Los Angeles : le changement climatique a bel et bien augmenté le risque d’incendies
Selon un nouveau rapport, des facteurs dus au changement climatique, notamment des précipitations faibles, ont amorcé les conditions de survenue des incendies de Palisades et d’Eaton.
Des scientifiques ont réussi à corréler l’incendie de Palisades (photo) et celui d’Eaton à l’existence de conditions dues au changement climatique.
Alors que les incendies de Palisades et d’Eaton font toujours rage à Los Angeles, ce qui a fait partir ces feux demeure un mystère. Mais une chose est claire : le changement climatique a rendu les conditions qui ont favorisé ces incendies dévastateurs 35 % plus susceptibles de survenir que cela n’aurait été le cas si les incendies s’étaient produits avant que la Terre ne commence à se réchauffer à l’ère industrielle.
Une trentaine de chercheurs du monde entier ont analysé l’effet de la combustion de combustibles fossiles sur cette catastrophe « naturelle » dans le cadre d’une initiative du World Weather Attribution (WWA), une organisation à but non lucratif basée à Londres. Le groupe a publié son analyse rapide sur son site Internet le 28 janvier.
Ensemble, les deux incendies ont brûlé plus de 14 000 hectares et fait plus d’une vingtaine de morts depuis qu’ils ont démarré au début du mois de janvier. Une baisse des précipitations, une végétation desséchée et le chevauchement de ces conditions de sécheresse avec les puissants vents hivernaux de Santa Ana sont autant de facteurs qui ont contribué à leur marche implacable.
« Toutes les pièces étaient en place pour une catastrophe par le feu », a affirmé dans un communiqué Park Williams, hydroclimatologue de l’Université de Californie, à Los Angeles, et co-auteur de l’article du WWA.
Des habitants s’étreignent devant une maison en feu alors que l’incendie d’Eaton balaie Altadena, en Californie, le 8 janvier 2025.
RELIER LES INCENDIES AU CLIMAT
Pour déterminer les effets du changement climatique, les scientifiques ont évalué les conditions météorologiques de la région qui ont précédé la survenue des incendies et les ont comparées aux conditions d’un monde hypothétique n’ayant pas subi de réchauffement climatique. L’analyse a révélé que l’indice météorologique des incendies de Los Angeles, un indicateur qui utilise la température, l’humidité, la vitesse du vent et les précipitations pour estimer le risque d’incendie, était plus élevé que dans un monde qui ne connaîtrait pas le changement climatique. L’analyse a également permis de découvrir des conditions de sécheresse aggravées ces derniers mois ; selon leurs calculs, celles-ci ont 2,4 fois plus de chances d’apparaître qu’avant que l’on ne se mette à brûler régulièrement des combustibles fossiles.
Si la Californie du Sud est souvent exposée à des incendies, « l’impact de ceux-ci et leur survenue au cœur de ce qui devrait être la saison humide distinguent cet événement et en font une anomalie extrême », observe dans un communiqué John Abatzouglou, chercheur en climatologie à l’Université de Californie à Merced, et lui aussi co-auteur de l’article.
D’après les scientifiques de la WWA, si l’on ne freine pas le réchauffement climatique, en 2100, ces conditions propices aux incendies auront 80 % de chances en plus d’apparaître qu’à l’ère préindustrielle quand le climat de la Terre était plus froid de 1,3°C.
LE PASSAGE SOUDAIN D’UNE HUMIDITÉ AMBIANTE À UNE ARIDITÉ TOTALE : UN COUP DE FOUET CLIMATIQUE
Les conditions arides qui ont favorisé l’apparition de ces incendies californiens sont le fruit de la quasi-absence de précipitations lors de la saison pluvieuse, qui débute en octobre et qui voit généralement s’abattre des déluges de décembre à février.
Bien que la WWA n’ait pas pu quantifier l’effet du climat sur les précipitations, les pluies surabondantes qui sont tombées sur Los Angeles lors des deux hivers passés ont sans aucun doute aggravé le risque d’incendies. Selon Daniel Swain, climatologue du département de l’agriculture et des ressources naturelles de l’Université de Californie à Davis qui n’a pas pris part aux recherches de la WWA, la pluie a presque fait doubler la quantité d’herbes et de broussailles par rapport aux niveaux ordinaires. Cela a offert aux incendies une réserve quasi illimitée : une végétation abondante qui a eu le temps de se dessécher.
Les puissants vents saisonniers de Santa Ana ont également aidé les incendies à se propager sur des kilomètres jusque dans des zones densément peuplées. Cette sécheresse favorisée par le climat signifie « que nous sommes en train de prolonger la saison des incendies jusqu’à la période la plus potentiellement dangereuse, car nous n’avons pas de vents de ce type l’été », explique Daniel Swain. Dans une analyse récente de 200 articles sur le climat, lui et ses co-auteurs ont surnommé « coups de fouet hydroclimatiques » ces revirements entre précipitations excessives et sécheresses.
L’incendie de Palisades a laissé derrière lui la désolation à Los Angeles ce mois-ci. Ici, des pompiers dégage un arbre qui est tombé.
Ce type de coup de fouet se produit parce qu’à mesure que la Terre se réchauffe, l’atmosphère peut contenir davantage d’eau, un peu comme une éponge extra large qui retient plus l’humidité qu’une éponge de cuisine classique. Cette « éponge » surchargée libère l’eau en trop, ce qui entraîne des précipitations plus intenses (et dans certains cas, des inondations extrêmes, comme ce fut le cas avec les pluies de l’ouragan Helene tombées dans l’ouest de la Caroline du Nord l’an dernier). Mais lors d’une sécheresse, davantage d’eau s’évapore, ce qui assèche la végétation encore plus que lors des périodes de faibles précipitations des siècles passés.
« La quantité d’eau présente dans les plantes dans le sol n’est pas uniquement fonction des précipitations, mais également de la vitesse à laquelle l’atmosphère souhaite en ré-extraire cette eau », explique Daniel Swain.
Les calculs de l’analyse de Daniel Swain révèlent que dans le monde, la fréquence des coups de fouet climatiques va peu ou prou doubler par rapport aux niveaux préindustriels si la planète venait à atteindre 3°C de réchauffement. « Dans beaucoup de régions du monde, sinon dans la majorité, cette hausse des coups de fouet hydroclimatiques deviendra probablement une des signatures d’un monde qui se réchauffe », ajoute-t-il.
DES DIZAINES D’ÉVÉNEMENTS MÉTÉOROLOGIQUES DÉJÀ ASSOCIÉS AU CHANGEMENT CLIMATIQUE
La science de l’attribution d’événements climatiques extrêmes, un domaine encore bourgeonnant voilà quelques décennies, a grandement gagné en maturité ces dernières années. À ce jour, la WWA a évalué l’impact du changement climatique sur quatre-vingt-dix événements météorologiques extrêmes, y compris d’autres incendies.
En 2019, le groupe a établi que des incendies majeurs survenus dans le sud de la Chine la même année avaient eu sept fois plus de chances de s’être produits à cause du changement climatique, tandis que celui-ci avait augmenté de 30 % les chances de survenue d’incendies qui ont ravagé la Nouvelle-Galles du Sud cette année-là également. De plus, en juin 2024, le gigantesque incendie qui s’est déclaré dans les zones humides tropicales s’étirant entre la Bolivie et le Paraguay et qui a détruit les terres traditionnelles de communautés autochtones ainsi qu’une faune et une flore innombrables, était 40 % plus virulents qu’ils ne l’auraient été sans changement climatique.
Will Adams regarde impuissant les flammes cerner son domicile du quartier de Pacific Palisades, le 7 janvier 2025.
Un pompier pose une lance alors qu’il combat l’incendie de Palisades à Mandeville Canyon.
En plus des incendies, la WWA, aidée par Climate Central, association à but non lucratif de Princeton, dans le New Jersey, et par d’autres organismes, a d’autres événements météorologiques : sécheresses, vagues de chaleur incessantes, inondations, tempêtes, etc.
« Les analyses relatives à l’attribution d’événements extrêmes servent deux buts importants », explique Michael Wehner, scientifique chevronné du Laboratoire national Lawrence à Berkeley, en Californie, à qui l’on doit des calculs concernant des événements météorologiques passés. « Tout d’abord, elles informent le public et les décideurs sur le sujet de l’influence du changement climatique sur des événements météorologiques extrêmes spécifiques et souvent préjudiciables. Ensuite, elles aident les climatologues à mieux comprendre cette influence souvent complexe, ce qui donne lieu à de meilleures projections des changements climatiques futurs. »
En examinant vingt-six événements extrêmes survenus en 2024, la WWA a découvert que le changement climatique avait contribué à la mort de plus de 3 700 personnes dans le monde et contraint des millions à abandonner leur domicile. « Tandis que la planète se réchauffe, l’influence du changement climatique surpasse de plus en plus d’autres phénomènes naturels affectant la météo », écrivent les auteurs.
Malibu et d’autres zones touchées par l’incendie de Palisades seront probablement exposées à un risque permanent d’incendie à l’avenir.
Au cours du mois dernier, les vastes étendues calcinées à cause des incendies de Palisades et d’Eaton ont vu disparaître leurs maisons, leurs communautés historiques et leurs monuments culturels.
« Les communautés ne peuvent pas reconstruire à l’identique, a souligné Park Williams dans un communiqué, car il ne faudra que quelques années pour que ces zones brûlées ne soient à nouveau repeuplées par la végétation et que le risque élevé d’incendie se déplaçant rapidement réinvestisse ces paysages. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.