Ces grottes précipitent la fin des glaciers himalayens

D’incroyables grottes de glaces détruisent des glaciers de l’intérieur et menacent les villages alentours de soudaines inondations.

De Douglas Fox
Publication 12 janv. 2024, 14:23 CET
Mahesh Magar, guide d'Himalayan Research Expeditions, sort d'une grotte sur le glacier de Khumbu, à quelques ...

Mahesh Magar, guide d'Himalayan Research Expeditions, sort d'une grotte sur le glacier de Khumbu, à quelques pas du camp de base de l'Everest. À une altitude de plus de 5 000 mètres au-dessus du niveau de la mer, ces grottes font partie des plus hautes grottes à avoir été cartographiées au monde. Des grottes comme celle-ci se forment dans les glaciers himalayens, en haute altitude, car la hausse des températures entraîne une augmentation des eaux de fonte qui cascadent à l'intérieur des glaciers et forgent des tunnels qui détruisent les glaciers de l'intérieur.

PHOTOGRAPHIE DE Jason Gulley

Jason Gulley a passé dix-neuf ans à ramper sous des calottes glaciaires, de l’Alaska au Népal. Ces grottes, que l’eau vive a façonné dans la glace, sont tantôt assez larges pour qu’un camion les traverse, tantôt si étroites qu’il n’y a pas d’autre moyen de s’y insérer qu’en le faisant sur le ventre, en risquant de voir ses vêtements geler et adhèrer à la glace. 

Géologue à l’université de Floride du Sud, Gulley a entamé sa carrière par l’étude des cavernes calcaires. Il s’est tourné vers l’exploration des glaciers par hasard et sa première expérience, dans celui de Lhotse, près du mont Everest, a été particulièrement éprouvante. 

Son collègue et lui sont restés devant l'entrée, à regarder des rochers de la taille de ballons de basket pleuvoir de la falaise de glace instable qui les surplombait. Après avoir repris ses esprits, Gulley s'est élancé à l'intérieur, suivi, quelques instants plus tard, de Douglas Benn, spécialiste des glaciers himalayens chevronné de l'université de St Andrews, en Écosse.

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Doug Benn, glaciologue, s’aventure dans une immense grotte du Glacier du Khumbu en décembre 2006. Cette grotte s’est formée lorsque des mares d'eau de fonte situées au-dessus des glaciers, ont exercé une pression sur les fissures, qui se sont ouvertes, provoquant l'afflux d’eau lacustre dans la glace environnante.

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Alors que la région montagneuse se réchauffe, ces mares d’eau fondue se font de plus en plus nombreuses et accélèrent la disparition des glaciers.

Photographies de Jason Gulley

Au bout de quelques minutes dans la grotte, ils ont accidentellement déclenché un effondrement mineur. Le plafond fragile s'est brisé en une pluie d'éclats de glace. « C'est à ce moment-là que nous avons commencé à prendre conscience de la situation », déclare Gulley. « Nous n'avons aucune idée de ce qui pourrait nous tuer ici. »

Depuis, Gulley, Benn et plusieurs autres scientifiques ont réussi à explorer ces grottes peu connues. Leurs travaux ont mis à nu la vie privée des glaciers et la maladie qui les consume rapidement.

Les glaciers de l'Himalaya rétrécissent de près de deux mètres par an, et ces grottes ont là-dedans un rôle essentiel puisqu’elles creusent la glace de l’intérieur et la font s'effondrer.

« C'est un cancer qui dévore ce qui reste du glacier », dit Gulley.

Avec le réchauffement climatique, les langues de ces glaciers fondent et forment de grands lacs qui menacent de provoquer des inondations soudaines dans les villages des vallées en contrebas.

 

DES GROTTES PEU EXPLORÉES 

Les glaciers de l’Himalaya sont différents de ce que peuvent imaginer la plupart des gens. En se tenant à l’extrémité inférieure du glacier Ngozumpa, dont la source se situe sur Cho Oyu, le sixième plus haut sommet du monde, qui atteint 8 000 mètres, on observe ce qui semble être un enchevêtrement de rochers emplir la vallée. 

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    Le village de Gokyo se situe sous le glacier Ngozumpa, qui disparaît rapidement. Comme près de la moitié des glaciers de la région de l'Everest au Népal, ce glacier est recouvert de débris rocheux rejetés par les montagnes adjacentes

    PHOTOGRAPHIE DE Jason Gulley

    Ngozumpa, comme de nombreux glaciers de l'Himalaya, est alimenté par des avalanches qui descendent du sommet, laissant sur leur passage de la neige, des roches et des blocs sur ses parties supérieures.

    Lorsque le glacier descend dans un air plus chaud, sa surface commence à fondre. Les couches supérieures de glace disparaissent alors, ce qui ramène à la surface les débris jusque là enfouis. Ils s'accumulent alors en une couche pouvant atteindre 1,5 mètre d'épaisseur, qui recouvre le glacier.

    De nombreux glaciers himalayens sont « couverts de débris », comme le Ngozumpa, et les scientifiques ont pu penser que cela les isolerait du réchauffement des températures. Malheureusement, ce n'est pas le cas, explique Teiji Watanabe, géomorphologue à l'université d'Hokkaido, au Japon, qui se rend fréquemment dans la région de l'Everest depuis la fin des années 1980.  

    L'eau fondue forme des mares sur le glacier de Ngozumpa, recouvert de débris, dans la région de l'Everest au Népal. Les lacs de ce type se réchauffent pendant l'été et constituent d'importantes sources d'eau relativement chaude qui peuvent creuser des grottes dans la glace en faisant fondre les couches situées en dessous.

    PHOTOGRAPHIE DE Photography by Jason Gulley

    Les lumières électriques de la capitale sherpa de Namche Bazar éclairent le ciel nocturne. Namche Bazar et d'autres villages sherpas des environs sont alimentés en électricité par une petite centrale hydroélectrique. Les infrastructures de ce type sont vulnérables aux inondations causées par débordement de lacs glaciers.

    PHOTOGRAPHIE DE Jason Gulley

    Au cours des dernières décennies, la surface du Ngozumpa et d'autres glaciers couverts de débris ont été criblés de milliers de dolines d'une profondeur allant jusqu'à 30 mètres, la glace fondant sous les rochers. Ces dépressions sont fréquemment remplies par des mares de fonte, dont la superficie totale a triplé en trente ans, un taux de changement « vraiment, vraiment étonnant », déclare Watanabe.

    La cause de cette évolution rapide est longtemps restée un mystère. Vers l'an 2000, Benn, le glaciologue écossais, a cependant remarqué un indice.

    Les mares de fonte du Ngozumpa et d'autres glaciers recouverts de débris disparaissaient souvent du jour au lendemain. Au fond de ces dépressions vides, Benn a trouvé des ouvertures de grottes, par lesquelles le lac s'était écoulé.

    Personne ne savait à quel point ces grottes étaient profondes, ni où elles se trouvaient, jusqu’en 2004, année de la rencontre de Benn avec Gulley, spéléologue accompli, par l'intermédiaire d'un ami en commun.

    Les photos d’ouvertures de grottes béantes et des glaciers parsemés de trous prises par Benn ont rappelé à Gulley les paysages calcaires des Caraïbes, où des milliers de dolines s'étaient formées à la suite de l'effondrement de grottes sous la surface. En 2005, grâce à l'expertise de Gulley, ils ont pénétré dans leur première grotte glaciaire, dans la région de l'Everest.

     

    UN CERCLE VICIEUX 

    Dans l'obscurité, les faisceaux de leurs lampes frontales éclairaient la vapeur créée par leur souffle. De minces couches de poussière, aussi fines que de la farine, recouvraient les parois, « comme si la grotte était un magasin qui avait fermé ses portes il y a des années », raconte Gulley.

    Gauche: Supérieur:

    Le glaciologue Doug Benn examine le plafond d'une grotte du glacier de Khumbu au Népal. Le plafond de la grotte est entièrement constitué de blocs de glace brisés qui ont été gelés ensemble.

    Droite: Fond:

    Le chercheur spécialiste des glaciers Matt Covington traverse une partie étroite d'une grotte du glacier de Ngozupa lors d'une expédition en 2018. Ramper à des altitudes allant entre 4 500 et 5 500 mètres au-dessus du niveau de la mer est l'un des aspects les plus éprouvants physiquement de l'exploration de grottes. 

    Photographies de Jason Gulley

    Ils se sont empressés de quitter cette première grotte après l'effondrement d'une partie du plafond.

    Leur deuxième exploration de grotte, quelques jours plus tard, ne s'est pas beaucoup mieux passée. Alors qu'ils marchaient dans un passage, leurs crampons craquant sur la glace, Gulley a soudainement traversé le sol.

    Ce n'est que plus tard qu'ils se sont rendu compte que ce sur quoi ils se déplaçaient n’était pas vraiment un sol mais un revêtement de glace, d'une épaisseur de presque deux centimètres, qui s'était formé au-dessus de l'eau stagnante. Cette eau s’était ensuite écoulée par le bas, laissant le vide d'un mètre cinquante dans lequel Gulley est tombé.

    Ils ont progressivement appris à éviter ces dangers. Année après année, en explorant le glacier de Ngozumpa, Gulley s'est étonné des similitudes entre ces grottes de glace sinueuses et les grottes de calcaire, leur véritable différence étant que dans le glacier, les festons, les cannelures, les stalagmites et les stalactites s'étaient sculptés en quelques mois, et non en milliers d'années.

    Jason Gulley explore une grotte du glacier de Ngozumpa, au Népal, en se baissant pour marcher. Même les explorateurs expérimentés ont du mal à descendre dans les grottes couvertes de glace.

    PHOTOGRAPHIE DE Jason Gulley

    Les grottes se sont formées là où des bandes de glace riche en débris constituaient un point faible que l'eau de fonte a exploité. Les passages sont souvent arrondis et un gouffre profond creuse généralement le sol, ce qui indique qu’il est dû à des eaux jaillissantes qui ont fini par se transformer en ruisseaux.

    Les grottes glaciaires présentent également des différences frappantes.

    Gulley et Benn, qui se sont rendus à plusieurs reprises à Ngozumpa, ont constaté que les passages étroits de ce glacier se refermaient souvent d'une année sur l'autre, la glace glaciaire s’étendant vers l'intérieur comme de la pâte à modeler. Ces passages s'ouvraient à nouveau en fondant dès que l'eau d'un lac drainé s'y engouffrait.

    Ces observations ont conduit Benn et Gulley à une théorie, publiée en 2017, sur la manière dont les grottes érodent les glaciers recouverts de débris.

    « À mesure que ces grottes grandissent et s'effondrent, elles créent de nouvelles dépressions, qui donnent naissance à de nouveaux lacs, donc à de nouvelles grottes », explique Gulley.

    Plus ce cercle vicieux se poursuit, plus les dépressions grandissent et s'approfondissent, formant des falaises de glace qui fondent rapidement, réchauffées par la lumière du soleil. Les bassins de fonte chauds creusent sous les falaises de glace, ce qui les fait s’effondrer et expose davantage de glace nue.

    Une dépression peut ainsi « croître de plus en plus vite au fur et à mesure qu'elle s'agrandit », explique Ryan Strickland, doctorant qui étudie les grottes à l'université de l'Arkansas.

    Strickland s’est servi d’un drone pour mesurer 3 000 dépressions sur le glacier de Ngozumpa. Son analyse, publiée en août, suggère que les dépressions se développent effectivement plus rapidement à mesure qu'elles s'agrandissent, ce qui est cohérent avec la théorie de Gulley selon laquelle la fonte des grottes est à l'origine de ce processus.

    « C'est tout à fait plausible », déclare Owen King, glaciologue spécialisé dans les montagnes à l'université de Newcastle, au Royaume-Uni, qui a travaillé dans cette région. « Des éléments appuient les mécanismes que décrit Ryan. »

    Non loin du camp de base de l'Everest, deux chercheurs descendent dans une grotte glaciaire sur le glacier du Khumbu, au Népal. La hausse des températures et la fonte des glaces ont fait descendre la surface de la glace au camp de base de l'Everest de 30 mètres entre 1984 et 2015.

    PHOTOGRAPHIE DE Jason Gulley

    L'eau de fonte qui jaillit des grottes s'accumule dans un immense lac situé à l'extrémité du glacier. Le lac Spillway mesure 800 mètres de long. Une énorme crête de débris que le glacier a accumulée pendant des milliers d'années forme un barrage que le lac pourrait rompre en grandissant, ce qui enverrait plusieurs millions de mètres cubes d'eau dans la vallée.

    En 1985, une inondation due à l'éruption d'un lac glaciaire à treize kilomètres au sud-ouest de Ngozumpa a emporté 14 ponts, 30 maisons et une centrale hydroélectrique. Ce risque d'inondation augmente à mesure que les glaciers deviennent des lacs.

     

    DES VESTIGES DE GROTTES LAISSÉS À L’ABANDON 

    En 2018 et 2019, lors d’une visite du glacier de Ngozumpa, ce que Gulley a vu l’a choqué. Il ne restait que très peu de grottes. Le glacier s'était tellement affaissé jusqu'au niveau du lac Spillway que l'eau de fonte ne s’écoulait plus vers le bas pour créer de nouvelles grottes.

    Son équipe a toutefois trouvé un fragment d'une grotte qu’il avait cartographiée pour la première fois en 2005. À l'époque, son entrée se trouvait au fond d'une dépression. Aujourd'hui, il ne reste plus qu'une petite partie de grotte qui perce une crête de glace.

    Même si les grottes d’eau de fonte disparaissent des parties inférieures du Ngozumpa, elles se feront une place plus haut sur les trente-cinq kilomètres de longueur du glacier. Elles videront de plus en plus de glaciers, créant des lacs qui pourraient provoquer des inondations dévastatrices.

    « Ces grottes sont symptomatiques de glaciers mourants », explique Gulley. « Ce sort est réservé à presque tous les glaciers de la région de l’Everest. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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