Tuer des millions de prédateurs peut-il sauver les oiseaux de Nouvelle-Zélande ?
Pour protéger leurs plus précieux oiseaux, les Néo-Zélandais ont décidé d'éradiquer les principaux prédateurs invasifs de leur archipel. D'une efficacité redoutable, ce programme pourrait révolutionner la façon de concevoir la préservation des espèces.
Des gardes du sanctuaire des lacs du Sud posent des pièges à hermine dans la vallée de la Rees, sur l’île du Sud. Ces animaux constituent une menace mortelle pour les espèces de montagne, comme le takahé du Sud, un oiseau inapte au vol, en voie de disparition.
Retrouvez cet article dans le numéro 304 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine
Le sentier, escarpé, était envahi par la végétation, et glissant à cause de la pluie. J’ai dû m’agripper aux arbres pour ne pas dévaler au bas de la montagne. Nous étions au printemps et, dans cette réserve forestière du nord de la Nouvelle-Zélande, des oisillons étaient prêts à éclore. Je participais à une opération bénévole visant à les protéger d’un prédateur invasif impitoyable, et j’avais préparé mon sac à dos en conséquence – en y glissant des sachets de mort-aux-rats au parfum d’orange.
La cible : des hermines, ces petits mammifères carnivores introduits en Nouvelle-Zélande dans les années 1870, redoutables pour les oiseaux indigènes. Une hermine peut grimper à un arbre haut de 18 m pour déloger un pigeon adulte, et le projeter au sol. Une fois l’oiseau à terre, elle plante en général sa paire de longues canines à l’arrière de la tête de sa victime pour dévorer son cerveau, avant de s’attaquer à ses organes et enfin à sa chair. Les hermines ont été introduites pour lutter contre les lapins, mais elles sont devenues très douées pour tuer les oiseaux incapables de voler, comme notre emblématique kiwi.
Comme elles se méfient des pièges et des poisons, nous avons contourné la difficulté en remplissant des dizaines de distributeurs d’appâts – des boîtes en plastique vissées au pied des arbres – de granulés toxiques prisés des rats. Car ces autres prédateurs invasifs comptent également parmi les proies des hermines. Si vous faites ingurgiter assez de poison à un rat, l’hermine qui le mangera mourra probablement elle aussi et vous ferez ainsi d’une pierre deux coups.
Une telle logique peut sembler cruelle, mais l’enjeu est considérable pour la Nouvelle-Zélande : hermines, rats et autres mammifères nuisibles venus d’ailleurs détruisent la biodiversité unique du pays. Au cours des siècles qui se sont écoulés depuis leur introduction, nombre de nos espèces indigènes ont disparu parce qu’elles n’étaient pas adaptées pour se défendre contre les mammifères chassant au sol. Nous nous trouvons aujourd’hui à un tournant, avec la possibilité d’accélérer les mesures visant à réparer des générations de préjudices écologiques.
Ce phalanger-renard a été pris dans un piège à mâchoires, un dispositif non létal qui doit être vérifié tous les jours. Pour atteindre les objectifs de la campagne Predator Free 2050, le pays déploie des pièges automatiques.
La vie sur la terre qui allait devenir plus tard Aotearoa – le nom maori de l’archipel néo-zélandais – a évolué pendant 80 millions d’années en l’absence totale de mammifères terrestres autres que quelques espèces de chauves-souris. Puis, en un clin d’oeil (à l’échelle de l’évolution), la situation a changé quand les hommes sont arrivés, il y a environ 750 ans, apportant avec eux – quoique parfois par inadvertance – de nouvelles menaces par vagues successives.
Aujourd’hui, les prédateurs invasifs les plus courants ont causé l’extinction de plus de cinquante-cinq espèces d’oiseaux, notamment certains des seuls oiseaux chanteurs inaptes au vol ayant jamais existé, deux espèces d’oies incapables de voler et le huia dimorphe (Heteralocha acutirostris). Ce dernier, qui ne se trouvait qu’en Nouvelle- Zélande, est un oiseau sacré pour les Maoris. Les quatre cinquièmes des oiseaux endémiques restants du pays, dont les kiwis, risquent de connaître le même sort. Sans parler des reptiles indigènes, dont 94 % sont menacés, tout comme deux des trois espèces d’amphibiens du territoire.
Face à cette situation, les autorités néo-zélandaises ont décidé de contre-attaquer. En 2016, John Key, alors Premier ministre, annonçait comme objectif d’éradiquer les principales espèces de prédateurs d’ici à 2050. Sept envahisseurs étaient spécifiquement ciblés : trois espèces de rats, les hermines, les furets, les belettes et les opossums.
Selon le chef du gouvernement, il s’agissait du « projet de conservation le plus ambitieux jamais entrepris dans le monde ». Feu le physicien néo-zélandais Sir Paul Callaghan, qui a été l’un des premiers à envisager que son pays soit un jour débarrassé de ces prédateurs, a comparé la difficulté à atteindre ce but au lancement d’une mission Apollo vers la Lune. Le coût du programme a été estimé à plus de 6 milliards de dollars.
Glaucope cendré (Dernière observation : 2007). Callaeas cinereus a été exterminé par les rats et les hermines, introduits par l’homme en Nouvelle-Zélande. Plus de cinquante-cinq autres espèces d’oiseaux indigènes ont connu le même sort. Photographié au Musée de Nouvelle-Zélande Te Papa Tongarewa.
D’une superficie de 260 000 km2, la Nouvelle-Zélande abrite des prédateurs invasifs non seulement dans les montagnes et les forêts, mais aussi dans les glaciers, les dunes côtières, les zones humides et des centaines de zones urbaines. Toute solution devrait être efficace sur l’ensemble de ces fronts.
Neuf ans après le coup d’envoi de la campagne, cependant, les défenseurs de l’environnement s’accordent à dire que les stratégies d’éradication existantes ne permettront pas d’atteindre le niveau zéro d’ici à 2050 – à supposer qu’on y parvienne un jour. Les zones à traiter sont trop vastes, les ressources disponibles trop modestes et les dommages collatéraux trop difficiles à gérer.
Mais réussir une mission vers la Lune a toujours exigé de repenser à peu près tout. Aujourd’hui, c’est ce que font les écologues, les biologistes, les concepteurs de pièges, les spécialistes des questions éthiques et les ingénieurs – conjuguant leurs forces pour tirer les leçons du passé tout en accélérant le rythme des innovations.