciment avec des cendres volantes provenant de centrales électriques au charbon et de l’utilisation d’alternatives vertes comme combustible.
Des ouvriers en pause déjeuner à l’Integral Coach Factory de Chennai, qui fabrique des wagons. Parmi les plus grandes usines de ce type du monde, elle est aussi négative en carbone, consommant moins d’électricité que la société n’en produit à partir d’éoliennes et de centrales solaires.
Dans une cimenterie appartenant au Dalmia Bharat Group, à Ariyalur, dans l’État du Tamil Nadu, les ingénieurs utilisent comme combustible pour le four des ordures municipales non biodégradables, ainsi que des déchets industriels. Normalement, la combustion de ces rebuts génère une fumée toxique, mais ils peuvent être incinérés à des températures très élevées sans polluer l’atmosphère. « L’énergie ainsi fournie diminue celle nécessaire au maintien de la température du four », explique T. R. Robert, le responsable de l’usine. Cette utilisation des déchets a permis au site de faire baisser sa consommation de charbon de 15 %.
De la même façon, d’autres secteurs, y compris celui de la sidérurgie, accélèrent leurs efforts pour améliorer leur efficacité énergétique. Ils y sont incités par un programme qui, à l’image des crédits carbone, permet aux entreprises de vendre les crédits obtenus en dépassant les objectifs d’efficacité à des entreprises qui restent en deçà. Le gouvernement souhaite tout particulièrement améliorer l’efficacité énergétique des logements neufs et des locaux commerciaux, qui sortent de terre à un rythme vertigineux.
« Quel que soit [le nombre de logements] que le pays a construit depuis quarante ou cinquante ans, nous prévoyons d’en bâtir 80 % au cours des dix prochaines années, proclame Abhay Bakre, directeur du Bureau de l’efficacité énergétique. Et la majeure partie sera climatisée. » Cela concernera surtout une centaine de communes que le gouvernement transforme en « villes intelligentes » – en ajoutant des espaces urbains avec des bâtiments économes en énergie, et en proposant de meilleures infrastructures, comme des installations de gestion des déchets et des transports en commun plus modernes.
Le gouvernement a actualisé son code d’économie d’énergie pour les nouveaux immeubles commerciaux. Abhay Bakre a bon espoir que les progrès dans la conception et les matériaux permettront de réduire considérablement leur poids énergétique. « Si vous demandez aujourd’hui à un architecte de concevoir un bâtiment, il ne proposera pas le même design qu’il y a dix ans. Il fera un meilleur usage de la lumière naturelle et utilisera une meilleure isolation, un éclairage, une climatisation, des pompes, des services d’eau plus performants. »
Lors de mes visites en Inde au cours de ces vingt dernières décennies, j’ai bien constaté l’augmentation de la classe moyenne et de son niveau de vie. Les changements sont visibles non seulement dans les centres commerciaux des grandes villes, telles que Delhi et Mumbai, mais aussi dans les agglomérations plus petites, où les rues étroites, autrefois remplies de vélos et de pousse-pousse, sont désormais pleines de voitures et de motos. À Dhanbad, j’ai rencontré P. J. Kumar, vendeur d’automobiles chez un luxueux concessionnaire. Il m’explique que, il y a vingt ans, la plupart des voitures qu’il vendait étaient achetées par des chefs d’entreprise. « Désormais, les employés du gouvernement et les jeunes cadres peuvent facilement s’en offrir. La clientèle de base a beaucoup augmenté », ajoute-t-il. P. J. Kumar a commencé à vendre des voitures il y a trente ans, dans ce qui était alors le seul concessionnaire de Dhanbad. Il y en a maintenant une dizaine.
J’ai fait un bout de chemin avec Chetan Singh Solanki alors qu’il traversait le Madhya Pradesh pour diffuser son slogan d’autonomie énergétique, comme je l’ai raconté au début de cet article. Après l’avoir quitté, il était difficile de ne pas se sentir un peu coupable de séjourner dans des hôtels aux chambres à la température régulée, où l’eau chaude jaillit des douches et où les toilettes se vidangent avec la force d’un mini-cyclone. De telles commodités ne sont pas exceptionnelles pour les voyageurs dans les pays développés, mais c’est seulement maintenant qu’elles commencent à faire partie de la vie de nombreux Indiens. De retour aux États-Unis, j’ai appelé Chetan Singh Solanki pour lui demander si son appel à une vie plus sobre n’était pas un peu trop idéaliste et quelque peu injuste pour ses compatriotes, alors que les pays riches n’étaient pas invités à renoncer à leur confort.
Sous les lampadaires LED, les vendeurs ambulants de Delhi se sont installés un jour où l’air était si pollué qu’il a été classé comme dangereux pour la santé humaine. L’utilisation de lampes LED, peu gourmandes en énergie, n’est qu’un des nombreux moyens grâce auxquels l’Inde cherche à réduire ses émissions de gaz à effet de serre.
Il a éclaté de rire : « Si on entre dans ce genre de discussion pour savoir qui doit réduire sa consommation en premier, on risque d’y être encore le jour de l’apocalypse ! L’Amérique du Nord pourrait rétorquer : d’accord, on consommera moins, mais la population de votre pays est trop importante. Pourquoi ne pas réduire le nombre de vos habitants ? »
Depuis notre rencontre, sa fondation a commencé à offrir un programme en ligne de sensibilisation aux problèmes énergétiques expliquant les coûts environnementaux des combustibles fossiles et proposant des moyens de réduire l’empreinte carbone de chacun. Lors d’un événement récent, un homme ayant suivi le cours a annoncé que cela l’avait incité à annuler son projet d’achat d’un climatiseur, me raconte Chetan Singh Solanki. « Il a dit : “Ma femme était en colère, mais, après avoir suivi elle-même la formation, elle a accepté.” »
Amener ce couple à prendre conscience de l’importance des économies d’énergie peut sembler admirable – et je suis sûr que Chetan Singh Solanki en convaincra d’autres –, mais je ne peux pas m’empêcher de désespérer en songeant combien ce succès semble insignifiant face à la crise climatique. La force morale de son message est indéniable : une consommation sans limites n’est pas tenable, même si nous trouvons de nouvelles sources d’approvisionnements en énergies renouvelables. Mais les compatriotes de Chetan Singh Solanki en Inde, et dans le reste du monde, écouteront-ils ?
Il espère que l’Inde montrera l’exemple. « Je vais diffuser ce message en Inde et voir comment les gens réagissent, me dit-il. Ensuite, je le porterai à d’autres pays. »
Article publié dans le numéro 275 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine