Lune : découverte d'une étrange cloque géologique plus grande que Paris

Alors qu'ils scrutaient la surface de la Lune à la recherche d'indices sur la fréquence des impacts passés, des scientifiques ont eu la surprise de découvrir un type de relief qui « sème la confusion » au sein de la communauté géologique.

De Robin George Andrews
Cette vue de la Lune à travers un télescope montre les nombreux cratères et autres plaines ...
Cette vue de la Lune à travers un télescope montre les nombreux cratères et autres plaines de lave inaltérés qui constellent la surface de notre âme sœur céleste.
PHOTOGRAPHIE DE Babak Tafreshi, Nat Geo Image Collection

Dans le sillage de la formation de notre système solaire il y a 4,6 milliards d'années, un projectile s'est écrasé sur la Lune, encore toute jeune, et y a creusé un bassin large de 620 km connu sous le nom de bassin des Crises. Personne ne connaît la date exacte de l'impact mais depuis plusieurs dizaines d'années les scientifiques tentent de résoudre cette équation dans le cadre d'un débat plus large autour d'un éventuel épisode de bombardement météoritique intense qu'auraient connu la Lune, et par voisinage, la Terre.

À présent, des scientifiques qui étudiaient la région ont annoncé la détection d'un cratère au sein du bassin qui semblerait contenir une couche intacte d'impactite pouvant faire office d'horloge géologique. Si de futurs astronautes ou robots pouvaient en prélever un échantillon et estimer son âge, il pourrait nous apporter des informations sur la situation de la Terre pendant la période primordiale, lorsque la vie est née sur Terre.

Et surprise, cette découverte s'est accompagnée d'un autre mystère : le bassin contiendrait également une cloque géologique plus grande que Paris, une formation comme aucune autre dans le système solaire. D'après l'article publié par l'équipe de scientifiques dans la revue Journal of Geophysical Research: Planets, cette protubérance volcanique semblerait avoir été gonflée puis fissurée par une étrange activité magmatique souterraine que les chercheurs ne parviennent pas à expliquer pour le moment.

« Cet élément est profondément troublant, » déclare Clive Neal, expert en géologie lunaire rattaché à l'université Notre-Dame, non impliqué dans l'étude.

 

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DATATION D'UNE APOCALYPSE

La chronique des impacts du passé de notre planète est pleine de lacunes, principalement à cause de l'érosion et de la lente marche des plaques tectoniques qui effacent toutes les preuves. En revanche, l'inactivité et l'absence d'atmosphère de la Lune ont conservé des milliards d'années de cratères superposés les uns sur les autres. Ainsi, notre satellite naturel offre une chronique indirecte des impacts qui ont heurté la Terre au fil du temps.

En remontant aussi loin dans le passé de notre planète, les scientifiques pourraient essayer de percer les mystères qui entourent l'origine de la vie. Alors que les débats courent toujours autour de l'âge des plus anciens fossiles, divers candidats remontent à une période comprise entre 3,5 et 4,28 milliards d'années. Curieuse coïncidence, certaines preuves apportées par la Lune suggèrent que cette fourchette temporelle correspondrait à une période pendant laquelle la Terre était prise d'assaut par divers fragments issus de la formation du système solaire.

Les missions Apollo et plusieurs expéditions robotisées de l'Union soviétique ont rapporté des échantillons de roche en provenance des bassins lunaires et de vastes cratères sur la face visible de la Lune, des échantillons utilisés par les chercheurs pour dater les divers impacts. De nombreux prélèvements ont ainsi été datés entre 3,8 et 4 milliards d'années, ce qui laisse entendre qu'il y a un pic dans le nombre d'impacts déjà élevé à la surface de la Lune. Cette période de 200 millions d'années a plus tard été baptisée le Grand bombardement tardif.

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    Cependant, les récentes réévaluations ont poussé de nombreux experts à remettre en question l'âge des bassins. La source de plusieurs échantillons lunaires est incertaine, les scientifiques pensent que plusieurs d'entre eux pourraient avoir été éjectés d'un bassin à l'autre, ce qui compromet les âges estimés. De plus, si le pic s'est produit il y a 3,9 milliards d'années, comme le suggèrent les échantillons des missions Apollo, alors comment expliquer l'accalmie de 700 millions d'années juste après la formation du système solaire ?

    « Étant donné que la théorie du Grand bombardement tardif vacille de plus en plus, il est crucial de déterminer si ces impacts lunaires géants se sont bel et bien formés à la même période environ, » déclare Paul Byrne, planétologue à l'université d'État de Caroline du Nord qui n'a pas pris part à l'étude.

    Un seul bassin lunaire, le bassin des Pluies, met d'accord la communauté scientifique sur son âge, estimé à 3,9 milliards d'années, indique Bill Bottke, planétologue et spécialiste des astéroïdes au Southwest Research Institute de Boulder, dans le Colorado, également non impliqué dans l'étude. Une datation plus précise de l'âge des bassins grâce aux impactites qu'ils contiennent est donc nécessaire pour valider l'authenticité de cet ancien pic météoritique ; et c'est là qu'entre en jeu le bassin des Crises.

     

    LA MER DES CRISES

    Un an avant sa mort, le spécialiste renommé de la Lune, Paul Spudis, avait publié un article dans lequel il suggérait que le bassin des Crises contenait des fragments de roches fondues datant de sa création. Moriarty et ses collègues ont donc décidé d'utiliser les données de l'orbiteur lunaire pour tenter de les trouver. Après avoir déterminé que les impactites les plus pures étaient riches en magnésium, ils ont sondé le bassin en quête de la signature spectrale caractéristique de cet élément.

    L'impact à l'origine du bassin des Crises était si violent qu'il a créé une couche de roches fondues d'une épaisseur de 15 km. Cependant, d'abondantes éruptions de laves ont par la suite recouvert le bassin il y a 3,6 milliards d'années en formant une mer volcanique appelée Mare Crisium, ou mer des Crises, qui a recouvert une grande partie de la couche originelle de roches fondues. (À lire : Une masse mystérieuse détectée sous la face cachée de la Lune.)

    Par chance, de précédentes modélisations de la région ont révélé que ce phénomène avait permis la formation d'îles rocheuses, les Kīpukas, au sein du bassin envahi par la lave. Sur Terre et ailleurs sur la Lune, les Kīpukas sont en fait des étendues de terre surélevées, entourées d'une lave plus jeune et refroidie. Après réflexion, l'équipe de scientifiques a estimé que si les roches fondues de l'impact des Crises devaient se trouver quelque part, c'était sur ces monticules.

    Lors de leur examen de la région, ils ont remarqué qu'un Kīpuka sortait (littéralement) du lot. Cette protubérance lunaire de la taille d'une grande ville s'était élevée avant de craquer comme la coquille d'un œuf, sans qu'aucun autre relief ne vienne empiéter sur son territoire.

    En regardant de plus près, un petit cratère surmontant ce Kīpuka révélait que ce dernier était en grande partie composé de roche volcanique. Cette cloque fissurée aurait jailli de terre en raison d'une activité volcanique souterraine, c'est du moins la meilleure explication dont disposent les scientifiques pour le moment, cette formation étant entourée de mystère. De plus, même si elle contient des roches fondues de l'impact, elles sont en très mauvais état, l'équipe de scientifiques a donc choisi de chercher une autre fenêtre sur l'histoire des impacts lunaires.

     

    UNE MONTAGNE DE FEU GLACÉ

    Et la chance leur a souri une seconde fois : ils ont identifié une importante signature de magnésium au sein du cratère Yerkes, niché dans le bassin des Crises. L'impact à l'origine de ce cratère de 36 km était assez puissant pour former un pic central constitué par l'écoulement puis la solidification des débris. D'après son empreinte spectrale, une quantité importante de roches fondues provenant de l'impact des Crises aurait été conservée dans cette aiguille, à l'abri de la mer de lave qui allait plus tard inonder la région.

    Il est possible que cette roche fondue provienne de la formation du cratère Yerkes et non pas du plus large bassin des Crises, précise Neal. Toutefois, si les conclusions des chercheurs sont correctes, une mission à destination du cratère Yerkes pourrait nous permettre de déterminer l'âge définitif d'un second bassin lunaire. S'il est de 3,9 milliards d'années, comme le bassin des Pluies, cet âge confirmerait la théorie d'un ancien pic d'impacts de météores. En revanche, s'il est bien plus vieux, cela supposerait que les impacts colossaux étaient plus étalés dans le temps.

    Dans l'éventualité d'une pluie de météores plus éparse, seules quelques régions sur Terre seraient devenues des déserts biologiques. D'un autre côté, un bombardement météoritique plus concentré aurait provoqué la fonte intégrale de la croûte terrestre, ce qui aura saturé l'atmosphère en vapeurs de silice, explique le coauteur de l'étude Dan Moriarty, géologue de la Lune au Goddard Space Flight Center de la NASA. En supposant qu'un tel phénomène se soit produit alors que naissait la vie sur Terre, il est tout à fait remarquable que des êtres vivants y évoluent aujourd'hui.

    En fin de compte, bien que les résultats de cette étude offrent un certain éclairage sur la question, tant que nous n'aurons pas rendu visite au bassin des Crises ou à d'autres bassins lunaires, les premiers jours du système solaire resteront empreints de mystère.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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