Et si le changement climatique nous offrait un meilleur vin ?
Un climat estival plus chaud et plus sec sera bénéfique pour les vignes du Bordelais. Mais si la sécheresse succède à la chaleur, l'avenir de cette grande région vinicole pourrait bien être menacé.
Les vignobles du Bordelais, comme celui-ci photographié en 2016, dépendent généralement de la pluie pour leur approvisionnement en eau, c'est pourquoi le changement climatique a un impact direct sur la production de vin.
Depuis plusieurs années déjà, les spécialistes du vin attirent notre attention sur la façon dont le changement climatique pourrait affecter les récoltes de raisin, diminuer la qualité du vin et freiner la croissance des vignes. Voilà cependant une nouvelle à laquelle porter un toast : le changement climatique pourrait aussi améliorer le goût des vins du Bordelais.
En analysant soixante-dix années de notes attribuées aux vins de Bordeaux par les critiques et les données météorologiques de la même période, une équipe de chercheurs a révélé une amélioration de la qualité du vin, notamment en termes de richesse et d'intensité aromatique. Leurs résultats font l'objet d'une étude publiée dans la revue iScience.
Pour la période allant de 1950 à 2020, les scientifiques ont analysé l'évolution globale de la qualité du vin de Bordeaux à travers dix-neuf appellations d'origine contrôlée. Ces AOC désignent à la fois la région géographique et le savoir-faire qui caractérisent un vin, son terroir. Les modèles statistiques de l'étude ont permis d'analyser la relation entre la qualité du vin de chaque AOC et les facteurs météorologiques, comme la durée de la saison, les températures et les précipitations.
Les meilleurs millésimes du Bordelais correspondent aux années avec un été chaud et sec ; un hiver froid et humide ; et une saison de croissance précoce et courte, autant de conditions que le changement climatique devrait rendre plus fréquentes dans la région. La France se prépare à une hausse globale de ses températures de 4 °C à l'horizon 2100. Un tel réchauffement pourrait augmenter la teneur en sucre des raisins et produire un vin plus doux.
Puisque les vignerons du Bordelais s'en remettent traditionnellement à la pluie pour leurs besoins en eau, au lieu de l'irrigation, il existe un lien direct entre le climat et le rendement de la vigne.
Auteur principal de l'étude et climatologue à l'université d'Oxford, Andrew Wood a été surpris de constater l'influence des précipitations pendant la dormance sur la qualité du vin : plus il pleuvait durant la période où la vigne ne pousse pas, meilleur était le vin à la récolte suivante.
« Généralement, on s'intéresse plutôt à la façon dont la météo pendant la croissance de la vigne affecte la qualité du raisin, mais les vignes sont là toute l'année et nous avons constaté que les conditions de la saison dormante ont également un impact sur la prochaine récolte, » témoigne Wood. Une hausse des précipitations hivernales pourrait se traduire par un meilleur équilibre hydrologique dans le sol pendant la phase de croissance.
« Une vigne en bonne santé produit un raisin de meilleure qualité, » résume Wood.
Afin de protéger les bourgeons face au gel tardif qui a frappé la région en avril 2022, certains vignerons du sud-ouest de la France allument de petits feux pour réchauffer l'air.
UN AVENIR EN DEMI-TEINTE
L'apparente amélioration de la qualité pourrait aussi être liée aux progrès des technologies vinicoles ou à l'évolution des préférences de la critique, comme le précisent les auteurs de l'étude.
Cependant, si le choix de Wood et de ses collègues s'est porté sur la région de Bordeaux, c'est notamment parce que ses vignobles perpétuent en grande partie des méthodes traditionnelles, comme la récolte manuelle du raisin. Cela limite l'influence du progrès technologique sur les données.
Par ailleurs, bien que les notes attribuées par les critiques soient subjectives, il se dégageait un consensus de leurs opinions. Les chercheurs ont recueilli les notes issues de sources publiques, comme les guides des millésimes accessibles en ligne, et de 14 ouvrages dédiés au vin, dont Wine Spectator, Cellar Insider ou encore le Guide Hachette des vins.
« On attendait des critiques un avis divergent puisqu'ils s'adressent à différents marchés, avec des préférences distinctes, mais ils ont plutôt tendance à se rejoindre » déclare Wood. « De manière générale, les consommateurs aiment les vins plus puissants, plus doux, plus riches. Même s'ils ne peuvent pas identifier toutes les notes aromatiques, ils peuvent généralement reconnaître le bon du mauvais. »
Qui plus est, le modèle statistique mis au point par les chercheurs suggère que les qualités gustatives du vin de Bordeaux pourraient continuer de s'améliorer à mesure que les températures augmentent sous l'effet du changement climatique, avec moins de pluie l'été et davantage l'hiver.
Néanmoins, le réchauffement de la région et la multiplication des événements météorologiques extrêmes représentent également un danger pour les raisins du Bordelais.
« Les menaces sont toujours présentes » indique Wood. « La France est touchée par des feux de forêt, au même titre que la Californie et l'Australie, deux autres régions vinicoles au climat méditerranéen ; et la fumée est très mauvaise pour le vin. On peut même la sentir dans les raisins. »
Les notes attribuées au vin par diverses critiques et les guides des millésimes peuvent aider les chercheurs à comprendre les préférences générales des consommateurs de vin.
La chaleur extrême conduit par ailleurs à la sécheresse. Si le changement climatique limite l'apport en eau et les vignes ne peuvent plus être hydratées, la production de vin est vouée à s'effondrer.
« Si la qualité du vin est meilleure avec moins d'eau en été, cela ne signifie pas qu'il ne faut pas d'eau du tout. Il doit y avoir de l'eau dans le sol que les vignes puissent extraire, sinon elles mourront » affirme Wood. « Donc la qualité pourrait augmenter jusqu'à un certain seuil, mais il nous est impossible de situer ce seuil. Elle va augmenter, puis elle va chuter. Voilà ce qui nous fait peur : ne pas savoir quand cette chute arrivera. »
Sous l'effet du changement climatique, nos vendanges s'effectuent déjà plus tôt dans l'année, ce qui affecte la teneur en alcool et le profil aromatique du vin. Avec la chaleur estivale record des dernières années, certains vignobles ont même vu leur raisin flétrir ou brûler sur pied. Les experts anticipent d'ailleurs une migration vers le nord des traditionnelles régions viticoles.
LES LIMITES DE L'ADAPTATION
Pour Kimberly Nicholas, professeure de sciences de la durabilité à l'université de Lund en Suède, cette évolution de la vigne nous dévoile « le goût du changement climatique. »
« La vigne est une culture très sensible au climat. Contrairement à d'autres cultures, c'est la qualité qui prime et non la quantité » poursuit Nicholas, qui n'a pas participé à l'étude.
Le monde du vin s'est adapté au changement climatique selon quatre axes clés : la modification des méthodes de vinification, par exemple en ajoutant des acides pour ajuster le pH ; l'évolution des pratiques agricoles en augmentant l'irrigation et les zones d'ombre ; l'implantation de vignes sans exposition directe à la lumière du soleil ; et la migration des vignes vers de nouvelles régions.
« Il est toutefois essentiel de comprendre que l'adaptation a ses limites, » conclut Nicholas. « Le secteur vinicole a conscience de l'étendue de sa marge de manœuvre, mais ce potentiel n'est pas infini. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.