Avec la sonde DART, la NASA s'entraîne à sauver le monde
La sonde s'est écrasée sur un objet spatial inoffensif dans le but de modifier son orbite, une tactique qui pourrait un jour nous aider à dévier un véritable astéroïde tueur.
À l’observatoire Palomar, en Californie, l’appareil à large champ de la Zwicky Transient Facility compte 605 mégapixels et est encastré dans un télescope dont la chambre de Schmidt mesure 1,20 mètre. Il sonde l’ensemble du ciel visible chaque nuit. On lui doit la découverte récente du premier astéroïde évoluant exclusivement au sein de l’orbite de Vénus.
À plus de 11 millions de kilomètres de la Terre, un engin spatial filant à près de 22 500 km/h s'est écrasé sur un petit astéroïde qui flottait innocemment à travers l'espace.
La collision entre la sonde Double Asteroid Redirection Test (DART, fléchette en anglais) de la NASA et une roche spatiale de 150 m d'envergure baptisée Dimorphos s'est produite à 1 h 14 du matin (heure de Paris) et marque la première tentative humaine de modifier volontairement la trajectoire d'un objet céleste. C'est également le premier pas d'une stratégie ambitieuse visant à détourner les éventuels astéroïdes sur une trajectoire de collision avec la Terre.
Même si aucun astéroïde suffisamment grand pour provoquer une extinction planétaire ne devrait menacer la Terre au cours des cent prochaines années, après quoi il devient difficile pour les scientifiques d'anticiper leurs orbites, nous pourrions tout de même être surpris par un objet plus petit, potentiellement capable de détruire une ville. Par ailleurs, il est presque certain que la Terre sera confrontée à une menace existentielle venue de l'espace un jour ou l'autre, dans les centaines ou les milliers d'années à venir.
« L'idée d'un astéroïde qui détruirait la Terre ne m'empêche pas de dormir, mais je suis content de vivre dans un monde où nous pourrions empêcher cela à l'avenir, » déclare Nancy Chabot de l'Applied Physics Laboratory (APL) de l'université Johns Hopkins à Laurel, dans le Maryland, responsable de la mission DART. « Ce n'est qu'un premier pas, mais n'est-ce pas fascinant de passer de la science-fiction à la réalité ? »
Afin de s'entraîner à construire cette réalité, la NASA a envoyé DART vers son trépas. En approchant de l'astéroïde, la sonde a mitraillé Dimorphos à l'aide de sa caméra, de l'instant où l'astéroïde apparaît sous la forme d'un point de lumière au moment où il remplit l'ensemble de son champ de vision, puis à l'écran noir de l'impact.
Dimorphos orbite un astéroïde plus imposant appelé Didymos et les deux astéroïdes ne sont pas considérés comme des menaces pour la Terre, c'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles la NASA a choisi de les placer dans le viseur de DART pour ce premier test de défense planétaire.
Identifié en 1996, Didymos, dont le nom signifie « jumeau » en grec, mesure environ 800 m de longueur et a fait l'objet d'une étude approfondie. En revanche, personne ne s'était encore réellement intéressé à sa petite lune avant sa collision avec DART. Les équipes ont récemment baptisé cet astéroïde Dimorphos, ou « avoir deux formes » en grec : une avant et une après l'impact.
La collision n'est pas sans rappeler les tentatives désespérées de sauver la Terre de la destruction cosmique que l'on a pu voir dans certains films hollywoodiens. Contrairement aux scénarios consistant à exploser l'astéroïde avant qu'il ne frappe la planète, l'impact de DART n'avait pas pour objectif de détruire Dimorphos. C'était plutôt une « pichenette », un coup de pouce suffisamment puissant pour modifier l'orbite de la lune sans la réduire en pièces.
Pour s'assurer du bon fonctionnement de cette stratégie, des observations de suivi minutieuses seront nécessaires, c'est pourquoi un impressionnant réseau d'instruments a été dirigé vers le système Didymos.
Trois minutes après la collision, un cubesat prénommé LICIACube est entré en scène pour analyser les débris. Dans les prochains jours, le petit engin spatial transmettra des images du site d'impact à la Terre, où les scientifiques les étudieront pour en apprendre plus sur la structure et la composition de Dimorphos. Les télescopes spatiaux James Webb et Hubble de la NASA étaient également tournés vers le système Didymos au moment de l'impact. Alors en direction d'une étrange population d'astéroïdes en orbite autour de Jupiter, la sonde Lucy était elle aussi suffisamment proche pour observer l'impact.
Au sein de la Payload Processing Facility de SpaceX de la base de lancement Vandenberg en Californie, les deux moitiés de la coiffe d'une fusée Falcon 9 se referment sur la sonde Double Asteroid Redirection Test (DART) de la NASA, le 16 novembre 2021.
Lancement de la sonde DART le 23 novembre 2021 à 07 h 21 du matin (heure de Paris) à l'aide d'une fusée Falcon 9 depuis la base de lancement Vandenberg en Californie. Cette mission est la première à tester des technologies de défense de la Terre contre la menace provenant des astéroïdes ou des comètes.
L'objectif de ces observations est d'identifier d'éventuels éclaircissements sur le système Didymos, ce qui apportera des informations cruciales sur la quantité de poussière et de roche pulvérisée soulevée par l'impact. Une trentaine de télescopes terrestres vont se mettre au travail pour calculer précisément la nouvelle orbite de Dimorphos. En 2026, la sonde Hera construite par l'Agence spatiale européenne (ESA) se présentera pour évaluer les conséquences de la collision.
« Cette mission inaugurale de défense planétaire marque un tournant dans l'histoire de l'humanité, » déclarait Bobby Braun, directeur du service exploration de l'APL, à l'occasion d'une conférence pré-impact tenue le 12 septembre. « Pour la toute première fois, nous allons modifier de façon mesurable l'orbite d'un corps céleste dans l'univers. »
RENCONTRE AVEC DIMORPHOS
La sonde DART a quitté la Terre au sommet d'une fusée Falcon 9 le 23 novembre 2021, avant de mettre le cap sur son rocheux destin.
Didymos est un astéroïde de type S, l'une des catégories les plus répandues chez les astéroïdes géocroiseurs. Comme bon nombre de ses pairs, Didymos est une relique des balbutiements du système solaire et contient de précieux renseignements sur ce à quoi ressemblait notre voisinage, il y a 4,5 milliards d'années.
En revanche, Dimorphos était resté un mystère jusqu'à la nuit passée. Les scientifiques lui attribuaient une composition similaire à celle de Didymos, plus proche d'un agglomérat lâche de débris que d'un objet uniforme, mais sa masse, sa forme et sa composition étaient inconnues. Dans les semaines qui ont précédé l'impact, les membres de l'équipe ont commencé à spéculer sur l'aspect de Dimorphos. Par exemple, un astéroïde en forme d'os ou de donut serait plus difficile à percuter, alors qu'un objet arrondi offrirait plus de facilité.
À mesure que DART progressait vers sa fatale destinée, la caméra embarquée DRACO a enfin pu poser les yeux sur le satellite : un objet ovoïde avec des rochers visibles en surface. Deux minutes avant l'impact, Dimorphos occupait l'intégralité du champ de vision de la caméra. En capturant une image par seconde, DRACO a pu reconstituer une séquence d'approche finale qui contient une mine d'or de données et a révélé que la mission était un succès. Lorsque les transmissions de DART ont pris fin, l'équipe savait que la sonde avait atteint sa cible.
« Nous aurons des images jusqu'à un certain point, nous assisterons donc en direct aux derniers instants de la sonde DART, » avait déclaré Chabot avant l'impact.
FLÉCHETTES SPATIALES
Pendant la majeure partie de ses dix mois de voyage, la sonde DART n'a même pas vu voir sa cible ; elle était guidée de façon autonome jusqu'à son point de rencontre avec Dimorphos par un logiciel de navigation embarqué. Une fois le duo d'astéroïdes en vue, à peine quelques pixels, le système SMART Nav de la sonde a pu verrouiller la trajectoire sur Didymos. Lors de l'approche finale, environ 50 minutes avant l'impact, le système a basculé sur Dimorphos et guidé la sonde sur le site d'impact. Il était essentiel de s'assurer que la sonde visait le bon objet.
« C'est une période très stressante pour nous, » avait déclaré Evan Smith, ingénieur adjoint de la mission DART, lors d'une réunion avant l'impact. « Nous allons surveiller la télémétrie de très près, effrayés, mais surexcités. »
« Nous n'avons qu'un seul essai, alors il faut tenter le tout pour le tout, » avait-il poursuivi. « Il y a encore une fenêtre dans deux ans, mais nous ne voulons pas jouer sur ce terrain. »
Afin de tester le précieux système de guidage, la caméra DRACO s'est tournée vers Jupiter et ses quatre lunes majeures durant les mois de juillet et d'août dernier. En regardant la lune de glace Europe jaillir de l'ombre de Jupiter, DART a pu s'entraîner à verrouiller un petit objet émergeant derrière un objet plus imposant, tout comme il devrait le faire pour Dimorphos apparaissant aux côtés de son compagnon juste avant la collision.
En ce qui concerne l'alignement du tir, c'était un peu comme jouer aux fléchettes, selon l'ingénieur des systèmes de la mission, Elena Adams, sauf que vous jetez la fléchette depuis l'aéroport de Paris-Charles de Gaulle sur une cible se trouvant à l'aéroport de Lyon-Saint Exupéry.
« La fléchette en elle-même ne mesure que 2,5 mm, c'est minuscule, vous l'apportez à Paris-Charles de Gaulle pour la jeter sur Lyon-Saint Exupéry et vous touchez le centre, sauf que vous ne savez pas où se trouve la cible, » avait illustré Adams devant les journalistes.
L'une des dernières images enregistrées par la sonde DART avant de s'écraser sur Dimorphos, l'astéroïde ciblé par la mission.
À LA RECHERCHE DES ASTÉROÏDES
Pour que les technologies de déviation des astéroïdes soient utiles, il faut un objet à dévier, c'est pourquoi la NASA et d'autres institutions se concentrent sur la recherche et le suivi de tout objet spatial évoluant à proximité de la Terre.
« À l'heure actuelle, nous n'avons connaissance d'aucun objet qui menacerait réellement la Terre, du moins pour les cent prochaines années environ. Je peux en revanche vous garantir que si l'on attend assez longtemps, il y en aura un, » avait annoncé Thomas Zurbuchen, administrateur adjoint à la science pour la NASA, lors de la conférence pré-impact. « Comment je le sais ? Parce que si on remonte le temps, on voit que ces objets ont vraiment affecté notre histoire. Notre chronique géologique en est la preuve. »
L'évolution de la Terre a dès le départ été façonnée par ces impacts. Les comètes et les astéroïdes bombardent la planète depuis ses jours d'embryon planétaire en fusion. Certains de ces objets ont apporté l'eau qui remplit nos océans, nos lacs et nos fleuves. D'autres ont provoqué des cataclysmes à l'origine d'extinctions massives.
D'après les scientifiques, nous aurions localisé l'essentiel des astéroïdes potentiellement dangereux, c'est-à-dire les objets de plus de 130 mètres de longueur circulant à moins de 8 millions de kilomètres de la Terre. Nous avons localisé la majeure partie des plus imposants d'entre eux, des objets de plus de 9 kilomètres pouvant provoquer une extinction mondiale. L'agence spatiale estime avoir découvert près de 95 % des astéroïdes de la taille de Didymos. En revanche, les objets plus petits, comme Dimorphos, sont plus délicats à identifier et à suivre. Les astéroïdes de cette taille pourraient réduire à néant une grande ville et la NASA estime que nous avons localisé moins de la moitié de ces objets.
« Le plus important dans un premier temps, c'est de trouver la population d'astéroïdes dangereux dans les parages, » avait indiqué Lindley Johnson, responsable de la défense planétaire pour la NASA, lors de la conférence. « Nous disposons de la technologie nécessaire pour trouver ces objets des années, des décennies et même un siècle avant qu'ils ne constituent une réelle menace pour la Terre. »
La recherche des autres astéroïdes devra être menée depuis l'espace, poursuit Johnson. Ces prochaines années, la NASA envisage de lancer le télescope Near-Earth Object Surveyor, un instrument capable d'identifier les signatures infrarouges des roches masquées par le rayonnement du Soleil. Grâce à cette sentinelle des objets géocroiseurs, les scientifiques veilleront à ce que l'humanité ne soit pas surprise par l'arrivée impromptue d'un astéroïde.
LIRE DANS LA POUSSIÈRE
Dans les jours et les semaines après l'impact, les télescopes terrestres répartis sur les sept continents mesureront avec précision la nouvelle orbite de Dimorphos. Ce réseau peut notamment compter sur l'observatoire de Green Bank en Virginie-Occidentale, le Goldstone Deep Space Communications Complex en Californie et le Très Grand Télescope au Chili.
Pour que la mission DART soit un succès, l'impact doit avoir diminué de 73 secondes l'orbite actuelle de Dimorphos qui est de 11 heures et 55 minutes. Cela dit, Chabot s'attend à constater une variation nettement plus importante, autour des 10 minutes.
« Ce sera peut-être 20 minutes, ou 5 minutes, » dit-elle. « Cela dépendra de la masse d'éjecta soulevée, du volume de roche pulvérisée et de matière impliqué dans cette collision énergétique. C'est l'une des principales raisons pour lesquelles nous effectuons ce test grandeur nature dans l'espace. »
Outre le fait d'aider les scientifiques à en savoir plus sur le satellite, la variation de l'orbite nous dira si ce type d'impacteur cinétique est une option viable pour la déviation des astéroïdes dangereux. Si nous avons un jour besoin de dévier un astéroïde de sa trajectoire, les enseignements tirés de la mission DART auront une importance vitale pour sauver le monde.
« En situation de défense planétaire, il faudrait s'y prendre avec 5, 10 ou 20 ans d'avance, » indique Chabot. « L'objectif est de le pousser légèrement, pas de se créer des problèmes en détruisant un astéroïde pour produire une multitude de fragments différents. »
Si la mission DART est un succès, nous disposerons d'un premier outil pour nous protéger contre les dangers venant du ciel.
« La mission présente un intérêt évident pour doter l'humanité d'une capacité à dévier de potentiels astéroïdes dangereux à l'avenir, » déclare Braun. « Cela témoigne également du chemin parcouru par notre programme spatial en à peine 60 ans tout en démontrant l'importance de ce programme pour l'ensemble de la population terrestre. »
Si les dinosaures avaient eu un programme spatial, ils flâneraient toujours sur Terre.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.