Procès de Paul Watson : un tournant décisif pour le militantisme environnemental

Tokyo exige l'extradition du militant écologiste Paul Watson, en détention depuis plus de 60 jours au Groenland, pour juger ses actions spectaculaires contre les baleiniers. Si la demande d'extradition aboutissait, il encourrait jusqu'à 15 ans de prison.

De Amandine Venot
Publication 23 sept. 2024, 17:19 CEST

Portrait de Paul Watson, militant écologiste et antispéciste canadien récemment mis en détention en l'attente d'un procès. Son combat contre les baleiniers en a fait l'« ennemi commun » du Japon et du Danemark.

PHOTOGRAPHIE DE Avec l'aimable autorisation de Sea Shepherd France

Avant même de créer l’ONG Sea Shepherd en 1977, Paul Watson était l’un des acteurs pionniers du mouvement « Don’t Make a Wave », initiative à l’origine de Greenpeace. Son histoire dans le militantisme est marquée par des actions « coup de poing », pour le moins controversées. D'aucuns le surnomment « le capitaine Paul Watson », un titre honorifique lié à son rôle de leader des navires de son organisation Sea Shepherd. D’autres le qualifient de « pirate des océans » ou encore d’« écoterroriste », donnant un caractère illégal à ses méthodes peu conventionnelles.

Ces méthodes ont pourtant séduit de nombreux militants, comme Lamya Essemlali, aujourd’hui présidente de Sea Shepherd France. Lorsqu'elle a rencontré Paul Watson, sa vision de ce qu'il fallait faire pour protéger les océans dépassait ce que proposaient les autres ONG. « Avant de connaître Paul Watson, j’étais frustrée », se rappelle-t-elle. « J’étais déjà engagée dans des grosses associations comme Greenpeace ou WWF mais j’y étais par défaut. C’est à la fois le modus operandi de Sea Shepherd et la philosophie de Paul qui ont su me convaincre ».

Le travail de Sea Shepherd élève en effet le militantisme pour la protection des océans à un niveau supérieur. L’organisation préfère laisser le plus gros du travail de diplomatie et de sensibilisation aux autres mouvements pour se concentrer sur des actions « coup de poings », comme le sabordage de baleiniers illégaux. Ces bateaux, coulés à quai par l’organisation, n’ont jamais pu reprendre la mer. Grâce à ces méthodes, Sea Shepherd affirme avoir ainsi sauvé plus de 6 000 baleines.

 

LA CHASSE À LA BALEINE

Pour mener ses actions, l'organisation s’appuie sur le droit international et des accords régionaux, comme le moratoire de 1986 de la Commission Baleinière Internationale qui interdit la chasse à la baleine à des fins commerciales. L’activité est uniquement autorisée à des fins scientifiques ou traditionnelles pour certaines populations autochtones. À ce jour, trois pays continuent de pratiquer la chasse à la baleine illégament. Le Japon, la Norvège et l’Islande contournent sans cesse le moratoire de la Commission pour alimenter leur commerce de viande de baleine. D'autres pays ne chassent qu’à des occasions spéciales pour perpétuer leurs traditions.

Au Japon, la chasse à la baleine a longtemps été à l'origine de la prospérité financière d’une petite élite située à l’extrême droite de l’échiquier politique du pays. En 2019, sous couvert de « recherches scientifiques », ces acteurs économiques ont pris la décision de reprendre les activités de chasse à la baleine. Le Japon a ainsi quitté en 2019 la Commission baleinière internationale pour s'affranchir du moratoire mondial sur la chasse aux baleines.

Mais la demande n'est plus au rendez-vous. La viande de cétacés ne séduit plus la population japonaise qui, même au nom de la tradition, ne la consomme que très rarement. Les Japonais ne consommeraient plus que « 2000 tonnes par an de viande de baleine, contre 200 000 tonnes dans les années 1960 », soit 200 fois moins que dans les années 1960, selon nos confrères de L’Union.

Le Japon s’entête pourtant à rénover les baleiniers et leurs équipements. Le 21 mai dernier, le Kangei Maru, un navire baleinier flambant neuf, d’une valeur de 44 millions d’euros, a pris la mer pour la première fois. Le bateau-usine, capable de contenir 200 mammifères à la fois, était la cible de Paul Watson, qui était décidé à le mettre en difficulté, quitte à se faire arrêter.

Depuis des années, la flotte de Sea Sheperd s’est donné pour mission d'empêcher les baleiniers japonais d’agir. Pour ce faire de manière légale, l’ONG s'appuie sur la convention d'Aarhus votée par l’Assemblée générale des Nations Unies en juin 1998. Cette résolution contribue à « donner des moyens d’actions aux défenseurs des droits de l’Homme en matière d’environnement », comme le rappelle Antonio Guterres, secrétaire générale de l’ONU. Ce texte historique a une valeur juridique contraignante pour les États membres.

En dépit de ces accords internationaux, le Japon n'a jamais renoncé à cette pratique. Et par la même occasion, n'a jamais cessé de poursuivre Paul Watson,  depuis l'émission d'un mandat d’arrêt international en 2012. Le 21 juillet dernier, « le pirate des océans » a finalement été arrêté au Danemark et est maintenant en détention provisoire, dans la prison de Nuuk au Groenland (Danemark). Sa troisième audience aura lieu le 2 octobre prochain.

 

« LE JUGE REFUSE DE SE MOUILLER »

Même si les avocats de la défense ont réuni de nombreuses preuves pour attester de l’innocence du prévenu dans cette affaire, le juge chargé d'instruire le dossier a refusé de les visionner au cours des deux précédentes audiences. « Ce n’est pas de mon devoir de regarder les preuves maintenant », a-t-il déclaré. « C’est au ministère de la justice de décider si Paul Watson devrait être extradé ou non. Quand le ministre aura pris sa décision, nous pourrons ramener l’affaire devant la cour et ce n’est qu’alors que nous regarderons les preuves ».

Pour Maître Jonas Christofferson, qui assure la défense de Paul Watson au Groenland, cette situation est « une violation claire des droits de l’Homme ». Lamya Essemlali abonde : « le juge groenlandais refuse de se mouiller. [...] Il sait que s’il acceptait de regarder les preuves, il n’y aurait plus de dossier. L’issue de ce procès n’est pas dans le fond de l’affaire. Il s’y cache des enjeux diplomatiques ».

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    Les baleines de Minke, comme celle ci-dessus déchargée dans un port japonais, ont été ciblées par le programme de « pêche à la baleine à visée scientifique » du pays. À compter du 1er juilet 2019, le Japon a repris son activité de pêche commerciale à la baleine, après plus de trente ans d'interdiction.

    PHOTOGRAPHIE DE Kyodo News, Getty

    Le Japon veut faire du cas de Paul Watson un exemple. Le pays a soumis une demande d’extradition au Danemark, dans laquelle il exige que le militant soit jugé sous la législation japonaise. Si la demande d'extradition est acceptée, Paul Watson encourra une peine de quinze ans de prison.

    Pour Jonas Christofferson, c’est ce qu’il y a de plus inquiétant. « Je crains que si le ministre danois de la Justice donne le feu vert au Japon, les droits de Paul Watson ne seront pas respectés. Il est très probable qu’il subisse un interrogatoire très intense, voire de la torture, pour qu’il avoue les méfaits dont il est accusé ».

    Le ministre danois de la justice, Peter Hummelgaard Thomsen, s’est exprimé au sein de l’Assemblée nationale sur le dossier. Il assure que pour lui, « ce n’est pas une affaire politique » ; « c’est une affaire légale et je respecterai la décision du juge danois en la matière ».

    Jonas Christofferson ne souhaite cependant pas prendre de risque : « le gouvernement japonais a poursuivi Paul pendant tant d’années que le juge japonais ne traitera par cette affaire comme il le ferait habituellement. Le procès ne sera pas juste ». Il est à noter que Peter Bethune, écologiste néo-zélandais complice de Paul Watson, n’a lui écopé que de deux ans de prison et d’une amende. Paul Watson, parce qu’il est un symbole, risque d’être jugé plus sévèrement.

    “Nous savons que le Danemark mène des négociations avec le Japon, au sujet d’un accord commercial lié à l’industrie éolienne.”

    de Emmanuel Jez
    Avocat français de Paul Watson

    Pour Maître Emmanuel Jez, l’avocat français de Paul Watson, une deuxième difficulté sous-jacente est susceptible d’influencer le juge durant le procès. « Nous savons que le Danemark mène des négociations avec le Japon, au sujet d’un accord commercial lié à l’industrie éolienne », confie-t-il.  Le Danemark a pour projet de créer des îles énergétiques artificielles afin d’y implanter des parcs éoliens offshore. Les Danois auraient trouvé chez les Japonais des partenaires potentiels. Maître Jez affirme que ce procès est empreint de diplomatie, ce qui complique le travail de la défense.

    Les avocats de Paul Watson ont donc lancé vendredi 13 septembre dernier une procédure de saisine du rapporteur spécial des Nations Unies, M. Michel Forst. « Le dossier de Paul est recevable sur la base de la convention d’Aarhus » explique Emmanuel Jez. « Cette dernière prévoit un mécanisme de protection pour les défenseurs de l’environnement. Si le rapporteur spécial constate une condamnation abusive après son enquête, il appliquera la convention d’Aarhus ».

    Lamya Essmlali espère que cette saisine permettra de trouver une issue favorable au procès de Paul Watson. Pour elle, il est nécessaire qu’il soit libéré, pour ce qu’il représente et pour la cause. Mais aussi pour l’humain qu’il est : « Il mérite qu’on se batte pour lui » conclut-elle.

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